Paris:Hemicycle of the natioanl assembly without deputies

Présidence de l’Assemblée nationale : les « ministres députés » pourront-ils voter ?

Le 18 juillet, jour de l’ouverture de la nouvelle législature, se tiendra l’élection du prochain président de l’Assemblée nationale. Une élection particulièrement incertaine au regard de la tripartition de la chambre basse. Et si la majorité sortante veut peser dans le scrutin, elle aura besoin des voix des ministres élus ou réélus à l’Assemblée. Dans l’hypothèse où la démission du gouvernement Attal était acceptée par le chef de l’Etat avant le 18, les anciens ministres pourraient-ils participer au vote ?
Simon Barbarit

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C’est Bruno Retailleau qui a soulevé le lièvre jeudi matin sur Cnews. Interrogé sur la prochaine élection du président de l’Assemblée nationale, le président du groupe LR du Sénat a tiqué sur le délai que veut s’accorder le chef de l’Etat pour nommer un prochain Premier ministre. Une décision qui prendra « un peu de temps ». D’ici là, « le gouvernement actuel continuera d’exercer ses responsabilités, puis sera chargé des affaires courantes comme le veut la tradition républicaine », a expliqué Emmanuel Macron dans sa lettre aux Français.

Or, l’élection au Perchoir se tiendra dans une semaine, le 18 juillet, suivie le 19 et 20 juillet des élections pour les postes, oh combien stratégiques, de vice-présidents, questeurs et présidents de commissions. Il ne fait mystère pour personne que dans ce contexte de tripartition de la chambre basse, la majorité sortante, désormais réduite à 168 députés, aura besoin des voix de ses 18 membres du gouvernement élus ou réélus, si elle veut peser sur le scrutin. Pour ce faire, il va d’abord falloir que la démission du gouvernement Attal, présentée le 8 juillet par le Premier ministre, soit acceptée par décret du chef de l’Etat d’ici le 18 juillet.

« Une erreur juridique assez grave », pour Bruno Retailleau

Rappelons ici un principe de base de la Ve République selon lequel, « les fonctions de membre du gouvernement sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire », conformément à l’article 23 de la Constitution sur la séparation des pouvoirs.

C’est pourquoi Bruno Retailleau,  a estimé que l’exécutif était « en train de faire une erreur juridique assez grave ». « Si ces ministres, démissionnaires certes, mais ministres quand même, s’imaginent qu’ils pourront être aussi députés et voter à l’Assemblée nationale. Ils devraient relire la loi organique qui impose de faire un choix. Ou on est ministre ou on est député. Il y a une incompatibilité entre les deux », a-t-il martelé.

A quoi fait ici référence le sénateur de Vendée ? A l’article LO153 du code électoral, modifié par une loi organique de 2013, et qui précise qu’un député nommé au gouvernement « ne peut prendre part à aucun scrutin et ne peut percevoir aucune indemnité en tant que parlementaire » pendant un délai d’un mois. Passé ce délai, c’est le suppléant du député nommé ministre qui prend sa place sur les bancs.

Une entorse à la séparation des pouvoirs

« Par parallélisme des formes, ce délai d’un mois s’applique pour les ministres qui ont été élus ou qui vont retrouver leur siège de député. Mais l’article LO153, dans son dernier alinéa, prévoit que l’incompatibilité entre le mandat de député et les fonctions ministérielles ne prend pas effet si le gouvernement est démissionnaire avant l’expiration dudit délai », souligne Jean-Pierre Camby, professeur associé à université de Versailles Saint-Quentin. En clair, des ministres d’un gouvernement démissionnaire pourraient donc prendre part à un vote à l’Assemblée avant le délai d’un mois. « C’est une entorse à l’article 23 de la Constitution destinée à parer à l’instabilité ministérielle qui régnait sous la IV République. C’est ce que l’on ressent dans cet article. Car jusqu’en 1954, le président du Conseil était soumis à la double investiture à la majorité absolue de l’Assemblée nationale, d’abord par un vote sur sa personne, puis sur la composition de son gouvernement, », rappelle-t-il.

« C’est une interprétation possible », confirme le constitutionnaliste, Jean-Philippe Derosier. « L’incompatibilité ne prend pas effet si le gouvernement est démissionnaire dans le délai d’un mois à compter de l’élection. C’est cette interprétation que voudrait voir appliquer l’Elysée ». Toutefois, le professeur de droit public à l’université de Lille rappelle qu’en juin 2022, Yaël Braun-Pivet, ministre des Outre-mer, tout juste réélue à l’Assemblée, avait transféré son portefeuille à la Première ministre, Élisabeth Borne, pour pouvoir briguer la présidence de l’Assemblée nationale. « Avec cette interprétation, pour que l’incompatibilité ne soit pas retenue, il faudrait qu’Emmanuel Macron nomme un nouveau gouvernement d’ici le 18 juillet pour que les 17 anciens ministres, après avoir effectué les passations de pouvoirs, puissent voter au Perchoir », expose-t-il.

« Il n’y a pas de contrôle sur ces situations d’incompatibilité »

« Bruno Retailleau semble indiquer que la règle est claire, mais ce n’est pas le cas. Les ministres, nouvellement élus députés, ont un mois pour mettre fin à une situation d’incompatibilité. Mais ce qui compte, c’est l’interprétation de cette règle par la présidence de l’Assemblée nationale », rappelle Anne Charlène Bezzina, maître de conférences en droit public.

En effet, le Conseil constitutionnel, dans une décision de 1986, s’est déclaré incompétent pour trancher la question. Dans une Assemblée nationale nouvellement élue, la députée FN, Yann Piat avait échoué à accéder à la présidence de l’Assemblée et contestait la validité du vote des suppléants des députés devenus ministres. Le Conseil avait objecté que la Constitution ne lui donnait pas compétence pour statuer sur la régularité de l’élection du président de l’Assemblée nationale ni pour donner un avis sur des modifications éventuelles du règlement de l’Assemblée nationale. « Il n’y a pas de contrôle sur ces situations d’incompatibilité. C’est la présidence sortante de Yaël Braun Pivet qui fixera les règles. A tout le moins, on pourrait imaginer que le Conseil censure une loi qui aurait été votée par une Assemblée présidée par une personne qui n’aurait pas été élue dans des conditions conformes à la Constitution », esquisse Jean-Pierre Camby.

 

 

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