Mercredi 13 novembre, les réquisitions ont occupé la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris toute la journée, près d’un mois et demi après l’ouverture du procès des assistants parlementaires du RN. La fille de Jean-Marie Le Pen se voit reprocher, en tant qu’ancienne eurodéputée et ancienne présidente du Front national (devenu le Rassemblement national en 2018), d’avoir participé à la mise en place d’un système destiné à assurer la rémunération de certains collaborateurs du parti par le Parlement européen. De son côté, l’institution réclame 3,7 millions d’euros au titre des dommages et intérêts.
L’accusation a requis mercredi à Paris cinq ans de prison, dont deux ans de prison ferme, et cinq ans d’inéligibilité contre Marine Le Pen. La peine de prison réclamée est aménageable, ce qui veut dire que la cheffe du parti d’extrême droite n’irait pas en prison. Mais elle pourrait l’empêcher de se présenter à l’élection présidentielle de 2027 : le parquet a en effet réclamé que la peine d’inéligibilité soit assortie de l’exécution provisoire, c’est-à-dire qu’elle s’applique immédiatement, même en cas d’appel.
« La volonté du parquet est de priver les Français de la capacité de voter pour ceux qu’ils souhaitent »
Une telle peine « viendrait interdire aux prévenus de se présenter à des futures élections locales ou nationales », a précisé le procureur Nicolas Barret devant la triple candidate à la présidentielle assise au premier rang des prévenus. Mais « nous sommes ici dans une enceinte judiciaire et le droit s’applique à tous », la justice ne peut pas être comptable des « ambitions » politiques de chacun, a-t-il justifié.
L’accusation a également réclamé une peine de 300 000 euros d’amende Marine Le Pen, ainsi que 4,3 millions d’euros d’amende, dont 2 millions d’euros ferme pour le Rassemblement national.
En sortant de la salle d’audience, Marine Le Pen a dénoncé la « violence » et « l’outrance » des réquisitions. « Je pense que la volonté du parquet est de priver les Français de la capacité de voter pour ceux qu’ils souhaitent » et de « ruiner le parti », a-t-elle réagi.
Soutien inattendu de Gérald Darmanin
Le président du RN Jordan Bardella a aussitôt réagi sur X en qualifiant les réquisitions du parquet d’ « atteinte à la démocratie ». Il dénonce un « acharnement » contre Mme Le Pen.
Dans le camp présidentiel, Gérald Darmanin a jugé préférable de combattre Madame Le Pen se « dans les urnes ». « Si le tribunal juge qu’elle doit être condamnée, elle ne peut l’être électoralement, sans l’expression du Peuple », a-t-il déclaré sur X, en appelant à ne pas « creuser » plus « la différence entre les ‘’élites’’ et l’immense majorité de nos concitoyens ».
« La loi s’applique à tout le monde », a rétorqué sur Public Sénat la ministre chargée des Relations avec le Parlement Nathalie Delattre qui a trouvé « choquant » le commentaire de l’ancien ministre de l’intérieur.
« Même en France, ils tentent par tous les moyens d’arrêter la volonté populaire et le vent démocratique du changement », a renchéri, également sur X, le vice-Premier ministre italien Matteo Salvini, allié de Mme Le Pen en Europe.
Le parquet avait rappelé dans ses réquisitions que selon la loi, les cinq ans d’inéligibilité étaient « obligatoires sauf motivation expresse du tribunal ». En effet, la députée du Pas-de-Calais tombe sous le coup de la loi du 10 décembre 2016 « pour la confiance dans la vie politique », dite Sapin II, entrée en vigueur le 11 décembre 2016, et qui prévoit des peines d’inéligibilité obligatoires pour cinq ans en cas de condamnation.
« Machine de guerre »
L’accusation a prononcé une sévère charge contre les prévenus. Car le « système » mis en place, qui s’est « renforcé » avec l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti en 2011, est « inédit » par sa durée, le « montant » des détournements (4,5 millions) et son « caractère organisé, systématisé ».
Les prévenus « ont fait et entendaient continuer à faire du Parlement européen, pour le dire prosaïquement, leur vache à lait », a souligné la procureure Louise Neyton. « On a vu une véritable machine de guerre pour détourner systématiquement le montant des enveloppes et ce jusqu’à la dernière miette ».
Un « enrichissement partisan » qui a permis au Rassemblement national de « financer sa croissance, son influence, sa propagande pendant des années ». Mais qui était aussi « au service » de « l’ambition personnelle » de ses dirigeants, « pour porter leur carrière politique aux frais du contribuable », a-t-elle ajouté. Sans « l’ombre d’une remise en question » des prévenus à l’audience : « Ils ne voient pas, ils ne veulent pas voir, ils se moquent éperdument de l’illégalité de leurs actes », a poursuivi la magistrate.
« Fiction alternative »
Le ministère public requiert notamment 18 mois de prison dont six mois ferme avec trois ans d’inéligibilité contre le N°2 du parti Louis Aliot ; 10 mois avec sursis et un an d’inéligibilité contre le porte-parole du RN Julien Odoul ; 18 mois avec sursis et deux ans d’inéligibilité pour la sœur de Marine Le Pen, Yann Le Pen, avec à chaque fois, des amendes et l’exécution provisoire.
Les deux procureurs ont détaillé l’architecture d’un « système » qui a selon eux été mis en place au Front national (devenu RN) entre 2004 et 2016, consistant à conclure des « contrats artificiels » d’assistants parlementaires européens qui travaillaient en réalité pour le parti.
A l’époque, « le parti est dans une situation financière particulièrement tendue. Tout ce qui peut contribuer à l’allègement des charges va être utilisé de manière systématique », que ce soit « légal ou pas », a affirmé Louise Neyton.
Face à « la fiction alternative » proposée en défense, les procureurs ont décortiqué, prévenu par prévenu et contrat par contrat, « la nature du travail » effectué par les douze assistants parlementaires, le « lien de subordination » qu’ils entretenaient avec « leur député » européen, neuf, dont Marine Le Pen, sont jugés au total. En guise de justificatif de travail, « il n’y a rien », sauf « la fameuse preuve standard : la revue de presse », ont constaté les procureurs, qualifiant les contrats de travail, « d’artificiels », sans « cohérence ».
La défense doit plaider à partir de lundi et la fin du procès est prévue le 27 novembre. Le tribunal ne rendra pas sa décision début 2025.