Présidentielle 2022 : comment fonctionne la règle des temps de parole ?

Présidentielle 2022 : comment fonctionne la règle des temps de parole ?

La candidate LR Valérie Pécresse a saisi le Conseil supérieur de l’Audiovisuel en réaction à l’entretien télévisé d’Emmanuel Macron qui sera diffusé mercredi soir par TF1 et LCI. Une trentaine de diffuseurs, radios et chaînes de télévision, sont tenus de suivre des règles strictes pendant la présidentielle. Temps de parole, équité, égalité, période de réserve… Public Sénat fait le point.
Romain David

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Les oppositions pressent le chef de l’État de sortir de l’ambiguïté et de déclarer sa candidature. TF1 et LCI diffuseront mercredi soir un entretien d’au moins 1h30 d’Emmanuel Macron, enregistré ce week-end, avant le départ du présidnet de la République pour la Hongrie. Moins d’une semaine après une longue conférence de presse consacrée à la présidence française de l’UE, cette nouvelle séquence médiatique interroge… et agace. Valérie Pécresse, la candidate LR à la présidentielle, a déclaré avoir saisi le CSA, alors que BFM TV a déprogrammé une émission avec elle, prévue le même soir. « On ne peut pas avoir un président candidat qui se fait ouvrir les chaînes de télévision à la demande et pendant des heures fait sa campagne, alors que ses adversaires doivent se contenter de cinq minutes de duplex pour lui répondre », a-t-elle réagi auprès de l’AFP.

« Assurer le respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans les programmes des services de radio et de télévision. » Définie par la loi « Léotard » de 1986, remise à jour en 2016, la mission de régulation du Conseil supérieur de l’Audiovisuel (CSA) revêt une dimension capitale en période électorale. À la charge de cet organisme de veiller à ce qu’aucun candidat ou parti ne soit arbitrairement lésé par une chaîne ou une antenne radio par rapport à ses concurrents, ni exagérément mis en avant au regard de son poids dans la vie politique. Le CSA a rendu public le 21 octobre ses recommandations sur le décompte des temps de parole pendant la campagne présidentielle. Les règles actuellement en vigueur connaîtront un premier tour de vis en janvier : elles prennent en compte les candidats putatifs à l’investiture suprême, mais aussi certaines spécificités du calendrier politique, comme la présidence française de l’Union européenne.

Quelle est la règle sur les temps de parole des politiques en dehors des périodes électorales ?

En dehors des périodes électorales, le gouvernement a droit à un tiers du temps de parole, les deux tiers restants étant affectés aux formations politiques, y compris celles de la majorité, selon un principe d’équité : les résultats réalisés lors des dernières élections sont pris en compte pour déterminer les temps d’antenne. Les sondages peuvent également entrer en ligne de compte, ce qui permet aussi d’encadrer la visibilité accordée aux personnalités et partis enregistrant une certaine dynamique entre deux élections. C’est ce qui explique que le 8 septembre, le CSA a demandé aux chaînes de décompter certaines interventions d’Éric Zemmour, testé dans la plupart des sondages pour 2022. « Au regard des récents développements, le Conseil supérieur de l’audiovisuel a considéré que M. Zemmour pouvait être regardé dorénavant, tant par ses prises de position et ses actions, que par les commentaires auxquels elles donnent lieu, comme un acteur du débat politique national », a justifié l’autorité de régulation dans un communiqué.

Quels changements durant la campagne présidentielle ?

Durant la campagne présidentielle, le décompte des temps de parole est divisé en trois périodes. Deux périodes pendant la précampagne, où domine un principe d’équité, et une troisième période pendant la campagne officielle, durant laquelle s’applique une stricte égalité.

> À partir du 1er janvier et jusqu’au 7 mars 2022, veille de la publication de la liste des candidats au Journal officiel, chaînes et antennes respectent l’équité des temps de parole des candidats et de leurs soutiens, en fonction de leur représentativité et de leur implication dans la campagne (présence sur les réseaux sociaux, organisation de meeting, déplacements de terrain…). « Il est tenu compte de la nature et de l’horaire des émissions », précise le CSA.

> Du 8 mars jusqu’au 27 mars 2022, veille de la campagne officielle, le principe d’équité continue de s’appliquer mais « dans des conditions de programmation comparable ». Ce qui signifie que les diffuseurs doivent s’assurer que les candidats et leurs soutiens aient accès de manière équitable aux quatre tranches horaires définies par le CSA : le matin (6h-9h), la journée (9h-18h), la soirée (18h-24h) et la nuit (minuit-6h). Il n’est plus question pour une chaîne, par exemple, de rediffuser la nuit le meeting d’un candidat, pour compenser une absence de représentativité dans les programmes de la journée.

> Du 28 mars au 9 avril 2022, veille du premier tour. Cette dernière période, celle de la campagne officielle, laisse place à une stricte égalité. « Le principe d’égalité constitue une spécificité de la campagne présidentielle », rappelle le CSA. Le poids politique des candidats n’entre plus en ligne de compte : la durée des interventions, comme les horaires de diffusion, doivent être les mêmes pour tous. Toutefois, dans la mesure où les candidats ne peuvent pas toujours donner suite aux sollicitations des médias, notamment dans la dernière ligne droite de la campagne électorale, les interventions d’un soutien peuvent compenser les siennes. Le principe d’égalité se poursuit pendant l’entre-deux tours, du 10 au 24 avril, en dehors de la période de réserve.

Chacun des deux tours de scrutin est précédé d’une période de réserve qui débute la veille du vote à minuit : les messages de propagande électorale sont prohibés, les sites internet des diffuseurs peuvent laisser en ligne les articles et vidéos publiés au fil des dernières semaines, mais n’ont plus le droit de diffuser de nouveaux contenus sur l’élection. « Des sujets relatifs aux opérations matérielles de vote et au taux de participation peuvent néanmoins être diffusés à l’antenne », précise le CSA. La période de réserve prend fin à 20 heures, lorsque ferment les derniers bureaux de vote.

Quelles sont les personnes concernées par le décompte des temps de parole ?

Le décompte du temps de parole concerne du 1er janvier au 7 mars toute personne ayant manifesté son intention de participer à l’élection présidentielle, « même en l’assortissant de conditions », souligne le CSA. À partir du 8 mars, seuls les candidats officiellement enregistrés par le Conseil constitutionnel, soit ceux qui ont réuni les 500 signatures nécessaires, sont pris en compte. Le temps de parole des soutiens, c’est-à-dire de « toute personne qui appelle explicitement à voter en faveur d’un candidat », est également considéré.

Le temps de parole des candidats « supposés » doit aussi être décompté. Est considéré par le CSA comme candidat supposé « toute personne qui recueille des soutiens publics et significatifs en faveur de sa candidature ». Cette disposition implique, par exemple, un comptage du temps de parole accordé à Éric Zemmour, si le polémiste continue à faire durer le suspense autour de sa candidature au-delà du 1er janvier prochain.

Du point de vue des contenus, sont ciblés les interventions orales des candidats et de leurs soutiens (interviews, débats), mais aussi les reportages, les décryptages, les éditoriaux, les revues de presse, ou encore les débats de journalistes, d’experts, mais aussi d’autres intervenants, consacrés « sur l’essentiel de leur durée » à un seul candidat sans lui être « explicitement défavorables ».

Quelle est la règle pour le président candidat ?

Dans la mesure où il est amené, de par ses fonctions, à s’exprimer sur la gestion du pays, le président de la République représente un cas à part en matière de comptabilisation du temps de parole. Ainsi, « les interventions qui relèvent de l’exercice de sa charge ne sont pas prises en compte », explique le CSA. « Il en va de même des interventions qui relèvent de l’exercice de la présidence du Conseil de l’Union européenne », ajoute l’autorité de régulation. Alors que la France prendra au 1er janvier 2022 la présidence semestrielle du Conseil de l’UE, cette précision anticipe un renforcement de l’exposition médiatique d’Emmanuel Macron.

En revanche, toute déclaration qui concernerait le débat politique doit être comptabilisée, que le président soit officiellement candidat à sa succession ou simplement candidat supposé. Le CSA fait « la distinction entre la fonction régalienne du chef de l’État et le chef de l’État qui descend dans le débat politique national, qui lui est comptabilisé à la fois hors période électorale […] Et à partir du mois de janvier, qu’il soit déclaré ou pas (à la présidentielle), il pourra être considéré comme candidat présumé. Son temps de parole sera comptabilisé au même titre que les candidats déclarés, donc l’équité sera respectée », a détaillé mardi 7 décembre le président du CSA Roch-Olivier Maistre, qui était auditionné par la commission d’enquête du Sénat sur la concentration des médias.

Quels sont les médias tenus d’appliquer les règles du CSA ?

Les règles d’équilibre du temps de parole doivent être respectées par 30 diffuseurs, listés par le CSA. Il s’agit des principales chaînes d’information en continu et chaînes généralistes du bouquet français, ainsi que plusieurs radios d’information.

Chaînes d’information en continu : BFMTV, CNews, LCI, franceinfo, France 24, RT France et Euronews.

Chaînes généralistes : TF1, France 2, France 3, France 5, Outre-mer la 1ère, Canal + (pour ses programmes en clair), M6, C8, TMC, RMC Découverte, RMC Story, TV5 Monde.

Radios d’information : France Inter, France Info, France Culture, France Bleu, RTL, Europe 1, RMC, BFM Buisness, Radio Classique, Sud Radio, rfi.

La chaîne Arte, parce qu’elle est en partie allemande, bénéficie d’un statut particulier et ne tombe pas sous le contrôle du CSA. Il en va de même pour les deux entités de la chaîne parlementaire : LCP et Public Sénat, détenues par chacune des deux chambres auxquelles elles sont liées. Toutefois, les bureaux de ces deux assemblées, sorte d’organes d’administrations, ont à charge de veiller au respect du pluralisme imposé par la loi.

Le décompte du temps de parole est à la charge du diffuseur, qui envoie ensuite ses relevés au CSA. Celui-ci s’assure de leur bonne foi par des vérifications aléatoires sur certaines tranches horaires. Hormis durant la période de réserve, les sites internet ne sont pas concernés par les règles du CSA en matière de comptabilisation des temps de parole.

Quelles sanctions en cas de non-respect des règles du temps de parole ?

S’il estime que les règles d’équité ou d’égalité n’ont pas été respectées, le CSA peut décider d’infliger une sanction à un média, comme la suspension d’un programme, une réduction de sa durée, voire une amende. Toutefois, le pouvoir de sanction du CSA s’exerce de façon graduée : tout manquement est signalé par une mise en demeure, la sanction n’est prononcée qu’en cas de récidive. Lors de la dernière présidentielle, Radio Classique avait écopé d’une mise en demeure pour avoir diffusé à deux reprises, durant la période de réserve, une chronique dans laquelle Luc Ferry, soutien de François Fillon, critiquait des propos tenus par Emmanuel Macron.

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