La Commission européenne devrait pouvoir entrer en fonction dès le 1er décembre après l’accord entre les trois principaux partis européens sur le collège des commissaires. Un accord qui illustre la place centrale de la droite européenne, prête à s’allier avec l’extrême droite.
Qu’est-ce que le « commissaire à la Méditerranée » qu’Ursula von der Leyen propose ?
Ursula von der Leyen vient d’être confortée par les députés européens pour un second mandat à la tête de la Commission. Dans son programme pour les 5 ans à venir, elle s'est engagée à créer un portefeuille de commissaire, séparé, dédié à la Méditerranée. Un premier pas timide pour renforcer les liens fragiles et distendus entre l’Union européenne et les pays de cette région
Par Audrey Vuetaz
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« La région méditerranéenne devrait retenir toute notre attention, c’est pourquoi je proposerai un commissaire pour la région qui se concentrera sur les investissements et les partenariats, la stabilité économique, la création d’emplois, l’énergie, la sécurité, les migrations et d’autres domaines d’intérêt mutuel, dans le respect de nos valeurs et de nos principes ». Quelques phrases dans un discours touffu et pléthorique d’une heure. Ursula von der Leyen les a prononcées à la tribune devant les parlementaires européens, au moment de les convaincre de la reconduire pour un second mandat à la tête de l’exécutif.
Avec ces mots Ursula von der Leyen laisse penser qu’elle souhaite plus s’intéresser à cette région. Mais la tache est immense car les liens entre l’Union européenne et les pays de la Méditerranée sont fragiles et distendus. « Ils ont été construits dans des contextes qui sont aujourd’hui obsolètes, » explique Elena Aoun professeure et chercheuse en relations internationales à l’Université catholique de Louvain, « or les situations se sont complexifiées depuis le début des « Printemps arabes », elles sont par exemple en panne en Libye, en Syrie, mais aussi dans un cas de figure moins violent en Tunisie. » La professeure pointe une approche superficielle de l’Union européenne dans ses relations, trop souvent dominée par une obsession migratoire et une attitude professorale.
« On a raté notre coup en Méditerranée depuis trente ans, complète l’amiral Pascal Ausseur, directeur général de la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques, tout s’est structuré autour du processus de Barcelone en 1995. On a considéré qu’il y avait une convergence quasi-automatique vers le modèle européen et occidental et qu’avec du temps et de l’argent les différences entre les deux rives allaient se réduire mécaniquement. Or, elles n’ont jamais été aussi éloignées qu’aujourd’hui. Le modèle européen ne fait plus rêver. »
Jusqu’à présent la relation de l’Union européenne avec son voisinage faisait partie du portefeuille du Haut représentant de l’UE pour la Politique étrangère et de Sécurité, au même titre que l’intégration des pays candidats. Avec ce nouveau commissaire, les deux domaines seraient séparés. « C’est une bonne chose, souligne Pascal Ausseur, cela montre qu’on accepte petit à petit, même si c’est dur pour l’ego des Européens que les populations du Sud ne souhaitent plus nécessairement leur ressembler. Cela peut nous permettre de retrouver une relation équilibrée avec le Sud, en acceptant que nous n’ayons pas les mêmes modèles sociétaux, politiques ou encore économiques. On sort de la relation de tuteur à élève. »
L’Europe, championne de la politique déclaratoire ?
Elena Aoun est plus réservée vis-à-vis de l’annonce d’Ursula von der Leyen, d’autant qu’elle a été faite dans un contexte électoraliste. « Il faudra juger sur pièce, mais il est vrai que l’Union européenne a montré par le passé qu’elle était championne au niveau des discours et que cela ne se vérifie pas forcément dans les actes. Il faut savoir qui sera désigné et quel sera son champ d’action. Pour l’instant j’ai l’impression que c’est une manière de monter que l’UE agit, à peu de frais. »
Des réserves renforcées par la suite du discours de la présidente ; Ursula von der Leyen a promis d’accorder une plus grande attention à la guerre qui se déroule à Gaza. Une décision perçue comme un gage donné juste avant le vote à l’Espagne ou l’Irlande, grandes défenseures de la Palestine. « Elle a égrainé les platitudes, comme quand elle annonce un programme d’aide plus important pour l’autorité palestinienne, souligne Elena Aoun, c’est d’une grande candeur au moment où beaucoup demandent un horizon politique et surtout quand on sait que cela ne fonctionne pas. » Elle cite par exemple l’aéroport de Gaza construit avec des fonds européens et détruit par Tsahal.
Changer de logiciel
La chercheuse appelle à faire preuve de plus d’innovation et de volontarisme dans la manière dont l’Union européenne aborde sa politique de voisinage. « Il faut une vraie volonté d’assainir une série de situations extrêmement problématiques sinon l’environnement de l’UE ne sera jamais stabilisé. Il y a évidemment le conflit israélo-palestinien. Il y a aussi des conflits qu’on fait semblant de ne pas voir mais qui ont des répercussions en chaîne. On s’est désinvestis de la Libye et de la Syrie. Il y a aussi le conflit à Chypre qui fait quand même partie de l’UE. Même s’il est gelé il y a régulièrement des conséquences entre la Turquie et la Grèce ; autre exemple ; on est en bons termes avec le Maroc et on ferme les yeux sur sa volonté de contrôle du Sahara occidental ce qui crée des crispations. »
« Nous devons les aider à gérer ces conflits mais à leur façon, abonde Pascal Ausseur, il faut changer de logiciel, cesser de vouloir régler les problèmes à la place des autres ou de faire du chantage en conditionnant excessivement nos aides. Il faut demander à nos partenaires ce qu’ils veulent, ce dont ils ont besoin, faire connaître aussi nos intérêts et identifier des convergences. »
Pour le directeur général de la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques, il faut aussi prendre la question de l’immigration à bras-le-corps. « Il faut regarder l’éléphant au milieu de la pièce : on a sous estimé la problématique migratoire et en conséquence on surréagit en réduisant notre politique au blocage des flux. Là aussi il faut repenser la manière de faire, d’autant qu’avec le réchauffement climatique la pression migratoire va s’aggraver. Deux exemples très concrets mais très parlants : il est très difficile d’obtenir les visas étudiants qui sont indispensables pour participer ensuite au développement des pays du sud ; il est également compliqué de créer une joint-venture entre une entreprise française et congolaise, les associés africains ne pourront pas venir en France. Ce sont des sujets sur lesquels l’UE doit se pencher, en parallèle de la maîtrise des migrations irrégulières. »
D’autant qu’il y a urgence à recréer ces relations, et réduire les divergences économiques, car certains pays, comme la Chine, la Russie ou la Turquie, engagés dans un rapport de force avec l’Europe, sont déjà présents dans la région méditerranéenne (en Libye, en Syrie, en Algérie). Avec ce poste de commissaire à la Méditerranée, Ursula von der Leyen semble prendre la mesure de la situation et esquisse un peu plus son projet d’Europe géopolitique, très timidement.
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