« Ce n’est qu’une étape. Il reste beaucoup de travail », a résumé Manuel Valls devant la presse, ce samedi 1er mars, avant de quitter Nouméa. Le ministre des Outre-mer a tout de même repris l’avion avec un document de travail dans ses bagages, fruit d’un travail de concertation de quatre jours avec l’ensemble des forces politiques de l’archipel.
Une véritable source de satisfaction, souligne Georges Naturel, sénateur Les Républicains de Nouvelle-Calédonie : « Il a mis autour de la table des élus qui, depuis le troisième référendum sur l’indépendance [en décembre 2021] n’échangeaient que des invectives par communiqués interposés. »
Une « période de stabilisation » nécessaire
S’il est encore loin du compromis, le document publié à l’issue des négociations permet en tout cas de donner un cadre au futur accord, en faisant état des positions des six partis politiques autour de la table, des indépendantistes aux loyalistes. « Manuel Valls a laissé les opinions s’exprimer, en mettant sur la table tous les possibles, de manière très ouverte. Ce retour du dialogue, c’est un souffle frais, un souffle de débat, dont le pays a besoin », observe l’historienne Isabelle Merle, directrice de recherche au CNRS et spécialiste de la Nouvelle-Calédonie.
« Une seule voie s’ouvre à nous : celle d’un accord politique suivant un chemin de réconciliation », acte ainsi le document de travail en préambule. Reprenant les trois sujets posés par Manuel Valls au début des échanges avec les partis calédoniens (le lien avec la France, la citoyenneté calédonienne et la gouvernance du territoire), le texte revient sur les différentes pistes de réflexion proposées par chacun.
Si rien n’est encore figé, plusieurs axes se dégagent pour la construction d’un accord. Après les émeutes de mai 2024, qui ont provoqué la mort de 14 personnes et la dégradation de nombreuses infrastructures, l’archipel a besoin d’une « période de stabilisation », ont reconnu tous les partis politiques autour de la table. Un temps nécessaire « pour progresser dans la constitution du peuple calédonien » et « relever l’économie », précise le document de travail. Cette recherche de stabilité devra impérativement passer par des mesures en faveur de la jeunesse, érigée par tous comme « priorité absolue », sur un archipel où l’âge moyen tourne autour de 34 ans, contre 42 ans en hexagone.
Vers un compromis sur la question du corps électoral ?
Mais cette période de stabilisation devra rapidement laisser place à l’action, notamment autour de l’épineuse question du corps électoral. Le sujet avait déclenché les émeutes en mai dernier, avec l’adoption d’un projet de loi constitutionnelle visant à élargir le droit de vote aux résidents de l’archipel depuis moins de dix ans. Suspendu par la dissolution, puis abandonné par Michel Barnier en octobre, le sujet revient sur la table avec en ligne de mire les élections provinciales, maintes fois reportées et prévues d’ici la fin de l’année.
« Un compromis semble avoir été trouvé autour de l’idée d’ouvrir le corps électoral aux natifs, ce serait une bonne base, qui permettrait ensuite de tourner la page. Il y a urgence, il y a besoin d’un nouveau souffle démocratique, tout cela s’éternise », estime Isabelle Merle. Le document de travail rédigé par le gouvernement mentionne effectivement un « consensus », permettant d’ouvrir l’accès au vote aux personnes nées en Nouvelle-Calédonie après 1998 pour les élections provinciales. Depuis la réforme constitutionnelle de 2007, le corps électoral est en effet gelé à l’année 1998, pour éviter une marginalisation des Kanaks dans les élections locales.
Si un premier consensus apparaît, le débat ne semble pour autant pas clos. Le document de travail mentionne également d’autres hypothèses d’élargissement du corps électoral, notamment pour les conjoints des personnes nées en Nouvelle-Calédonie, ou encore les parents d’enfants nés en Nouvelle-Calédonie résidant depuis plus de 10 ans dans l’archipel.
« Un référendum de projet » sur l’autodétermination
Au fil des négociations, un dernier point d’accord a émergé entre les différents partis, au sujet de l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie. « On ne peut pas faire un référendum sec sur la question de l’indépendance, il faut un référendum de projet. Il y a unanimité sur ce point », indique Georges Naturel. Un principe inscrit dans le document de travail, qui marque une rupture de méthode avec la série des trois référendums prévus par l’accord de Nouméa, en 2018, 2020 et 2021. « Le texte explicatif du « oui » et du « non » lors du précédent vote était très partial, il n’explorait aucune autre possibilité en dehors de l’indépendance totale. Poser la question en ces termes ne permettait pas un débat serein », explique Isabelle Merle.
À ce stade, le document de travail évoque un vaste champ de possibilités, qui reflète les positions des différents partis politiques sur l’autodétermination. Un « accord global prévoyant le transfert des compétences régaliennes à la Nouvelle-Calédonie » pourrait émerger lors des négociations, il pourrait alors s’appliquer « sans nouvelle consultation » de la population. À l’inverse, les négociations pourraient aboutir à l’établissement d’un « statut de large autonomie », qui implique que Paris conserve une partie des compétences. Enfin, le document mentionne l’hypothèse d’une nouvelle « consultation d’autodétermination », sans en dévoiler les modalités.
Maintenant que toutes les hypothèses sont sur la table, le plus dur commence. Manuel Valls a déjà promis qu’il reviendrait à Nouméa à la fin du mois de mars, pour reprendre les négociations. Objectif de ce prochain séjour : « Arriver à un accord, si c’est possible. Mais je ne veux bousculer personne », prévient le ministre des Outre-mer. Un autre changement de méthode notable, alors que le délai imposé l’an dernier par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin pour le vote du projet de loi constitutionnelle avait contribué aux tensions. « Parfois on a voulu précipiter les choses et c’est pour ça que ça n’a pas marché », note Manuel Valls.