Alors que François Bayrou vient d’annoncer la composition de son gouvernement, l’exécutif peut enfin se mettre au travail, estiment les représentants du bloc central au Sénat. Pour cela, il faudra composer avec le Parti Socialiste tout en ménageant LR qui conditionne encore son soutien au gouvernement. Une tâche périlleuse.
Présidentielle : que retenir du grand oral des candidats devant le Medef ?
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« Je n’aime pas l’expression de ‘grand oral’ » déclare d’emblée Geoffroy Roux de Bézieux, au moment d’ouvrir cette matinée de « questionnements » entre les représentants du Medef et les candidats à l’élection présidentielle. Enfin pas tous, puisque Jean-Luc Mélenchon – « qui a déjà beaucoup abordé ces sujets » selon les mots d’Hedwige Chevrillon, journaliste à BFM Business et animatrice du débat – n’était finalement pas présent. De même, le « candidat de la dernière heure », comme l’a appelé Geoffroy Roux de Bézieux, manquait lui aussi à l’appel. En effet, cela aurait été « un peu compliqué » de demander au Président de la République pas encore déclaré de venir, regrette le président du Medef. Yannick Jadot, Fabien Roussel, Valérie Pécresse, Anne Hidalgo, Marine Le Pen et Éric Zemmour étaient en revanche présents – dans cet ordre – à la station F, incubateur de start-up de Xavier Niel, pour détailler leur projet économique au patronat français et tenter de convaincre dans ce « grand oral » qui n’en est pas un.
Le « pacte de compétitivité » de Yannick Jadot : investissements et baisse d’impôts contre action climatique des entreprises
Pour rallier le patronat français à sa politique écologique, le candidat d’EELV a proposé une ligne relativement claire au Medef : redonner de la compétitivité aux entreprises en échange de leur action dans la lutte contre le dérèglement climatique. Convaincu que « la transition écologique se fera avec les entreprises, ou ne se fera pas », Yannick Jadot est arrivé devant les patrons français avec une sorte de deal, qu’il nomme « pacte de compétitivité. » Il entend ainsi conditionner les baisses d’impôts à des comportements vertueux des entreprises au niveau écologique : « Aujourd’hui, il y a beaucoup de baisses de cotisations et d’impôts de production, mais ce sont des dispositifs non-discriminants. La baisse des impôts de production a par exemple favorisé les plus grands groupes qui émettent 20 % de plus que le reste de l’économie. Je veux différencier, faire du bonus-malus climatique sur les outils de politiques publiques, avec des régions sur le modèle allemand qui ont des capacités d’investissements dans les entreprises vertueuses qui s’inscrivent dans les territoires. » De même sur l’impôt sur les sociétés, auquel Yannick Jadot « ne touche pas », mais travaille pour le moment « à un système de bonus-malus. »
Sur les questions de fiscalité des particuliers, que le candidat écologiste propose de réintroduire l’ISF sous forme d’ISF « climatique » : « À partir de 2 millions d’euros de patrimoine, vous payez 1 %, puis 2 % de 8 millions jusqu’à un milliard, et 3 % au-delà. Les riches émettent beaucoup plus de CO2, notamment à cause de leur patrimoine financier. Vous aurez en outre un malus sur votre patrimoine financier, s’il sert à financer les énergies fossiles. » Le candidat écologiste ne nie pas les difficultés techniques soulevées par certains de ces dispositifs, mais d’après lui, face au « plus grand défi de l’humanité, quand on veut, on peut. » Dans le plan de Yannick Jadot, ce « pacte de compétitivité » devrait ainsi aider des entreprises à « se reconstruire autour de la responsabilité environnementale et sociale. » Le candidat d’EELV cite ainsi le béton ou l’acier dit « zéro carbone » et la nécessité de développer une politique industrielle européenne, avec un « ajustement carbone aux frontières » pour lutter contre le « dumping climatique. » La décarbonation est ainsi présentée non pas comme une contrainte pour les entreprises, mais comme un moyen de « retrouver de la compétitivité » hors coûts dans des secteurs à haute valeur ajoutée.
Relancer la demande et relocaliser l’offre : le communisme « qui marche sur deux jambes » de Fabien Roussel
Par sa « Révolution culturelle », Mao Zedong voulait que « la Chine marche sur deux jambes », l’agriculture et l’industrie. La référence de Fabien Roussel devant le patronat français, au pupitre de la station F, antre de la start-up nation, à une politique économique qui « marche sur ses deux jambes », l’offre et la demande, était donc pour le moins audacieuse. Toujours est-il que le candidat communiste a développé une stratégie macroéconomique qui marque « des différences [qu’il] a à gauche », objectif qui semble récurrent chez le député du Nord en ce moment. Si Fabien Roussel propose bien « d’augmenter les salaires et les pensions » pour créer un « choc de demande », « ça ne suffira pas » d’après lui. Comme tout membre du PCF qui se respecte, Fabien Roussel a retenu les leçons de l’arrivée de François Mitterrand en 1981 – et du tournant de la rigueur de 1983 : « En 1981, c’est le choc de l’offre qui a manqué. On a mis le doigt dans l’Europe de la concurrence et on a ouvert notre économie à tout va. Il faut avoir une production qui se développe – et vite – en France, pour que si on gagne plus, on consomme plus, mais français. »
Et pour relocaliser, le candidat communiste entend « baisser le coût du capital », en revenant sur les traités de libre-échange et la « course au moins-disant fiscal et salarial, à laquelle nous serons toujours perdants. » De même, Fabien Roussel souhaite faire baisser les coûts des entreprises en nationalisant, notamment dans l’énergie et dans l’assurance, en visant notamment Axa, non sans humour : « Bienvenue à la maison, s’ils sont dans la salle. » Le candidat communiste a critiqué une politique fiscale du gouvernement dépensière, mais « peu efficace » et préfère accompagner les entreprises avec de l’aide publique « autour de critères de relocalisation, de formation et d’augmentation des salaires. » Enfin, Fabien Roussel souhaite « renverser la tendance » fiscale selon laquelle « plus vous êtes gros, moins vous payez d’impôts » et n’entend ainsi pas toucher au taux d’impôt sur les sociétés des TPE à 15 %, mais plutôt mettre en place un « prélèvement à la source » sur les multinationales « avant que les bénéfices partent au Luxembourg » : « La différence entre l’optimisation fiscale et la fraude fiscale c’est l’épaisseur d’un mur de prison. Avec moi il tombera. » Certains, dans la salle, ont dû apprécier.
La « vraie » politique de l’offre de Valérie Pécresse : « Dépenser moins et travailler plus »
Le passage de Valérie Pécresse fut un peu moins éclectique, pour une ancienne ministre du Budget qui évoluait en terrain connu. « Je suis résolument en soutien de l’entreprise et je propose un programme qui est une vraie politique d’offre » entame la candidate des Républicains. D’ailleurs Valérie Pécresse a plusieurs fois renvoyé « au dialogue social » et à la position du Medef. Sur sa fameuse augmentation des salaires net de 10 % d’ici la fin du quinquennat, par exemple, censée « remettre un vrai différentiel entre les revenus de l’assistance et du travail. » Cette hausse des salaires se décompose en fait en deux temps : d’abord une augmentation de 3 % financée par la baisse des cotisations retraite, puis une « conférence salariale avec les partenaires sociaux », où Valérie Pécresse promet au patronat français « qu’il n’y aura jamais entre nous de discussions coercitives, je suis là pour dialoguer et qu’on avance ensemble. » De même, sur les impôts de production, « il faut qu’on en discute ensemble » avertit Valérie Pécresse avant d’évoquer 10 milliards de baisses à trouver, a priori entre la C3S [Contribution sociale de solidarité des sociétés, perçue par la Sécu] et la CVAE [Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, perçue par les collectivités], ce qui poserait tout de même une question d’autonomie fiscale pour les collectivités locales, largement financées par la CVAE.
Si cette politique fiscale reste donc à « discuter » avec les partenaires sociaux, au niveau macroéconomique, Valérie Pécresse mise clairement sur une « vraie » politique de l’offre, c’est-à-dire pas financée par la dette : « Il va falloir dépenser moins et travailler plus, tout autre discours est mensonger. Les baisses d’impôts depuis 2017 sont faites à crédit. Je propose deux fois plus d’économies que de dépenses nouvelles. » Pour ce faire, la candidate LR propose de supprimer 200 000 postes de fonctionnaires dans « l’administration administrante » grâce à la simplification administrative menée à marche forcée par un « comité de la hache », chargé de simplifier les normes et d’unifier les guichets. « Ce n’est pas une politique de la rigueur », se défend Valérie Pécresse. « Supprimer du gaspillage, cela n’a jamais eu d’effet récessif. C’est ce que j’ai fait à la région Île-de-France et je vous mets au défi de savoir ce que j’ai supprimé. » Si la réforme de l’Etat est « la mère des réformes », la candidate des Républicains entend tout de même y ajouter des réformes de l’assurance-chômage et des retraites, avec un âge légal de départ fixé à 65 ans.
Les 4 « Odyssées industrielles » d’Anne Hidalgo contre les « vieilles recettes d’augmentation de la fiscalité »
« Vous ne trouverez pas dans mon programme de vieilles recettes d’augmentation de la fiscalité. » Le ton est donné pour le programme économique de la candidate du Parti Socialiste. L’édile de Paris veut d’ailleurs s’inspirer « de ce que l’on a fait ici avec Xavier Niel [à l’incubateur de start-up de la station F, ndlr] », en « faisant converger l’entreprise, les pouvoirs publics, le monde syndical, le monde de la recherche et la jeunesse. » « Celui qui n’accepte pas la rupture […] avec le système capitaliste. Celui-là ne peut pas être adhérent du Parti Socialiste », disait en son temps François Mitterrand. La start-up nation est passée par là et il semble maintenant que c’est celui qui est « dans une vision passéiste, centralisée ou bureaucratique » de l’action politique qui ne peut plus être adhérent au Parti Socialiste. Anne Hidalgo détaille ainsi les 4 axes d’une sorte de plan de relance entraînant tous les secteurs de l’économie et de la formation, centré sur la transition écologique et les énergies renouvelables, la santé, les mobilités – ferroviaires et nouvelles (électrique, hydrogène) – et le numérique.
Sur la fiscalité des entreprises, « ce qui permet aux entreprises d’avancer », Anne Hidalgo ne propose pas de revenir sur les baisses d’impôts de production, sans en proposer de nouvelles. Elle ne « touchera pas » non plus à l’impôt sur les sociétés. En revanche, pour les particuliers, la candidate socialiste propose de rétablir l’ISF « qui aurait pu servir à contenir l’augmentation des inégalités », et ajoute vouloir en flécher le produit « sur des investissements écologiques. » En « sociale-démocrate » Anne Hidalgo « cherche l’équilibre entre l’économie et le social » et propose ainsi d’augmenter l’exonération sur les successions à 300 000 euros, tout en augmentant la fiscalité sur les patrimoines de plus de 2 millions d’euros. Enfin, Anne Hidalgo a proposé une augmentation du SMIC de 15 %, ainsi que des négociations partout dans les branches pour « revaloriser le travail » et « ne pas s’inscrire dans un modèle de développement low cost » et plutôt « valoriser la compétence, la qualification. »
Le libéralisme national de Marine Le Pen : « Le retour à une gestion publique maîtrisée »
Le virage libéral du Rassemblement national est définitivement acté. Si le programme de Marine Le Pen reste protectionniste – bien qu’elle n’ait pas prononcé le mot aujourd’hui – la candidate du RN semble presque revenue au Front National ultralibéral des années 1980 : « Je suis venu vous parler de liberté. De la liberté de créer, d’entreprendre, d’innover, d’investir, de produire et d’exporter. » La candidate du RN « croit au rôle de l’Etat » non pas par « gauchisme », mais par une sorte division des rôles entre les entreprises qui doivent « conquérir le monde » et l’Etat « qui leur en donne les moyens. » Cette philosophie s’inscrit dans un « retour à une gestion publique maîtrisée […] qui n’utilise pas l’argent magique au détriment des générations futures. » D’après Marine Le Pen, il n’est « pas difficile » de faire baisser les prélèvements obligatoires « si l’on accepte l’idée de faire des économies. » Dans le viseur de la candidate du RN, l’immigration, pour un coût de 18 milliards par an, un chiffre en contradiction avec la dernière étude de l’OCDE, auquel s’ajoute la fraude aux prestations sociales. Ces économies permettraient une baisse de 30 milliards des impôts de production sur 3 quinquennats, avec une suppression de la CFE et de la C3S, « dans les lieux qui ont vocation à être réindustrialisés. » Un moyen pour l’Etat de « reprendre la main sur l’aménagement du territoire » d’après Marine Le Pen.
Pour les entreprises, la candidate du RN propose aussi un « patriotisme économique par l’étiquetage » ainsi qu’une orientation de la commande publique vers les entreprises nationales, une proposition contraire au droit de la concurrence européen. L’occasion de rappeler un autre changement de ligne au RN, important pour les milieux d’affaires : l’abandon de la sortie de l’UE après la défaite de 2017. « Ce sera un des premiers axes à défendre à Bruxelles : nous devons pouvoir faire bénéficier nos entreprises à une forme de patriotisme économique. L’UE, ce n’est pas être dehors ou être dedans ? Ce sont des choses qui se débattent et se défendent. » Sur les salaires, Marine Le Pen propose d’exonérer de cotisations toute augmentation salariale de 10 % jusqu’à 3 SMIC, un « manque à gagner » pour l’Etat qu’elle assume. De même, la candidate du Rassemblement national propose d’inverser la transformation de l’ISF en IFI, en mettant en place un « impôt sur la fortune financière » qui exclurait l’outil de travail, la résidence principale et la résidence unique – unique résidence possédée sans y habiter. Enfin concernant les retraites, Marine Le Pen propose de faire varier l’âge légal et la durée de cotisation selon le moment d’entrée dans la vie active, respectivement entre 60 et 62 ans, et entre 40 et 42 annuités, afin « d’inciter les jeunes à entrer sur le marché du travail le plus tôt possible. »
Éric Zemmour : libéralisme sur le marché intérieur, « reconquête de notre souveraineté économique » dans la politique commerciale
Opération séduction pour Éric Zemmour qui a fustigé un Etat trop présent dans l’économie et a témoigné de son « admiration » pour les entrepreneurs capables de réussir, même handicapés par les réglementations et les normes étatiques : « Je vous admire et plus encore quand je vois les conditions économiques dans lesquelles vous travaillez. Les entrepreneurs ne demandent pas d’aide, mais que l’Etat restaure leur rentabilité en ôtant les normes, en les mettant dans les mêmes conditions que leurs concurrents étrangers. » Pour ce faire, Éric Zemmour veut « baisser la fiscalité qui pénalise l’activité économique », avec 30 milliards d’euros de baisse des impôts de production sur la C3S et la CVAE, « responsables de la mort de beaucoup de nos entreprises. » Dans la même logique, le candidat de Reconquête propose la création d’un Haut-commissariat à la simplification administrative. Mais le « laisser-faire » a ses limites, puisqu’Éric Zemmour entend utiliser la commande publique pour « reconquérir notre souveraineté économique » en proposant que 25 % de la commande publique dans chaque pays de l’UE soit réservée à ses entreprises nationales.
Tout comme les réglementations de l’Etat, les « dépenses sociales » ne semblent pas trouver grâce aux yeux du candidat de Reconquête : « Les dépenses sociales sont énormes, colossales, démesurées. Il y a deux tabous : la droite disait – mais ne le dit même plus – ‘il faut réduire la protection sociale de tous' et la gauche dit ‘ce n’est pas grave, on va continuer à s’endetter’. » Éric Zemmour a trouvé la solution à cette équation impossible en « cessant d’ouvrir le modèle social français au monde entier » et en différenciant les prestations sociales qui correspondent à une contribution (la retraite ou le chômage) et les autres « qui seront réservées aux Français. » Cela représenterait 20 milliards d’économie que le candidat de Reconquête se propose de réinvestir dans la baisse de la CSG pour les salaires de moins de 2000 euros, ou d’encourager les primes avec son dispositif « prime 0 charge. »