Reconquête ! : l’appel à une coalition ne prend pas au Sénat

Reconquête ! : l’appel à une coalition ne prend pas au Sénat

Le parti d’Éric Zemmour propose la mise en place d’une coalition pour les législatives, estimant possible la constitution d’une majorité à l’Assemblée nationale. Au Sénat, où LR s’en tient à faire barrage à l’extrême droite, cet appel laisse perplexe, même si un petit noyau d’élus, très à droite du parti, considère que la reconstruction doit passer par un rassemblement.
Romain David

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Reconquête !, le parti d’Éric Zemmour, appelle à mettre en place « une plateforme » des droites d’ici les élections législatives des 12 et 19 juin prochains. Dans une tribune publiée mardi par Le Figaro, trois des principales prises de guerre du polémiste - la nièce de Marine Le Pen Marion Maréchal, l’ancien RN Nicolas Bay et l’ex-LR Guillaume Peltier - « appellent à une grande coalition des droites et des patriotes pour ces élections législatives qui associerait le parti Reconquête ! d’Éric Zemmour, le Rassemblement national, tous les candidats LR ou divers droite qui ne veulent pas devenir les députés supplétifs de la majorité d’Emmanuel Macron ainsi que Debout la France. » Chantre d’un rassemblement des droites, Éric Zemmour avait appelé ses électeurs à voter pour Marine Le Pen au soir du premier tour, après une campagne durant laquelle les deux leaders d’extrême droite se sont régulièrement invectivés. Un soutien sans négociation, a-t-il précisé. Avec cette tribune, les principaux cadres de son parti se projettent sur une élection souvent considérée comme « le troisième tour » de la présidentielle, les dernières enquêtes d’opinion confirmant l’avance d’Emmanuel Macron sur sa rivale au second tour. L’objectif : priver le président sortant, en cas de réélection, de sa majorité à l’Assemblée nationale. Du côté des LR, pas de réactions publiques à cet appel, mais dans les couloirs du Sénat, il vient nourrir certaines interrogations, déjà ravivées par l’élimination de Valérie Pécresse.

Depuis la sévère défaite de leur candidate au premier tour (4,78 % des suffrages), l’avenir de la droite taraude les sénateurs LR, dont le groupe, avec 147 élus en comptant les apparentés et les rattachés, reste à ce jour le principal groupe parlementaire d’opposition à l’actuelle majorité présidentielle. La semaine dernière, une (très) longue réunion de groupe a permis aux uns et aux autres de se positionner par rapport à la motion adoptée par le parti : « Aucune voix ne peut se porter sur Marine Le Pen », mais pas de consigne de vote non plus. Un jeu d’équilibriste qui doit permettre à la digue contre l’extrême droite, érigée en son temps par Jacques Chirac, de tenir, tout en évitant que le parti ne se fracture entre ceux qui sont prêts à déposer un bulletin de vote Emmanuel Macron au nom du front républicain, et les autres. Ce mercredi, dans un entretien au Parisien, Gérard Larcher, le président du Sénat, a insisté sur la nécessité de préserver une droite républicaine qui reste, pour l’heure, prise en étau entre LREM et l’extrême droite. « Il peut y avoir un risque d’éclatement de LR, je ne suis pas naïf. Mais si la seule alternance possible à Emmanuel Macron se situe aux extrêmes, alors, on finira un jour avec les radicaux au pouvoir », avertit le deuxième personnage de l’Etat. « C’est un risque que je ne veux pas faire courir à mon pays. Je pense qu’à LR, nous devons aller aux législatives sous nos couleurs. » Une position très largement majoritaire au sein du parti.

Pourtant, au Palais du Luxembourg, à la droite du groupe LR, l’idée d’une refondation qui passerait par un rassemblement des différentes droites, au-delà des partis, agite un petit groupe d’élus dont certains ont accepté de parrainer Éric Zemmour à la présidentielle. Mais la prudence, pour ne pas dire l’embarras des sénateurs interrogés par Public Sénat, trahit aussi l’impossible équation que pose l’idée d’un rassemblement à ces mêmes élus qui, bien que partisans d’une ligne plus droitière, ne se sentent « ni Zemmour, ni Le Pen », selon le mot d’une parlementaire.

« Envisager la victoire dès le mois de juin avec une majorité relative, voire absolue »

« Nous sommes peut-être arrivés à la fin d’un cycle, ce ne sont plus les partis qui comptent », avance auprès de Public Sénat le sénateur de la Côte-d’Or Alain Houpert, qui estime toutefois qu’il est difficile de poser ce débat avant de connaître l’issue du second tour. « Il est urgent d’attendre. Même si, pour préparer l’avenir, il faut préparer le terrain », explique cet élu, dont l'ancien attaché parlementaire, Loup Bommier, est devenu le responsable du pôle « élus locaux » de Reconquête !. Alain Houpert y est aussi allé de sa tribune, dans Valeurs actuelles la semaine dernière, pour appeler les électeurs à plébisciter en juin une majorité qui ne soit pas celle du prochain locataire de l’Elysée, « afin de rétablir un équilibre des pouvoirs ». « Il est important d’affaiblir le président – ou la présidente – qui sera élu. Nous avons vécu cinq années autocratiques avec Emmanuel Macron. Il faut que le gagnant l’emporte avec peu de voix pour que l’opposition parlementaire puisse de nouveau se faire entendre », développe-t-il auprès de Public Sénat.

Mais Les Républicains, bien que bénéficiant toujours d’un important enracinement local, sont-ils en capacité de créer la surprise aux législatives après une défaite historique à la présidentielle ? « Une coalition, on n’a jamais eu recours à ça en France, mais là, ça risque d’arriver », admet Alain Houpert. Dans la tribune du Figaro, Marion Maréchal, Guillaume Peltier et Nicolas Bay assurent que « la grande coalition qu’[ils] propos [ent] permettrait de qualifier des candidats communs dans près de 400 circonscriptions et d’envisager la victoire dès le mois de juin avec une majorité relative, voire absolue ». Ils estiment que l’entre-deux-tours est en train d’arrimer deux blocs sur l’échiquier politique. L’un articulé autour du président sortant, l’autre « organisé autour de LFI avec le Parti communiste, le NPA et EELV » - Jean-Luc Mélenchon, fort de ses 22 %, a appelé mardi à un rassemblement des gauches autour de l’Union populaire -, et qualifié selon un vocable cher à l’extrême droite de « grand bloc islamo-gauchiste ». Ils proposent donc la création d’un troisième bloc, constitué par les forces de droite. « Il est grand temps de construire une plateforme politique nouvelle qui s’accorde sur les fondamentaux sans renier les spécificités de chacun », écrivent-ils.

« Avec une coalition, on maintient cette logique de chapelles et des roitelets », soupire la sénatrice de l’Ain Sylvie Goy-Chavent. « Or, il faut quelqu’un qui donne le tempo, et qu’un grand nombre puisse s’y retrouver », explique-t-elle. « Il faudra composer une nouvelle droite », poursuit-elle, tout en s’interrogeant sur la méthodologie à suivre. Elle pense néanmoins qu’il est nécessaire de sortir des logiques partisanes pour retrouver le lien avec les électeurs : « Les gens ne croient plus du tout aux partis. Il faut mettre à jour un logiciel politique qui n’est plus celui des Français. »

Un programme commun de la droite

Ouvertement favorable à une union des droites, le sénateur Etienne Blanc s’inscrit dans la démarche de rassemblement que tente d’orchestrer Éric Zemmour. Mais pour lui, l’essayiste d’extrême droite, à huit semaines des législatives, s’y prend trop tard… ou beaucoup trop tôt. « Éric Zemmour, qui politiquement n’existait pas il y a un an, a fait une percée aux présidentielles. C’est un évènement important, toutefois, je ne suis pas sûr que son tropisme sur les questions identitaires, qui a trouvé un écho pendant la campagne, suffise pour les législatives où l’on attend un programme politique détaillé, sur des questions très concrètes », explique-t-il à Public Sénat. « Il faut un programme commun de la droite. C’est un travail préalable à tout rassemblement, un travail qui demande du temps. À gauche, il a fallu des années à François Mitterrand pour y parvenir. » À ses yeux, un rassemblement autour de propositions concrètes permettrait de dissoudre certains réflexes partisans. « Ce programme commun aura le mérite de mettre fin à la logique des partis et de nous affranchir de l’étiquette d’extrême droite, qui nous colle à la peau comme le sparadrap du capitaine Haddock, mais à la condition d’être intransigeant sur la défense des libertés publiques. »

« La droite, au sens large, partage les mêmes idées », assure le sénateur du Val-d’Oise Sébastien Meurant, qui a quitté LR avant le premier tour pour rallier Éric Zemmour. « Entre Reconquête et LR d’un côté, le RN de l’autre, il y a une vraie différence sur les questions économiques mais nous pouvons nous entendre sur trois axes : reconstruire l’Etat, la démocratie et la nation ! », soutient-il. « LR ne peut plus refuser la main tendue de Reconquête ! Un parti n’existe que s’il véhicule des idées, et LR ne véhicule plus rien. »

Un groupe dans le groupe

La recomposition de la droite pourrait bien avoir son aiguillon au Sénat, à travers un petit groupe d’élus LR, baptisé « le club des libertés ». Ce cercle a vu le jour il y a quelques semaines, une douzaine d’élus rassemblés autour du sénateur Alain Joyandet, soutien d’Éric Ciotti durant la campagne du congrès d’investiture pour la présidentielle. Contacté par Public Sénat, l’élu de Haute-Saône n’a pas donné suite à nos sollicitations. Tout serait parti de la tribune publiée par vingt sénateurs LR le 15 février, pour réclamer la suspension immédiate du passe vaccinal. Comme vous l’avait raconté Public Sénat à l’époque, dans cet article, une partie des signataires s’était ensuite retrouvée non loin du Palais du Luxembourg pour boire un verre. Un moment convivial entre amis, auquel s’étaient notamment joints Sébastien Meurant, Alain Houpert, Etienne Blanc et Sylvie Goy-Chavent. Deux mois plus tard, ils seraient une vingtaine de sénateurs à graviter autour de ce « club des libertés », selon les confidences de plusieurs parlementaires. « Il s’agit de porter au Sénat la reconstruction de la droite, en partant des questions de libertés fondamentales », assume Etienne Blanc. « Le soutien des LR au passe vaccinal a été une erreur politique », développe Alain Houpert, pour qui le groupe a miné son rôle d’opposition en acceptant de soutenir le dispositif - largement amendé - voulu par Emmanuel Macron pour lutter contre la pandémie de covid-19. « Il n’est pas question de quitter le groupe, nous y sommes toujours. Peut-être plus profondément que d’autres car nous restons gaullistes », précise-t-il.

Certains sénateurs tiennent toutefois à désamorcer d’éventuels fantasmes : « Nous n’avons pas vocation à renverser la table à droite », explique l’une des membres du « Club des libertés ». « Il ne s’agit pas d’un cheval de Troie de l’union des droites », assure encore Sébastien Meurant, qui indique n’avoir reçu aucun courrier ou mail lui signifiant son exclusion officielle du groupe LR (il n’est toutefois plus référencé sur le site internet du groupe). « Il y a une idée de défaite dans ce concept. Là, l’idée, c’est de faire en sorte que la droite gagne. »

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