Reconversion de Jean-Baptiste Djebbari : comment la situation des anciens ministres est contrôlée

Reconversion de Jean-Baptiste Djebbari : comment la situation des anciens ministres est contrôlée

Rebondir dans le privé après un passage au gouvernement obéit à un certain nombre de vérifications, notamment pour éviter les prises illégales d’intérêts. Une prise de fonction dans le privé est soumise à un avis contraignant de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique.
Guillaume Jacquot

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Le gouvernement Castex vit ses dernières heures. Et plusieurs de ses membres ont préparé leur reconversion professionnelle. Jean-Baptiste Djebbari, le ministre délégué aux Transports, est l’un d’entre eux. Ce 16 mai, le conseil d’administration d’Hopium, constructeur français de voitures haut de gamme à hydrogène, a officiellement proposé la nomination du ministre comme administrateur. De par la nature des fonctions exercées au gouvernement, le pantouflage, c’est-à-dire la mobilité du public vers le privé, impose un certain nombre de vérifications d’ordre déontologique et de validations.

Depuis sa création en 2013, c’est à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) qu’il revient d’examiner et d’autoriser le passage des anciens ministres dans le secteur privé. La HATVP doit s’assurer qu’ils ne se placent pas dans une situation de prise illégale d’intérêts. Elle émet un avis préalable, qui est contraignant. L’avis peut conclure à une incompatibilité d’exercer la fonction visée. L’avis peut aussi conclure à une comptabilité, assortie de réserves. La Haute autorité impose alors des mesures de précaution, pour empêcher les conflits d’intérêts ou les entorses déontologiques.

Toute activité privée occupée dans les trois ans qui suivent la fin de la fonction ministérielle doit faire d’objet d’une saisie de la Haute autorité. La demande d’avis doit être adressée avant la prise de fonction, de préférence deux mois avant la prise de fonction, puisqu’il s’agit du délai d’examen de la HATVP. Dans sa demande, le ministre concerné doit notamment indiquer la nature de l’activité qu’il souhaite exercer et la date de prise de fonction envisagée. Et surtout, les liens qu’il a entretenus, dans le cadre de ses fonctions au gouvernement, avec l’entité dans laquelle il envisage de se reconvertir.

Le panel des activités vise aussi les activités libérales, les activités privées rémunérées, qu’il s’agisse d’une entreprise publique ou privée. Les établissements publics à caractère industriel et commercial (Epic) ou les groupements d’intérêt public (GIP) à caractère industriel et commercial, sont aussi concernés.

Un « responsable public ne peut pas se servir de ses fonctions pour préparer sa reconversion professionnelle »

Le contrôle que réalise la HATVP sur ce type de mobilité professionnelle est double. Elle se penche notamment sur l’éventualité de risques d’ordre pénal. Le Code pénal (article 432-13) interdit à un ancien responsable public de travailler « pour une entreprise qui était soumise à son pouvoir de surveillance ou de contrôle lorsqu’il exerçait des fonctions publiques, avec laquelle il a conclu des contrats ou à l’égard de laquelle il a pris ou proposé des décisions », rappelle la Haute Autorité. Lorsqu’elle estime que ce risque pénal peut être écarté, elle impose des réserves à l’ex-ministre.

Outre la dimension pénale, la HATVP se prononce également sur le plan déontologique. Elle doit s’assurer que l’activité dans le privé visée « ne porte pas atteinte à la dignité, à la probité et à l’intégrité des fonctions antérieures ». De plus, l’activité « ne doit pas révéler l’existence d’une situation de conflit d’intérêts ». La Haute autorité précise notamment qu’un « responsable public ne peut pas se servir de ses fonctions pour préparer sa reconversion professionnelle ». Parmi les autres vérifications, la HATVP doit s’assurer que l’activité envisagée par le ministre ne doit pas remettre en cause « le fonctionnement indépendant, impartial et objectif de l’institution publique dans laquelle l’intéressé a exercé ses fonctions ».

Dans le cas de Jean-Baptiste Djebbari, la HATVP a délibéré le 22 mars 2022 et a rendu un avis de compatibilité, assorti de réserves. L’avis a été rendu public ce 16 mai. Sur la base des déclarations du ministre, sur le volet pénal, elle estime que « le risque de prise illégale d’intérêts peut être écarté sous réserve de l’appréciation souveraine du juge pénal ».

Quant aux risques déontologiques, la HATVP souligne que Jean-Baptiste Djebbari a rencontré à deux reprises le PDG d’Hopium en 2021, mais également « plusieurs autres opérateurs » de la filière hydrogène. La Haute autorité note que la société que le ministre ambitionne de rejoindre « n’a bénéficié d’aucune subvention publique ». Elle en conclut qu’ « aucun élément n’est de nature à faire douter de la manière dont Monsieur Djebbari a exercé ses fonctions à l’égard de cette société ».

Un « suivi régulier », lorsque d’un avis favorable avec réserves est exprimé

Cependant, la HATVP pose certaines conditions à son feu vert, pour éviter « tout risque de mise en cause du fonctionnement indépendant et impartial de l’administration ». Dans le cadre de ses fonctions à Hopium, le ministre ne pourra pas entreprendre de démarche (y compris du lobbying) auprès de ses anciens collègues membres du gouvernement, des membres de son cabinet ou du ministère de la Transition écologique (son ministère de tutelle), ou encore des services dont il disposait en tant que ministre. Ces réserves s’appliqueraient durant les trois années suivant la fin des fonctions ministérielles de Jean-Baptiste Djebbari. La HATVP précise que le respect de ces obligations fera l’objet d’un « suivi régulier ».

La Haute autorité, présidée par Didier Migaud, rappelle au passage que le futur ex-ministre devra « s’abstenir de faire usage ou de divulguer des documents ou renseignements non publics dont il aurait eu connaissance du fait de ses fonctions ». Cette interdiction concerne tout responsable public, et « sans limite de durée ».

Auditionné le 27 janvier au Sénat, par la commission d’enquête sur l’influence croissante des cabinets de conseil sur les politiques publiques, le président de la HATVP Didier Migaud a toutefois indiqué qu’il était difficile pour son institution de contrôler le suivi des réserves émises. « Régulièrement, nous interrogeons les personnes et nous essayons de recouper les informations que ces personnes nous donnent avec des ressources ouvertes que nous pouvons consulter […] Je ne vous dirai pas que nous avons de moyens abondants », a-t-il reconnu. Une soixantaine de fonctionnaires composent la Haute autorité.

Relativement récente à l’échelle de l’histoire de la Ve République, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique est une véritable vigie pour le contrôle du pantouflage des anciens responsables publics. Fin 2018, elle avait saisi pour la première fois la justice dans le cadre de cette mission, soupçonnant une possible situation de prise illégale d’intérêts de la part de l’ancienne ministre de la Culture, Fleur Pellerin. La HATVP avait estimé que la ministre avait « méconnu ses réserves » en prenant pour client une entreprise privée avec laquelle elle avait conclu un contrat ou formulé un avis sur un contrat, à l’époque où elle occupait ses fonctions au gouvernement. Le parquet anticorruption a annoncé le 1er juillet 2021 un classement sans suite, après avoir conclu que « les actes d’enquête n’ont pas permis de caractériser l’infraction ».

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