En annonçant ne pas vouloir se représenter en 2026, Anne Hidalgo intronise le sénateur PS Rémi Féraud. Ce proche est à la tête du groupe socialiste de la mairie de Paris. Mais il devra faire face aux ambitions de deux autres sénateurs : le communiste Ian Brossat et peut-être l’écolo Yannick Jadot. Chacun appelle pour l’heure à l’union, voire à une « primaire » de la gauche.
Réforme des retraites : que pourrait censurer le Conseil constitutionnel ?
Par François Vignal
Publié le
Plus que trois jours avant de connaître la décision du Conseil constitutionnel sur la réforme des retraites. Les Sages vont en effet se prononcer sur le projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale (PLFRSS), qui porte la réforme polémique. Ils jugeront de la constitutionnalité du texte ce vendredi 14 avril. Ils donneront en même temps leur décision sur la validité du référendum d’initiative partagée (RIP) sur la réforme, déposé par 250 députés et sénateurs de gauche.
Comment et par qui va être prise la décision ?
L’institution de la rue de Montpensier n’est composée que de neuf personnes. Parmi les membres actuels, deux ont été nommés par la gauche, dont le président Laurent Fabius, ancien premier ministre socialiste, trois par Emmanuel Macron, qui a nommé deux de ses anciens ministres, Jacqueline Gourault et Jacques Mézard, un (Alain Juppé) a été nommé par un proche du chef de l’Etat (Richard Ferrand, ancien président de l’Assemblée nationale) et trois par la droite, en l’occurrence par le président LR du Sénat Gérard Larcher. Pour plus de détail sur les neuf membres, lire notre article sur le sujet.
Il faut avoir en tête que les moyens humains de l’institution sont assez faibles. Le président du Conseil nomme un rapporteur qui est chargé d’examiner le texte et les arguments avancés dans la ou les saisines. Il travaille avec le service juridique du Conseil et établit un rapport, qui sera exposé à ses collègues. Si la décision est prise collégialement, elle est validée par un vote de chaque membre, qui exprime son accord ou pas avec le rapport, qui peut être amendé. En cas d’égalité, le vote du président du Conseil est prépondérant pour faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre.
La décision est rendue publique, mais pas le détail du vote, ni la teneur des débats. Du moins pas tout de suite. Comme nous l’expliquions, les débats seront publiés dans les archives mais seulement… 25 ans plus tard.
La décision est censée être prise uniquement sur des considérations juridiques. Mais selon le professeur de droit public, Benjamin Morel, « quand vous devez juger entre des normes floues, il y a forcément un geste d’interprétation qui est fort. Il y a forcément une lecture politique », affirmait à publicsenat.fr le professeur. Les Sages ne peuvent pas totalement faire abstraction du contexte politique. A l’inverse, on a déjà vu dans le passé des mesures validées, alors que les spécialistes s’attendaient à les voir censurées car ne tenant pas sur le plan juridique et constitutionnel.
Quels sont les différents recours ?
Il y a eu en premier la saisine du gouvernement. Elisabeth Borne a annoncé une « saisine blanche » du Conseil constitutionnel, c’est-à-dire que le gouvernement ne formule pas d’interrogations sur un point particulier, il demande simplement aux sages de se prononcer sur l’ensemble du texte.
Les députés RN d’une part, et ceux de la Nupes d’autre part, ont ensuite déposé leurs recours le 21 mars. Ils contestent notamment le choix du véhicule législatif, c’est-à-dire le type de texte utilisé pour porter la réforme, en l’occurrence un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale.
Les sénateurs de gauche ont déposé également leur propre recours deux jours après. Les sénateurs socialistes, communistes et écologistes (au Sénat, pas de sénateurs LFI ni de Nupes) dénoncent de « multiples atteintes au débat ». Ils jugent le recours à un budget rectificatif comme « un détournement de procédure ». Surtout, ils pointent l’« accumulation des instruments de contrainte du Parlement », comme les articles 44-3 de la Constitution, et son petit frère, le 44-2 qui permet un « vote bloqué », ou encore l’article 38 du règlement du Sénat, conduisant selon eux à une insincérité des débats.
Une censure partielle est-elle possible ?
C’est le scénario le plus probable, une validation totale du texte semblant écartée. Tout le monde s’accorde à dire que le risque de censure le plus élevé porte sur l’article 2, soit sur l’index senior et sur le CDI senior, ce dernier ayant été ajouté après le passage du texte au Sénat. Pourquoi ? Car ces mesures ne sont pas d’ordre financier. « Tout ce qui est hors champ financier peut être considéré comme un cavalier budgétaire (sic), et dans ce cas, il faudrait un deuxième texte », avançait dès le 18 janvier Laurent Fabius lui-même, dans des propos rapportés par le Canard enchaîné.
On rejoint ici la question du véhicule législatif choisi : un budget rectificatif de la Sécurité sociale. Il ne peut porter que sur des mesures qui impactent, d’une manière ou d’une autre, les comptes de la Sécu pour l’année 2023. Autrement, il s’agit de ce qu’on appelle un cavalier social (on parle de cavalier budgétaire pour le budget de l’Etat). Et l’index des seniors, même si des sanctions financières sont prévues contre les entreprises en cas de non-publication de l’index, semble bien cocher toutes les cases pour se retrouver, in fine, censuré par les Sages. Dans tel cas, le gouvernement pourra toujours représenter le dispositif dans un autre texte, comme la loi travail déjà évoquée par l’exécutif.
D’autres mesures pourraient-elles se voir aussi retoquées ? Anne-Charlène Bezzina, maître de conférences à l’Université de Rouen et à Sciences Po, estime que « pas mal de choses qui concernent le compte pénibilité » pourraient être censurées pour les mêmes motifs, affirmait-elle à publicsenat.fr le 31 mars dernier.
Conséquences politiques d’une censure partielle qui suivrait ce chemin : d’une part, les opposants à la réforme ne seraient évidemment pas satisfaits. D’autre part, le texte garderait les mesures les plus « salées », c’est-à-dire les plus dures, comme le report de l’âge de départ à 64 ans, et se verrait amputé du « sucré », soit les mesures de compensations. De quoi donner du grain à moudre aux opposants et peut-être relancer la contestation.
A moins que… Certains vont jusqu’à interroger le report de 62 à 64 ans de l’âge légal de départ. « Cela fait partie de ces dispositions qui sont sur la ligne de crête, où on peut argumenter dans un sens comme dans un autre », nous affirmait Stéphanie Damarey, professeure agrégée de droit public à l’université de Lille. « Le fait de repousser l’âge de départ a forcément une incidence financière. Mais la sonorité financière est indirecte, en comparaison d’autres dispositions où on voit apparaître très clairement des éléments en termes de dépenses et recettes », expliquait-elle, n’écartant pas « un risque de censure ». L’hypothèse reste cependant peu probable et la professeure de droit pense cependant « que l’âge a sa place dans un PLFRSS ».
Le Conseil constitutionnel peut-il censurer l’intégralité du texte ?
C’est la grande question. Et les constitutionnalistes ne sont clairement pas d’accord entre eux. Pour certains, une épée de Damoclès pèse bel et bien sur la réforme du gouvernement. « L’utilisation d’un projet de loi de financement de la Sécurité sociale, c’était déjà tiré par les cheveux. Et il y a eu en plus un usage baroque de ces éléments de procédures. Pris séparément, ils ne pourraient entraîner une censure globale du texte, Mais là, il y a un effet d’accumulation. Comment les Sages vont apprécier cet usage particulier de la procédure ? Vont-ils envoyer un signal au gouvernement par une censure globale ou des réserves d’interprétation ? », s’interrogeait le 17 mars dernier sur publicsenat.fr Benjamin Morel.
Le président du Conseil lui-même aurait mis en garde. « Nous ne voulons pas de détournement de procédure. Nous nous référerons à la sincérité du débat parlementaire », a déclaré Laurent Fabius, toujours selon les propos rapportés par Le Canard enchaîné fin janvier. « Si un texte arrive au Sénat sans un vote préalable de l’Assemblée, c’est embarrassant », jugeait-il, sans dire quelles en seraient les conséquences…
Pour Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à Paris I Panthéon Sorbonne, le risque de censure ne semble guère faire de doute. Du moins, les arguments sont là. « D’un strict point de vue juridique, il y a des éléments sérieux pour penser qu’il a eu une atteinte à la sincérité du débat parlementaire et un détournement de procédure de l’article 47-1 de la Constitution », nous soutenait le professeur. « Il y a des motifs sérieux de déclarer la loi inconstitutionnelle. Sur la manière dont la loi a été adoptée, il y a eu de mon point de vue une atteinte manifeste au principe de clarté et de sincérité des débats », insistait quelques jours après sur Public Sénat le constitutionnaliste, qui avançait encore : « On n’a pas voté à l’Assemblée nationale, on s’est arrêtés à l’article 2. On a utilisé l’article 38 du règlement du Sénat, qui limite à un orateur pour, un orateur contre… On a utilisé l’article 44-3, le vote bloqué… La clarté et la sincérité du débat n’ont pas été respectées de manière manifeste, grave et répétée ».
Les censures intégrales d’un texte sont rares
Les Sages ont déjà censuré l’intégralité d’un texte, mais c’est très rare. Le 24 décembre 1979, le Conseil avait censuré le projet de loi de finances car l’Assemblée avait commencé par la partie sur les dépenses au lieu de commencer par les recettes. Plus récemment, en 2012, l’institution a censuré toute la loi Duflot sur le logement social car les sénateurs s’étaient prononcés en séance sur le texte du gouvernement, et non sur celui issu de la commission et amendé par ses soins, comme le veut pourtant la Constitution depuis la réforme de 2008. A noter que depuis 1958, le Conseil constitutionnel n’a censuré des textes que cinq fois pour des raisons de procédure.
Mais que les opposants à la réforme ne crient pas victoire trop tôt. Car d’autres juristes interrogés ont une tout autre interprétation. Comme nous l’expliquaient Anne Levade, présidente de l’Association française de droit constitutionnel, et Anne-Charlène Bezzina, une censure totale sur le motif de l’insincérité des débats est hautement improbable. L’une et l’autre soulignent que le principe de « clarté et de sincérité » des débats existe depuis 2005 et que le Conseil constitutionnel n’a jamais censuré un texte sur ce motif. Le constitutionnaliste Bastien François souligne lui que le Conseil constitutionnel estime que ce n’est pas à lui mais au « Parlement de faire lui-même la police de son débat ».
Anne Levade, qui avait par ailleurs présidé la Haute autorité de la primaire de la droite en 2016, ne pense pas non plus qu’une censure pour le choix du véhicule législatif ait plus de chance d’aboutir. « La censure pourrait-elle résulter du seul choix du 47-1 ? Non, car le choix d’une procédure plutôt qu’une autre est un choix politique. Le gouvernement peut choisir d’inscrire un projet de loi dans un cadre plutôt qu’un autre. Le Conseil constitutionnel n’est pas le juge du comportement du gouvernement », expliquait à publicsenat.fr Anne Levade.
S’il faut chercher des motifs de censure, pour Anne-Charlène Bezzina, « le plus probant, c’est l’argument qui consiste à dire que beaucoup de dispositions d’une réforme des retraites ne concernent pas cette année donc ce n’est pas le bon véhicule ». Mais selon la professeure, « il y a un moyen de se raccrocher aux branches car il y a bien des dispositions qui touchent au financement de cette année ». Reste à voir si ces branches sont suffisamment solides. Réponse vendredi.