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Quand le Sénat servait de QG à la Luftwaffe : “Paris, les lieux secrets de l’Occupation”

14 juin 1940, sous les yeux abasourdis des Parisiens, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, qui s’est rendu sans combattre. Pourtant la guerre est loin d’être terminée, et dans l’ombre la lutte entre les résistants et les forces allemandes continue. Une guerre tactique et souterraine, qui se joue dans des lieux cachés de la capitale. Des lieux aux histoires secrètes, sur lesquels le documentaire de Stanislas Kraland, « Paris, les lieux secrets de l’Occupation », diffusé cet été sur Public Sénat, se propose de revenir.
Guillemette Halard

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8 min

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Mis à jour le

La prise de Paris a été préparée de longue date par les forces allemandes. Grâce au guide Michelin, l’état-major germanique connaît tous les hauts lieux de la capitale française : les meilleurs hôtels et restaurants, mais aussi les monuments historiques. Chacun fait son choix : la Kommandantur s’installe place de l’Opéra, le gouverneur du Grand Paris à l’hôtel Meurice, le commandement militaire pour la France au Majestic, et le service de contre-espionnage à l’hôtel Lutétia. Pour montrer la force de son armée de l’air, qui mènera bientôt la bataille d’Angleterre, le général Hugo Sperrle décide de réquisitionner un lieu à la fois prestigieux et fort utile : le Sénat.

 

Le Palais du Luxembourg, siège de la Luftwaffe

Le siège des sénateurs n’est pas seulement un ancien palais, il est aussi très pratique avec ses nombreux bureaux, son central téléphonique, et surtout, son inestimable trésor souterrain : un bunker de plus de 600 m2 enfoui sous les jardins. Construit par l’État français en 1937 pour protéger le gouvernement en cas d’attaque, le bunker dispose de trois entrées et peut accueillir 300 personnes. Pour l’époque, il est ultramoderne : à l’intérieur se trouvent un central téléphonique, une salle d’opérations et une salle des machines. Et surtout, il est conçu pour protéger aussi bien des bombes explosives que toxiques. « Ses murs sont d’une épaisseur d’1m60, ils peuvent résister à des bombes de 500 kg, c’est colossal », souligne Damien Déchelette, architecte en chef du Sénat. La forme de son escalier d’accès, en siphon, protège le sas d’entrée du souffle et des éclats des explosions. La porte de son sas principal, elle, est lourde comme celle d’un coffre-fort, équipée de 4 verrous, et surélevée sur une marche. « Le gaz toxique était un gaz lourd, qui se répandait en nappes, explique Patrick Sougné, secrétaire administratif du Sénat.  Grâce à leur expérience pendant la première guerre mondiale, les concepteurs de l’abri savaient que surélever un peu l’accès à la porte permettrait de stopper une éventuelle arrivée de nappe de gaz. »

Les architectes prévoient également une réserve d’air comprimé : 9 bouteilles, pouvant libérer 450 mètres cubes d’air, afin d’augmenter la pression atmosphérique et donc d’empêcher le gaz toxique de pénétrer. En plus de ce bunker construit par les Français quelques années auparavant, les Allemands feront du palais du Luxembourg une caserne fortifiée, à laquelle ils ajoutent deux autres abris : un pour les munitions, et le second, de 300 mètres carrés, pour assurer la continuité des services.

 

Le 11 rue des Saussaies, QG de la Gestapo

Mais les soldats de l’armée allemande ne sont pas les seuls à s’emparer de Paris : au sein de ces troupes se cachent quelques SS de la Gestapo. Alors que l’armée entendait garder seule la main sur la France occupée, Heinrich Himmler, le chef de cette police secrète du régime nazi, demande à quelques-uns de ses hommes de ruser et de suivre l’armée allemande en revêtant l’uniforme des soldats de la Wehrmacht. « Ils sont en effet arrivés déguisés, raconte l’historien Jean-Marc Berlière, parce que les militaires de la Wehrmacht n’acceptaient pas la présence de ces SS avec eux. »

La Gestapo s’empare alors du 11 rue des Saussaies, siège de la sûreté nationale française, situé juste à côté de la place Beauvau.  L’immeuble, construit dans les années 1920, est haut de 7 étages et abrite des dizaines de bureaux. A l’intérieur, c’est le jackpot : 7 millions de dossiers et d’archives de la police française. La police secrète du régime nazi décide de faire du bâtiment son quartier général. C’est dans ces murs que seront torturés de nombreux résistants comme Madeleine Riffaud, Marie-José Chombart de Lauwe ou encore Eugène Handschuh. « En y entrant, on se sentait dans la gueule du loup, se remémore l’ancien résistant. On apercevait le drapeau rouge et blanc, avec la croix gammée, et on se disait, là, notre dernière heure est venue…On est foutu… »

 

Le tunnel secret du camp de Drancy

Après son arrestation au 11 rue des Saussaies, le jeune Eugène Handschuh est transféré au camp de Compiègne, puis, en mai 1943, à la cité de la Muette à Drancy, un bâtiment conçu dans les années trente pour servir de logements, que les Allemands ont transformé en camp.

Dans le train vers Drancy, en compagnie d’un groupe de résistants avec lesquels il s’est lié au camp de Compiègne, Eugène Handschuh, alors âgé de 20 ans, tente de s’échapper en perçant un trou dans le wagon. L’entreprise est un échec, mais les « 15 de Compiègne », dès leur arrivée à Drancy, ne pensent plus qu’à une chose : s’évader. Les membres de ce petit groupe sont éduqués. Souvent d’origine alsacienne ou lorraine, ils parlent allemand. Alors Aloïs Brunner, le chef nazi du camp de Drancy, qui n’a que 5 SS à sa disposition pour surveiller le camp, décide de confier à ces détenus certains postes, comme en atteste un organigramme officiel. Les 15 de la bande de Compiègne obtiennent des droits et du pouvoir, comme celui par exemple de circuler librement dans le camp. Ils repèrent de l’autre côté des barbelés un abri donnant sur une tranchée peu visible des miradors. Se lançant dans un pari fou, ils décident alors de s’évader en creusant depuis une cave dont ils ont la clé une galerie jusqu’à cet abri. Trompant la surveillance des SS, ils percent dans cette cave un puit de deux mètres de profondeur, puis un tunnel long de 38 mètres. Ils le raccordent au réseau électrique pour l’éclairer, récupèrent des planches de bois pour créer une charpente. Deux mois plus tard, en novembre 1943, les détenus ne sont plus qu’à deux mètres de la liberté quand tout bascule. Les SS entrent dans la cave, la fouillent et découvrent la galerie. A l’intérieur, ils trouvent un vêtement laissé par l’un des internés. En le torturant, ils réussissent à lui faire avouer le nom de 13 des hommes impliqués, dont celui d’Eugène Handschuh. Les 13 hommes seront déportés à Auschwitz, mais plusieurs d’entre eux, dont Eugène, parviendront à sauter du train et à s’enfuir.

 

Sous la place Denfert Rochereau, le bunker de la résistance parisienne

Enfin, le documentaire retrace l’histoire d’un haut lieu de la résistance française, un gigantesque abri de défense anti aérien souterrain situé juste sous la place Denfert-Rochereau à Paris. Large de 26 m et long de 25 m, il fut construit dans les années 30 dans les vides laissés par les carrières pour assurer la continuité des services de Paris en cas de bombardements. Il sera pendant la Libération de Paris l’un des centres névralgiques de la résistance.

A l’été 1944, la tension monte dans la capitale française. Deux mois après le débarquement en Normandie le 6 juin 1944, les Parisiens attendent l’arrivée des Alliés avec impatience. Mi-août, les événements s’accélèrent. Le Centre National de la Résistance appelle les Parisiens à l’insurrection. Le colonel Henri Rol-Tanguy, chargé d’ouvrir la voie aux alliés, a besoin d’un centre de commandement. Le bunker est idéalement placé, il dispose de plusieurs entrées et sorties, est facile à défendre grâce à ses portes blindées et surtout, il possède un central téléphonique qui à priori, échappe à la surveillance des Allemands. Le chef des Forces Françaises de l’Intérieur (FFI) de la région parisienne décide alors d’y installer son état-major, et en quelques heures, le bunker se transforme en QG. Du 20 au 28 août 1944, ce sera de cet abri souterrain que le colonel Rol coordonnera les opérations pour libérer Paris, comme par exemple, l’ordre, le 22 août 1944, de dresser des barricades partout dans les rues de la capitale.

Trois jours plus tard, le 25 août 1944, Paris sera libéré, et avec lui, les secrets de ces bâtiments témoins de la grande Histoire.

Retrouvez le documentaire ici.

Denfert

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