Il y a un peu moins d’un an, Eric Ciotti prenait la tête des Républicains, face au président du groupe LR du Sénat, Bruno Retailleau. Depuis, il tente de mener la barque LR, dans un contexte d’instabilité politique inédit, du fait de la majorité relative à l’Assemblée. Elle place la droite républicaine autant en position de force, que dans un entre deux mortifère, où les LR n’en finissent plus de se débattre pour tenter d’exister entre le RN et les macronistes.
« Quand il a été élu, les gens pensaient acheter une droite forte et claire »
Si la position de chef vous place toujours en première ligne des critiques, les événements des derniers jours ont exacerbé les tensions chez les LR, notamment du côté de la Haute assemblée. Sur le projet de loi immigration, les critiques portées par Eric Ciotti contre le texte issu du Sénat, où la droite a pourtant largement durci le projet de loi, sont mal passées, tout comme sa volonté de ne pas se rendre au rendez-vous avec Emmanuel Macron, ce vendredi. Pour le président des LR, le compromis conclu avec les centristes, « qui introduit dans la loi le principe de régularisation, me gêne », a-t-il lâché dans Le Figaro. « Ce texte n’inversera pas les grandes tendances qui nous ont conduits à accueillir près de 2 millions d’étrangers depuis l’élection d’Emmanuel Macron », affirme le député des Alpes-Maritimes, qui rappelle la nécessité de voter la proposition de loi constitutionnelle des LR sur l’immigration, déposée à la fois à l’Assemblée et au Sénat.
Sous couvert d’anonymat, des sénateurs ou des cadres du parti n’ont pas vraiment des mots d’amour pour Eric Ciotti. « Il y a beaucoup, beaucoup de grogne en interne, notamment chez les parlementaires et notamment chez les sénateurs, qui commencent à en avoir ras-le-bol », lâche un sénateur. « Il n’y a pas de ligne politique, pas de colonne vertébrale », tranche une sénatrice. « Les électeurs retiennent surtout que les motions de censure ne vont pas au bout. Quand il a été élu, les gens pensaient acheter une droite forte et claire. Et en fait, le soupçon s’est installé sur sa capacité à véritablement être dans l’opposition », pense un responsable LR, qui ajoute :
Une sénatrice LR, « très inquiète sur comment ils vont aborder le texte », n’exclut pas une part de « jalousie chez nos collègues députés », qui n’ont pas commencé le texte. « Il y a un groupe à l’Assemblée qui est un groupe de 62 autoentrepreneurs sur lequel ni Eric Ciotti, ni Olivier Marleix, n’a véritablement de prise, ni a insufflé de collectif, comme on le fait au Sénat. On voit une course à l’échalote qui fait qu’Eric Ciotti est pris entre plusieurs lignes », analyse cette sénatrice, qui craint la surenchère. « On peut marquer notre ligne, nos valeurs, sans pour autant aller dans un degré de jusqu’au-boutisme qui fait qu’on est sur la même ligne intégrale que le RN. Et comme on a l’habitude de le dire, on préférera l’orignal à la copie et ça montrera toutes ses limites », lâche cette sénatrice LR.
Un cadre des LR interrogé est plus mesuré. « Ciotti a bien joué sur l’immigration, il a fait un bon coup avec Retailleau, quand ils ont demandé un bouclier constitutionnel dans le JDD. Par contre, le problème, c’est le suivi. Et Retailleau s’est fait coincer par Larcher sur la recherche d’un accord avec les centristes », analyse cet élu LR, qui ajoute : « Le sujet, ce n’est pas le fond du texte immigration, c’est de ne pas donner une victoire à Darmanin. Et plus vous durcissez le texte, plus ça peut provoquer une explosion au sein de la majorité présidentielle ».
« Beaucoup de sénateurs LR demandent l’exclusion d’Aurélien Pradié »
Quand ils pensent aux députés, les sénateurs ont surtout en tête, et dans leur collimateur, Aurélien Pradié. Le député du Lot a dénoncé la mouture sénatoriale du projet de loi, y voyant un « renoncement » et le texte « des centristes ». « Nous n’avons pas le droit de tromper les Français », attaque-t-il dans La Tribune. « Il vaut mieux entendre ça que d’être sourd. Il faut qu’il travaille, qu’il le lise […] C’est comique, c’est une plaisanterie », a réagi au micro de Public Sénat Bruno Retailleau.
Son cas a largement été évoqué mardi dernier en réunion de groupe. « Pradié descend en flèche le texte du Sénat. Beaucoup de sénateurs LR demandent son exclusion », confie l’un d’eux, qui note que si les sénateurs avaient seulement supprimé l’article 3 sur les régularisations, « on serait sous le régime de la circulaire Valls, alors que nous l’avons durci en plus ». Pour ne pas arranger son cas, le député du Lot avait déjà fait des siennes au moment des retraites. « Il a été sanctionné, car il n’est plus vice-président. Mais là, il doit être exclu du parti. On me dit qu’on va en faire un martyr. Mais au stade où en est… Ça a été un débat interne au groupe », raconte l’un de ses membres.
« C’est un chef qui ne cheffe pas »
Par ricochet, le cas Pradié percute aussi Eric Ciotti, accusé de manquer d’autorité. Un sénateur LR, d’une certaine expérience, rhabille ainsi le président des LR : « C’est un chef qui ne cheffe pas. Comme disait Sarkozy, un chef, c’est fait pour cheffer. Quand il est dans la réunion de l’exécutif, il ne tranche pas. Le cas typique, c’est Pradié », selon ce sénateur, qui pointe « un manque de charisme ». « Mes collègues sont excédés par l’individualisme et l’égocentrisme de Monsieur Pradié. Et ce qu’ils reprochent à Eric Ciotti, c’est de ne pas trancher dans le vif, et de ne pas lui dire, à un moment, vous prenez la porte », confirme une sénatrice LR.
Pour ses partisans les plus proches, le député des Alpes-Maritimes n’est pas attaquable sur ce point. « Eric Ciotti a fait son travail. Il a enlevé toutes ses responsabilités à Aurélien Pradié. Après, il y a des décisions à prendre au niveau du groupe, mais ça ne relève pas de lui », souligne un soutien, qui craint « l’image donnée par le parti, si on exclut à partir du moment où il y a une voix dissonante ».
« Sur le texte immigration, Eric Ciotti n’a pas caché sa déception sur la rédaction de l’article 4 bis »
Sur le fond, une parlementaire LR défend la position de son chef de parti. « Sur le texte immigration, il n’a pas caché sa déception sur la rédaction de l’article 4 bis. Il n’était pas satisfait et le gouvernement était ravi du texte, qui n’était pas tant que ça en opposition avec le texte initial. Darmanin s’est réjoui d’avoir une mesure de régularisation dans le texte », raconte-t-on. Mardi, lors d’une réunion du shadow cabinet au siège du parti, « il a clairement exprimé auprès de certains qu’il était un peu déçu sur la manière dont le texte avait été manié ». Valérie Boyer, sénatrice LR, prend aussi sa défense. « Ce texte n’est pas suffisant, c’est la raison pour laquelle nous voulons une réforme constitutionnelle, ça, tout le monde le dit », rappelle la sénatrice LR des Bouches-du-Rhône.
Son absence annoncée à la rencontre entre Emmanuel Macron et les présidents de parti est mal comprise aussi. « A sa place, je n’aurais pas fait pareil », a affirmé mercredi, au micro de Public Sénat, Marc-Philippe Daubresse, sénateur LR du Nord. Un sentiment partagé. « Je suis contre, ça rajoute encore de l’ambiguïté. Gérard Larcher y sera. C’est, que je sache, un membre éminent de notre famille politique », ajoute une de ses collègues LR. « Sur les rencontres de Saint-Denis, ce n’est pas forcément une bonne idée car vous laissez le RN être l’interlocuteur du Président », pointe encore un cadre.
« Eric Ciotti a mis en place énormément d’actions collectives », défend Alexandra Borchio Fontimp, « il passe son temps à parler, à écouter, à échanger »
Quant à la vie du parti, c’est plus partagé. Le sentiment est plutôt positif, mais les critiques fusent quand on évoque l’homme. « Le management d’Eric est assez sec. Il n’y a pas du tout de compagnonnage. Il est tout sauf chaleureux. Ça ne manque pas de malice. On voit qu’il sait faire. Mais ça manque de lisibilité », tranche un cadre, qui ajoute : « Il avait promis le RPR, et en réalité, il dirige vraiment en solidaire, avec quelques conseillers qui sont essentiellement des sarkozystes, pas du tout représentatifs ».
Alexandra Borchio Fontimp, sénatrice LR des Alpes-Maritimes et porte-parole des LR, défend elle l’action menée depuis près d’un an à la tête du parti. « En tant que président, Eric Ciotti a mis en place énormément d’actions collectives, une école de formation qui permet à tous les militants de France de se former. Il organise énormément d’événements, comme les états généraux tous les mois. Il n’y a jamais eu autant de réunions entre les deux chambres. Je ne vois pas quel faux pas il aurait pu faire en tant que Président des LR. Il passe son temps à parler, à écouter, à échanger », soutient Alexandra Borchio Fontimp, qui insiste :
« Je trouve qu’il est courageux. Il est travailleur, il bosse tout le temps. Il a beaucoup modernisé le parti, l’a ouvert. La nuit de l’écologie s’est très bien déroulée, c’était hyper intéressant », se souvient Valérie Boyer.
Même chez les plus critiques, on reconnaît quelques réussites en la matière. « Il a réussi l’école de formation », confirme un cadre. « Le journal des médias, le shadow cabinet, des masters class sur différents sujets, c’est plutôt réussi. Ça fonctionne relativement bien », salue une sénatrice LR. Mais un autre élu LR trouve à redire et remarque « qu’il ne se déploie pas beaucoup dans les territoires pour vitaliser les fédérations. Il y a une perte de militantisme actuellement. Il y a eu des élections, dont il y a plus de fausses cartes qui sont faites, mais les vieux de la vieille, qui sont rentrés sous Chirac, ils n’en peuvent plus ».
« Si on finit en dessous de 5 % aux européennes, c’est fini. Dans ce cas, ça veut dire qu’Eric Ciotti va sauter »
Le premier grand test pour Eric Ciotti sera assurément les élections européennes de juin prochain. Et beaucoup l’attendent déjà au tournant. « Ce sera le test du rassemblement. La tentation peut être de mettre en position éligible que ses soutiens, les Nadine Morano, Geoffroy Didier, etc. Ou est-ce qu’il prend la meilleure liste pour gagner ? » demande un cadre, qui craint « une tentation d’aller prendre des électeurs du centre droit ».
Si les 8,5 % de François-Xavier Bellamy étaient une déception en 2019, ce serait aujourd’hui perçu comme un bon score… « Si on fait moins de 5 %, les conséquences seraient dramatiques. On n’aurait pas d’élu. Et ce n’est pas quelque chose d’absolument insensé… » glisse une sénatrice. Elle ajoute : « S’il y a un cataclysme aux européennes, ça veut dire qu’on n’existe plus. Ça voudrait dire que c’est l’occasion de tout balayer et de repartir sur de nouvelles bases ».
« Les sondages nous donnent autour de 6 %, comme Marion Maréchal. Et on n’a pas commencé la campagne. Si on finit en dessous de 5 %, c’est fini. Dans ce cas, ça veut dire qu’Eric Ciotti va sauter. Après, il y a une refondation, un changement de nom peut-être, on verra », lâche un sénateur LR. Un certain Laurent Wauquiez avait aussi démissionné de la tête des LR après le scrutin de 2019. Le même conclut : « LR joue beaucoup et pourrait exploser en plein vol ». Après la claque de la présidentielle, ce ne serait pas la première explosion. Mais ce ne sera pas ici un moteur. Au bout, il ne restera que des miettes des LR, éparpillées entre les macronistes et le RN.