Réduction de la durée d’indemnisation chômage des seniors : « Le discours de Bruno Le Maire n’est que financier et piétine le dialogue social »

Le ministre de l’Economie se dit « favorable à l’alignement de la durée indemnisation chômage des plus de 55 ans, qui est de 27 mois, sur celle des autres chômeurs, qui est de 18 mois ». Des propos qui passent mal au Sénat. « C’est très maladroit », dénonce la sénatrice LR Frédérique Puissat. « Je suis tombée de ma chaise », lance la sénatrice PS, Monique Lubin.
François Vignal

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C’est une déclaration qui en a surpris plus d’un. Le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, s’est prononcé jeudi sur France Info pour une baisse de la durée d’indemnisation chômage pour les plus de 55 ans, de 27 mois à 18 mois. Une déclaration faite alors même que les partenaires sociaux viennent de conclure un nouvel accord sur les règles de l’assurance chômage, mais qui ne porte pas sur les seniors.

« Je ne vois aucune raison pour qu’il y ait une durée d’indemnisation plus longue pour ceux qui ont plus de 55 ans par rapport aux autres », soutient Bruno Le Maire

« Si vous avez plus de 55 ans, la durée d’indemnisation, c’est 27 mois alors qu’aujourd’hui, le lot commun, c’est 18 mois. Pourquoi ? » a fait mine de s’interroger le ministre. « Qu’est-ce qui justifie qu’on ait encore des durées d’indemnisation différentes selon qu’on a plus de 55 ans ou moins de 55 ans ? », a lancé Bruno Le Maire, oubliant au passage de souligner que les seniors ont de grandes difficultés à retrouver un emploi quand ils se retrouvent au chômage. Mais pour le ministre, « c’est une hypocrisie, une façon de [les] mettre à la retraite de manière anticipée ». « Je ne vois aucune raison pour qu’il y ait une durée d’indemnisation plus longue pour ceux qui ont plus de 55 ans par rapport aux autres », a poursuivi le ministre. « Quand vous avez 28 mois d’indemnisation du chômage, on vous dit en fait : « Partez à la retraite tranquillement, on n’a plus besoin de vous » », dénonce le locataire de Bercy, qui ajoute que les plus de 55 ans « valent autant que les moins de 55 ans ».

Il a par ailleurs jugé « perfectible » l’accord sur l’assurance-chômage signé la semaine dernière par les syndicats et le patronat, notamment sur cette question des seniors. Bruno Le Maire critique aussi les mesures de financement qui figurent dans l’accord, avec « des dépenses certaines », comme des réductions de cotisations, compensées par « des économies improbables ».

« L’incitation à la reprise d’un d’emploi est assez faible » selon Bruno Le Maire

Des propos sur l’assurance chômage réitérés jeudi après-midi, devant le Sénat, en ouverture de l’examen du budget 2024. « Il est évident qu’avec une durée d’indemnisation du chômage de 27 mois pour les plus de 55 ans, alors qu’elle est de 18 mois pour les autres, l’incitation à la reprise d’un d’emploi est assez faible et que là aussi, de manière hypocrite et déguisée, on transforme l’assurance chômage en retraite. Je me refuse à valider ce modèle », a lancé devant les sénateurs Bruno Le Maire (voir la vidéo), avant d’ajouter :

 Il faut donc modifier ces règles. Je suis favorable à l’alignement de la durée de l’indemnisation chômage des plus de 55 ans, qui est de 27 mois, sur celle des autres chômeurs, qui est de 18 mois.  

Bruno Le Maire, ministre de l'Economie

Le ministre « souhaite » aussi « que les entreprises prennent leurs responsabilités pour donner aux seniors toute la place qui leur revient, pour qu’au-delà de l’index senior, on travaille à d’autres dispositifs qui permettent aux entreprises de garder les plus de 55 ans ».

Déjà deux réformes majeures de l’assurance chômage depuis 2019

Les règles de l’assurance chômage viennent pourtant d’être changées. Et pas qu’une fois. Il y a un peu plus d’un an, le Parlement adoptait un texte qui permettait de moduler les règles en fonction de la situation économique. Certains critères avaient été durcis au passage.

En 2019 déjà, une première réforme était décidée par Emmanuel Macron. Son entrée en vigueur avait été repoussée, à cause de l’épidémie covid-19. Des mesures avaient été censurées par le Conseil constitutionnel, puis l’entrée en vigueur du nouveau calcul suspendu par le Conseil d’Etat. Depuis décembre 2021, la réforme est finalement entrée en vigueur : durée minimale de travail ouvrant des droits portée à six mois, dégressivité de 30 % de l’allocation chômage pour les hauts revenus à partir du septième mois, accès à l’assurance chômage pour les salariés démissionnaires et les travailleurs indépendants, sous certaines conditions.

« L’encre de l’accord national interprofessionnel n’est absolument pas sèche, que déjà le ministre dit qu’il n’est pas d’accord », pointe la sénatrice Frédérique Puissat

Malgré ces multiples changements, la réduction de la durée d’indemnisation pour les plus de 55 ans pourrait pourtant se profiler, si les souhaits du ministre de l’Economie sont suivis. Ce qui étonnent pour le moins les sénateurs qui avaient travaillé sur la dernière réforme.

Pour la sénatrice LR Frédérique Puissat, « on est en réalité sur une intervention qui est essentiellement budgétaire, et non sur le fond de ce qu’est l’assurance chômage ». Celle qui était la rapporteure du texte sur l’assurance chômage, il y a un an, dénonce aussi « la capacité de Bruno Le Maire à piétiner le dialogue social. L’encre de l’accord national interprofessionnel n’est absolument pas sèche, que déjà le ministre dit qu’il n’est pas d’accord avec le rendu des partenaires sociaux. A aucun moment ils n’ont évoqué cette réduction des droits pour les plus de 55 ans ». Frédérique Puissat résume : « C’est très maladroit de sa part et ça relève d’un discours qui n’est que financier et ne tient pas compte des partenaires sociaux, il piétine le dialogue social ».

« Olivier Dussopt n’a pas du tout évoqué ce point »

La sénatrice est d’autant plus étonnée qu’elle en a « discuté avec le ministre du Travail, Olivier Dussopt, dont l’assurance chômage relève de son portefeuille ministériel. Et il n’a pas du tout évoqué ce point-là. C’était la semaine dernière, jeudi 16 novembre, quand on a voté le texte sur l’accord national interprofessionnel sur le partage de la valeur ».

La sénatrice LR de l’Isère trouve au passage « un peu fort de café le type d’argument » de Bruno Le Maire, qui soutient que la durée d’indemnisation pour les plus de 55 ans est utilisée comme une retraite déguisée.

« Dans l’esprit de Bruno Le Maire, les plus de 55 ans sont des profiteurs et des faignants », dénonce Monique Lubin

La socialiste Monique Lubin ne cache pas quant à elle être « très en colère ». « Je suis tombée de ma chaise » lance la sénatrice PS de la Gironde, auteure avec l’ex-sénateur LR, René-Paul Savary, d’un rapport sur l’emploi des seniors. « Déjà, l’argumentation… Je ne comprends pas comment on peut être aussi coupé des réalités. Son raisonnement, c’est si on réduit la durée d’indemnisation pour les plus de 55 ans, ils repartiront plus tôt au travail, donc dans son esprit, les plus de 55 ans sont des profiteurs et des faignants. Mais est-ce que Bruno Le Maire sait que lorsqu’on perd son emploi à 55 ans, on a très peu de chance de retrouver un emploi qualitatif en CDI ? » pointe du doigt Monique Lubin.

« Ce sont des gens qui ont du mal à retrouver du travail. […] C’est une insertion très difficile, car ils se retrouvent confrontés à des jeunes parfois plus adaptés au monde du travail et surtout, au niveau du salaire, qui sont moins en demande sur le plan financier », confirme la sénatrice LR Frédérique Puissat.

La durée d’indemnisation a déjà reculé de « 36 à 27 mois » pour les plus de 55 ans

« Est-ce que Bruno Le Maire sait qu’on a reporté l’âge de départ à la retraite ? Quelqu’un lui a dit ? Quand on est au chômage à 55 ans, pour atteindre la retraite à 64 ans, 9 ans de chômage, ça n’existe pas », rage encore la sénatrice PS, qui ajoute qu’« on continue de rechercher les économies toujours du côté des mêmes ».

Monique Lubin rappelle que les critères ont déjà été durcis pour les seniors. « Avant, la durée d’indemnisation était de 36 mois jusque début 2023. Ça a déjà été reculé de 36 à 27 mois », souligne la socialiste, pour qui « c’est évident » qu’une telle réforme placerait les personnes concernées dans la « précarité ». Elle ajoute : « Après, il ne faut pas s’étonner de voir monter partout l’extrême droite. Les gens au chômage, ont des difficultés. Ce n’est pas l’immigration qui leur fait peur, c’est ce genre de propos. Je trouve ça terrible ».

« Il y a pibale sous gravier, comme on dit chez moi »

La sénatrice PS regrette « un encadrement pervers du dialogue social, car jusqu’à preuve du contraire, l’Unedic est gérée par les partenaires sociaux. Et on leur dit ce qu’ils doivent faire… » Au final, Monique Lubin ne croit pas au simple ballon d’essai et craint que l’idée de Bruno Le Maire soit celle du gouvernement. « Il y a pibale sous gravier, comme on dit chez moi », lance Monique Lubin, autrement dit « anguille sous roche ».

La question de l’emploi des seniors fait l’objet d’un autre cycle de négociations entre partenaires sociaux, qui se sont engagés à trouver 440 millions d’euros d’économies lors des négociations futures. Tout juste amorcé le 21 novembre, ce cycle de discussions devrait durer jusqu’en mars 2024. Mais si les conclusions ne lui conviennent pas, l’exécutif peut imposer les siennes. Il a déjà démontré qu’il en était capable.

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