Ce n’est pas le premier avis de tempête pour la majorité sénatoriale de droite et du centre. Ces deux groupes, qui détiennent la clé des scrutins au palais du Luxembourg, ont déjà fait preuve de discordances ces derniers mois. De façon discrète, latente, que ce soit sur le budget 2022, les mesures d’urgence en faveur du pouvoir d’achat ou encore la loi d’accélération sur l’éolien.
Le projet de loi immigration est venu semer lui aussi le trouble entre les deux alliés du palais du Luxembourg, où tous les projecteurs sont braqués cette semaine. L’enjeu est sans commune mesure cette fois. Première chambre saisie sur ce texte, le Sénat se sait observé sur ce texte sensible et symbolique. Il va faire office de test pour la majorité sénatoriale, dont le centre de gravité s’est déplacé en direction du centre lors des dernières élections sénatoriales.
Ces dernières semaines, la pression est montée autour de l’article 3, une pierre d’achoppement particulièrement clivante entre LR et centristes. Mesure d’intégration présentée en face des dispositifs de fermeté, elle prévoit la création d’une carte de séjour temporaire pour les travailleurs étrangers des secteurs en tension.
Les LR y sont fermement opposés au principe d’une délivrance d’une carte de séjour « de plein droit » pour les sans-papiers employés dans les secteurs en tension, redoutant que cet article ne constitue « un appel d’air » migratoire. Les centristes y sont, eux, favorables.
« Si cet article demeure, il serait pour nous impossible de voter un texte laxiste »
Tenant d’une ligne de fermeté, le président du groupe LR Bruno Retailleau a déposé un amendement de suppression de l’article. Et se montre toujours aussi inflexible. « Je souhaite vraiment qu’il soit adopté car si cet article demeure, il serait pour nous impossible de voter un texte laxiste et nous voterions contre », a-t-il répété hier dans les colonnes du Figaro. Et d’ajouter : « Toutes nos avancées seraient ruinées si la loi ouvrait une possibilité de régularisation massive. »
De leur côté, les centristes proposent une réécriture de l’article, à travers un amendement de leur président Hervé Marseille. Leur dispositif prévoit une « régularisation à titre exceptionnel dans le cadre du pouvoir discrétionnaire des préfets », mais aussi la suppression de l’autorisation écrite de l’employeur pour demander la régularisation, pour éviter que des « trappes à bas salaire » se maintiennent. La semaine dernière, le chef de file des centristes commençait à perdre patience, face à la crainte de la droite de voir subsister toute trace de l’article 3. « Si les LR ne veulent pas que le texte soit voté qu’ils le disent », déclarait le sénateur Hervé Marseille.
Et l’absence de compromis, à ce stade, ouvre le champ des possibles, y compris que le texte ne soit pas voté au Sénat. La semaine dernière, en réunion de groupe, le président du Sénat Gérard Larcher a dû mettre en garde ses collègues, leur enjoignant de ne pas « casser toute la vaisselle », relate l’Opinion. Un Sénat qui rendrait une copie blanche serait du plus mauvais effet pour Gérard Larcher, qui défend le rôle de stabilisateur du Sénat. « En ces temps où l’équilibre institutionnel a été profondément modifié du fait de l’absence de majorité à l’Assemblée nationale où le fait majoritaire n’est plus, le Sénat a un rôle essentiel dans le fonctionnement de nos Institutions. Il est parvenu à être le point d’équilibre d’une démocratie à la peine », revendiquait-il le 2 octobre dernier.
Signe des manœuvres en coulisses pour éviter tout accident parlementaire, les débats sur l’article 3 pourraient être reportés en toute fin de semaine afin de laisser quelques heures supplémentaires aux négociations en vue d’un compromis.