Pêche post-Brexit : un rapport sénatorial dresse un constat sévère sur les négociations sur les licences

Pêche post-Brexit : un rapport sénatorial dresse un constat sévère sur les négociations sur les licences

Alain Cadec, sénateur LR des Côtes-d’Armor, dévoile ce 15 décembre plusieurs propositions pour soutenir les pêcheurs français, dans la crise de l’après-Brexit. Il dénonce la stratégie « erratique » de la France dans le dossier de l’octroi des licences de pêche par les Britanniques.
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L’heure tourne. Emmanuel Macron souhaite que la crise des licences de pêche, qui oppose la France au Royaume-Uni, s’achève « d’ici Noël ». Sinon, « on sortira du dialogue », a-t-il averti. Voilà près d’un an que le dossier s’enlise. Selon l’accord sur la sortie Royaume-Uni de l’Union européenne, les pêcheurs européens doivent renoncer à l’horizon 2026 à 25 % de leurs captures dans les eaux britanniques. Avant cette échéance, une période de transition est prévue, durant laquelle les pêcheurs de l’Union peuvent obtenir des licences pour accéder aux eaux britanniques, à condition de justifier qu’ils étaient dans cette situation avant le Brexit. L’enjeu est essentiel pour la France, puisqu’un quart des ressources de sa pêche provient des eaux britanniques.

Après un an d’un bras de fer entre Londres et Paris, un rapport du sénateur breton Alain Cadec (LR) rappelle que « l’application défaillante » de l’accord a notamment été dommageable pour les petits pêcheurs. Missionné par la commission des affaires économiques, et celle des affaires européennes, il formule plusieurs propositions pour éviter que les pêcheurs français ne deviennent les « victimes collatérales du Brexit ».

Les Britanniques craignant des effets d’aubaine pour les pêcheurs qui n’opéraient pas dans leurs zones auparavant, et les litiges portent donc sur les preuves de l’antériorité d’une pratique de pêche dans leurs eaux. Or, beaucoup d’entreprises de pêche françaises sont artisanales. Leurs petits bateaux sont dispensés de certains équipements comme des balises. Ils ne sont pas en état de fournir des données de géolocalisation et doivent donc fournir d’autres justificatifs, et cela, dans un circuit administratif très complexe.

Demande d’autorisations temporaires de pêcher

Selon le rapport sénatorial, sur 1 110 licences demandées par les pêcheurs français, 1 034 ont été définitivement accordées le Royaume-Uni. Il a même fallu 347 jours « pour que seulement 300 licences soient accordées ». À ce jour, « 74 licences n’ont pas encore été délivrées, c’est inacceptable. Cela manifeste de la mauvaise foi des Britanniques, qui interprètent le Brexit à leur manière », a indiqué le sénateur Alain Cadec, au cours d’une conférence de presse ce 15 décembre. « Si on respecte l’accord, toutes les licences demandées doivent être accordées, elles remplissent tous les critères. Je considère que les Britanniques se foutent de nous. »

Durant le traitement des demandes de licence, il recommande que les navires européens puissent bénéficier « par principe », d’une autorisation temporaire de pêcher dans les eaux britanniques. Selon lui, l’Union européenne doit aussi « exiger » un cahier des charges précis de la part du Royaume-Uni s’agissant des critères d’octroi des licences. Pour faciliter l’établissement des preuves côté européen, le rapport préconise une série de mesures techniques, mais aussi d’accélérer l’obligation d’équipement en balises de géolocalisation pour les navires de moins de 12 mètres.

Le rapport s’inquiète surtout des modalités techniques (comme les équipements obligatoires des navires) que Londres est en mesure d’exiger. Certaines entrent en vigueur dès janvier 2022. Ces exigences font planer « une incertitude encore plus grande » sur la possibilité de pêcher dans les eaux britanniques. « Ils vont continuer à prendre des petites mesures qui embêtent les pêcheurs européens », redoute le sénateur des Côtes-d’Armor. Alain Cadec appelle l’Union européenne à la plus grande vigilance. « Il est essentiel que ces décisions, qui doivent selon les termes de l’accord être fondées scientifiquement, ne soient pas prises de façon discriminatoire pour renforcer des barrières à l’entrée ciblant les pêcheurs européens », demande le parlementaire.

Plus que la « passivité » des autorités européennes, Alain Cadec incrimine la ligne de conduite de la France et de l’Élysée dans l’échec de l’application de l’accord. « La stratégie de négociation française s’est avérée erratique, alternant entre annonces de mesures de rétorsion d’une particulière sévérité et appels à la désescalade », déplore le sénateur.

>> Lire aussi : Pêche post-Brexit : une procédure en contentieux contre Londres n’est pas exclue, prévient Annick Girardin

Il note d’ailleurs que ces mesures de rétorsion bilatérales qu’envisagerait la France n’auraient aucune base légale, puisque seule l’Union européenne est partie de l’accord, avec le Royaume-Uni. Certaines, comme des menaces d’arrêt des approvisionnements en électricité, sont qualifiées d’irréalistes, voire d’illégales, comme le blocage des marchandises en provenance du Royaume-Uni, au travers de contrôles douaniers systématiques. « Contreproductives dans la négociation, elles n’ont fait qu’entamer la crédibilité de la parole publique des autorités françaises », écrit Alain Cadec. « C’est à la Commission et non à la France que revient en droit la prérogative de prendre d’éventuelles mesures correctives. » Le rapport sénatorial souligne que c’est bien l’UE, et non aux Etats membres, qui dispose d’un mandat dans l’obtention des licences de pêche.

Le rapport demande un arrêt de tout projet de « plan de sortie de flotte »

La perspective d’un « plan de sortie de flotte » évoquée par la ministre de la Mer, Annick Girardin, est encore plus sévèrement critiquée. En clair, pour les navires qui n’auraient pas obtenu de licence, le gouvernement propose, sur la base du volontariat, l’indemnisation des entreprises en échange d’une destruction du navire. Le fait d’avoir remis cette option sur la table en novembre a « donné le signal d’un renoncement des autorités françaises », insiste le rapport. Ces plans de sortie de flotte pourraient avoir des conséquences en cascade dans la filière. Le Sénat rappelle que pour un emploi en mer, on estime qu’il y aurait en moyenne quatre emplois à terre. Il y a en France 13 270 marins-pêcheurs embarqués, un gros tiers en mer Celtique, Manche et mer du Nord.

Le sénateur Alain Cadec demande « d’abandonner officiellement » tout projet de plan de sortie de flotte. « Ce plan aurait pour objet de diminuer notre capacité de pêche, qui est à un étiage actuellement. Il n’y a pas de raison de la diminuer de façon importante », a-t-il fait savoir ce mercredi. En cas de besoin, il préconise plutôt des arrêts indemnisés (comme ce qui a été mis en place pour le covid-19) des navires un à deux mois de l’année, en cas de difficultés d’accès aux eaux britanniques. Le rapporteur rappelle au passage qu’il serait « particulièrement inapproprié » que le gouvernement envisage de financer le plan de sortie de flotte avec la Réserve d’ajustement au Brexit. Ce fonds européen de 5 milliards d’euros, dont la France est l’un des principaux bénéficiaires, vise à soutenir les régions et secteurs les plus affectés par le Brexit. Alain Cadec considère que la partie réservée à la pêche doit financer des actions de modernisation, et non un plan de sortie de flotte.

« On ne peut pas se résoudre à importer toujours plus de poissons et à voir nos ports se vider de toute activité dans les décennies qui viennent ».

Le gouvernement prié d’anticiper la période de l’après 2026 pour la pêche française

Alain Cadec ne fait toutefois pas de la question de l’octroi de licence le point le plus difficile des discussions avec les Britanniques. Les véritables inquiétudes se situent après 2026, selon lui. Il s’agit de la fin de la période transitoire, et donc de la sécurisation de 75 % des quotas dans les eaux britanniques. « L’insécurité juridique sera permanente pour les pêcheurs français », anticipe Alain Cadec, qui espère une « réponse institutionnelle forte », au risque de voir surgir des mouvements sociaux importants de la profession.

D’autant que les nuages sombres s’accumulent au-dessus des pêcheurs : aux pertes de la crise du covid-19 et des conséquences de l’accord du Brexit, s’ajoutent la perspective d’une réduction des TAC, les Totaux Admissibles de Captures (quantités maximales de poissons d’une espèce pouvant être prélevées sur une zone donnée, pendant une période donnée). Sans compter la hausse du prix de l’énergie.

Le rapport suggère de négocier une hausse temporaire des totaux admissibles de capture dans les eaux européennes « pour les États ayant souffert de restrictions d’accès dans les eaux britanniques », sous le contrôle des scientifiques. Il demande aussi un « front uni » de l’Union européenne pour récupérer des quotas britanniques dans les eaux norvégiennes et islandaises. Les Européens auraient aussi tout intérêt à imposer à Londres le principe de négociations pluriannuelles pour les quotas de pêche, à partir de 2026, selon le Sénat. Ce sera tout l’enjeu du prochain quinquennat. Dans son rapport, Alain Cadec presse notamment les différents candidats à l’élection présidentielle d’exposer leur « vision » sur la pêche.

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