Financer la base industrielle de technologie et de défense, c’est « le nerf de la paix », affirme le ministre de l’économie, Eric Lombard, à l’occasion de la réunion à Bercy entre des ministres, des industriels du secteur de la défense ainsi que des banques, des assureurs et des fonds d’investissement. Ce matin, sur TF1, le ministre estimait les besoins du secteur de la défense à environ « 5 milliards d’euros de fonds propres, de capitaux nouveaux » pour augmenter les cadences de production de l’industrie de la défense dans le cadre de l’effort national de défense. Au total, 1,7 milliard d’euros de fonds publics seront mobilisés, notamment à travers la Banque publique d’investissement et la Caisse des dépôts (voir notre article).
Ces financements doivent également permettre de renforcer les capacités d’innovation des entreprises de la base industrielle et technologie de défense (BITD) afin de combler les lacunes françaises dans le domaine, notamment dans le cyber. Pour rappel, le secteur industriel de défense français englobe 4 500 entreprises dont 9 grands groupes d’envergure mondiale. « Nous devons être en capacité de mieux soutenir la trésorerie des entreprises de la BITD », rappelle d’ailleurs Eric Lombard soulignant la diversité des entreprises. Dans un contexte d’accroissement de la commande publique d’armement, le ministre des armées, Sébastien Lecornu, compte également sur les leaders pour irriguer le secteur. « Les grandes entreprises doivent davantage animer la filière. Il ne peut pas y avoir 40 milliards en autorisations d’engagement de commande publique en armement sans que cette visibilité historique ne se traduise aux quatre coins des filières », insiste le ministre.
Outre l’augmentation de la commande publique, les mesures annoncées par le ministre de l’économie ont convaincu la plupart des sénateurs présents à Bercy, ces derniers se réjouissant d’une prise de conscience sur les besoins de financement de la BITD.
« Cette réunion est positive, elle favorise une prise de conscience de tous les acteurs »
« Pour le moment, je trouve que cette réunion et les déclarations vont pour la première fois dans le bon sens, l’ensemble des questionnements est posé, on est sorti du déni », se félicite Pascal Allizard (LR), sénateur du Calvados et auteur d’une proposition de loi relative au financement de la base industrielle et technologie de défense. Adopté au Sénat, mais jamais examiné à l’Assemblée nationale, le texte proposait notamment de mobiliser une partie des ressources du livret A pour financer les entreprises de l’industrie de la défense. La proposition de loi ajoutait aussi le soutien à la base industrielle et technologique de défense (BITD) à la liste des missions de Bpifrance.
Une démarche également saluée par le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, Cédric Perrin qui salue un « bon état d’esprit ». « Cette réunion est positive, elle favorise une prise de conscience de tous les acteurs », abonde le sénateur socialiste, Rachid Temal. « Maintenant, on va organiser le suivi de la mise en place des engagements », assure Pascal Allizard.
Un soutien en fonds propres jugé pertinent par les sénateurs
Parmi les principales mesures annoncées, le ministre de l’Economie a défendu la création d’un nouveau fonds de 450 millions d’euros par la BPI. Ce placement sera accessible à partir de 500 euros et bloqué pour une période donnée. D’autres fonds de la BPI seront également réabondés ou prolongés. La Caisse des dépôts a également annoncé qu’elle ferait évoluer sa doctrine d’investissement pour intégrer plus facilement les entreprises de défense. Un recours à l’investissement public salué par l’ensemble des sénateurs. « Cela va permettre de créer un effet de cliquet et d’investir 1,7 milliard pour en récupérer 3 ou 4 », s’enthousiasme Cédric Perrin. « Sur les besoins de fonds propres, les dispositifs me paraissent efficaces », confirme Rachid Temal qui émet tout de même un bémol sur la création du fonds de 450 millions d’euros par la BPI. « Ce n’est pas la bonne échelle, pour des millions de Français il faut des produits d’épargne simple, à partir de 500 euros il ne sera jamais un produit d’appel », estime le sénateur socialiste.
« Nous nous sommes toujours opposés à l’utilisation du livret A pour le réorienter sur l’armement. On a un nouveau placement financier, pourquoi pas, mais je ne suis pas convaincu de son efficacité. Tout cela manque d’une vision globale, il faut déjà voir comment nos industriels sont en capacité de pouvoir suivre. La fermeture d’une entreprise comme Vencorex qui produit du chlore qui sert pour nos missiles nucléaires, cela ne fait pas sourciller le Premier ministre », s’étonne Guillaume Gontard, président du groupe écologiste au Sénat qui s’étonne de l’absence de vision globale concernant l’industrie de défense.
Alors que le recours à l’épargne fait consensus dans une large partie de l’hémicycle, le sénateur communiste, Pascal Savoldelli, déplore que cela se fasse « sans aucun vote ».
« Il y a un gros manque : il faut que le livret défense et souveraineté soit mis en place »
Pour Rachid Temal, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, il manque cependant un outil financier. « Il y a un gros manque : il faut que le livret défense et souveraineté soit mis en place. Il faut un acte volontaire dans l’épargne pour mobiliser les Français avec une participation volontaire. C’est essentiel car cela permet aussi une prise de conscience », insiste le socialiste auteur d’une proposition de loi sur le sujet. Une demande exprimée dans une tribune signée par plusieurs parlementaires de divers horizons. Également signataire de la tribune, Cédric Perrin se montre plus mesuré : « Peu importe le véhicule, il faut faire comprendre qu’il y a une nécessité absolue de financer l’industrie de la défense ».
Faciliter l’accès au crédit, un enjeu majeur
A ce titre, le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées se réjouit des propos d’Eric Lombard concernant l’accès au crédit pour les entreprises de la BITD. En déclarant qu’investir dans la défense est un investissement « responsable » et que la fabrication d’armes « n’est pas sale », le ministre de l’économie a voulu « clarifier un malentendu qui concerne la doctrine ESG ». Les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), sont particulièrement scrutés par les investisseurs pour déterminer les performances extra-financières d’une entreprise. « Il est excellent de considérer que le financement de la défense n’est pas quelque chose de sale. On veut que les banques acceptent de financer la défense. Il faut arrêter de considérer qu’il y a des armes controversées et que cela ne rentrerait pas dans les critères ESG des banques. Ce qui est légal peut être financé, point », détaille Cédric Perrin.
Pour Pascal Allizard, les prises de position du gouvernement doivent permettre de favoriser l’accès au crédit des entreprises de la BITD. « C’est un point extrêmement important de dire qu’il n’y a pas d’armement spécifique, une banque ne pourra plus opposer ses règles de compliance pour ne pas financer une entreprise de la BITD », considère le sénateur du Calvados. Si plusieurs grands groupes bancaires présents à la réunion, comme BPCE ou BNP Paribas, ont annoncé qu’ils allaient accroître leurs engagements dans le secteur de la défense, cela reste insuffisant pour Rachid Temal. « La question de l’accès au crédit pour les entreprises qui veulent chercher de nouveaux contrats ne va pas assez loin, c’est un sujet qui n’est pas couvert », déplore le sénateur socialiste.