Alors que le gouvernement demande un effort budgétaire de 5 milliards d’euros aux collectivités – « 11 milliards » selon les élus – le socialiste Karim Bouamrane affirme que « Michel Barnier est totalement inconscient ». Le PS a organisé ce matin, devant le congrès des maires, un rassemblement pour défendre les services publics.
Pour son « rendez-vous avec la Nation », Macron remixe Macron
Par François Vignal
Publié le
Rue du Faubourg Saint-Honoré, un petit attroupement s’est formé. C’est une queue de journalistes gelés. Comme en boîte de nuit, il faut attendre bien trois quarts d’heure, sur le trottoir, dans le froid, avant d’entrer. On se dit, la soirée doit être rudement bonne. Liste obligatoire pour être de la partie. L’affiche vend du rêve : un « rendez-vous avec la Nation ». Ça en jette.
Dans l’attente, certains ont quelques sueurs froides, quand le gendarme à l’entrée – enfin le physio – ne trouve pas leur nom dans la guest list. Avant de remettre la main dessus. « C’est bon, j’ai trouvé, ce n’était pas par ordre alphabétique ». Sont taquins à l’Elysée.
A l’intérieur, pas de banquette, ni de platine, mais une salle immense, des dorures et beaucoup de chaises. Les organisateurs misent visiblement sur la déco. C’est bien une salle des fêtes, celle de l’Elysée, qui accueille l’événement. Elle s’apprête à entendre la petite musique présidentielle.
« On va manquer de chaises »
En guise de « rendez-vous avec la Nation », une conférence de presse donc (voir ici les principales déclarations d’Emmanuel Macron). Tout ce que les médias comptent d’éditorialistes, chroniqueurs, rédacteurs ou débatteurs sont dans la place. Les conseillers de l’Elysée sont assis à la gauche du Président, les ministres à sa droite. Normal, diront les mauvaises langues, pour un gouvernement qui penche de ce côté du spectre politique. Disposition de la salle sur la largeur, et non la longueur comme on pourrait s’y attendre. Ça innove.
« On va manquer de chaises », s’inquiète une membre du service de presse, pendant que des journalistes glanent quelques « off » auprès des conseillers du Président. Un silence digne des Oiseaux d’Hitchcock emplie soudain la salle. 20h15 approche. Les ministres – et non pas une nuée de volatiles désorientés – arrivent. Puis d’un pas décidé, le regard droit devant, vient la tête d’affiche : Emmanuel Macron.
Le Président rejoue ses classiques
On note l’absence de pupitre, mais une table et une chaise. La soirée est partie pour durer. Pas de warm up en revanche, on commence direct. Et pour plaire à ses fans, le chef de l’Etat sort d’entrée de jeu ses classiques. Prise de risque limitée, mais efficacité assurée.
Emmanuel Macron entend ainsi porter « un acte 2 d’une loi pour la croissance », du nom du texte par lequel il avait laissé son empreinte de ministre de l’Economie de François Hollande – et libéraliser les transports par bus. Il promet aussi un « acte 2 de la réforme du marché du travail ». En guise de régénération, promise par l’exécutif avec le remaniement, on a droit plutôt droit à une saison 2.
« Continuer de présider au réel »
Emmanuel Macron ressort ses mots, ses thématiques, qui ont fait le succès du macronisme de 2017. Il veut « retrouver de l’audace », « oser ce que nous n’osions plus penser », « briser certains tabous, ne plus avoir peur de causer certains mécontentements ». « Il faut remettre de l’audace et de l’énergie dans le système, maintenant ». Un retour aux origines, la jambe gauche en moins. Problème : le disque du volontarisme, qui fait son effet à la première écoute, risque aujourd’hui de paraître un brin usé et surjoué, pour ne pas dire rayé. C’est du Macron, mais remixé par ses soins.
Comme à son habitude, le président gratifie les Français qui l’écoutent de quelques formules, une autre marque du macronisme. « Il y a une France de l’angle mort ». « C’est un continent caché ». « Continuer de présider au réel ». « Il faut aller au réel sur ce qu’ils proposent », attaque-t-il au sujet du « Front national, comme je préfère continuer à l’appeler », qu’il renomme aussi « parti du transformisme ». Il ouvre au passage la bataille des européennes en nationalisant l’enjeu de la bataille qui s’annonce avec le RN.
Sourire de Bruno Le Maire quand Emmanuel Macron évoque « 2027 »
La conférence de presse est aussi l’occasion pour Emmanuel Macron de tenter de clore la polémique Oudea-Castera, sa ministre de l’Education nationale, qui préfère mettre ses enfants dans le privé. Il l’a sauvée, tout en la recadrant. « La ministre a été maladroite, elle s’en est excusée, elle a bien fait ». « Elle restera à sa tâche », la défend Jupiter. Mine de rien, le Président a occupé de longues minutes de son « rendez-vous avec la Nation », et à plusieurs reprises, à tenter de dégonfler la polémique. La ministre, pendant ce temps, écoute sagement, son poing fermé tenant sa tête, prenant des notes quand Emmanuel Macron se dit favorable à ce que les élèves apprennent La Marseillaise, ou avalant sa salive quand le Président dit « quand on blesse sans se rendre compte, on a raison de s’excuser »…
Le contrechamp sur les ministres, depuis la salle, est parfois intéressant. Le premier ministre Gabriel Attal se tourne vers la nouvelle ministre de la Santé, Catherine Vautrin, à sa gauche, quand le Président se prononce pour le doublement de la franchise sur les boîtes de médicament. Quand le chef de l’Etat se prononce pour une réforme du mode d’élection du maire de Paris, la nouvelle ministre de la Culture, Rachida Dati, semble esquisser un sourire – mais promis, il n’y a pas de deal sur les municipales, assure Emmanuel Macron. Last but not least, quand le locataire de l’Elysée dit « j’ai compris qu’il y avait beaucoup de gens qui s’énervaient sur 2027. J’ai aussi compris qu’il me restait 3 ans et demi, […] et en 3 ans et demi, il se passe beaucoup de choses », le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, dont on connaît les visées sur la présidentielle, ne peut s’empêcher d’afficher un sourire en coin. Il n’est pas le seul. Gabriel Attal, assis à sa gauche, esquisse aussi un sourire, plus discret. De là à voir le début d’une ambition…
Une forêt de mains frustrées se lève
Les questions s’enchaînent, les journalistes, à coups de SMS aux équipes presse, tentent d’obtenir le micro. Une seule question par média – BFMTV en pose trois – pas de question en tiroir. Et Laurence Ferrari, de « CNews, Europe 1, Le JDD », qui se lance dans un édito. Ce qui n’échappe pas au Président qui raille quelque peu la journaliste : « J’ai le sentiment de donner une vision et des mesures concrètes. J’ai le sentiment que vous venez de poser une question et de donner votre vision… » Légers rires dans la salle.
Après 2h15 de rendez-vous avant tout avec les journalistes, mais en prime time, c’est déjà l’heure « d’une dernière question », lance Emmanuel Macron. Une forêt de mains frustrées se lève. Sur le côté, un journaliste s’énerve : « Je vais me lever, je vais parler fort, ce n’est pas possible. Ce n’est pas normal de ne pas avoir le micro ! » Il ne l’aura pas. Les fins de soirée, c’est parfois compliqué. Pendant ce temps, Emmanuel Macron s’éclipse en saluant ses ministres. Le show aura été de bonne tenue. Mais pas sûr que ce « rendez-vous avec la Nation » reste comme la soirée de l’année.
Pour aller plus loin