Pour Marc Lazar, le gouvernement Meloni est « conservateur, de droite radicale »

Pour Marc Lazar, le gouvernement Meloni est « conservateur, de droite radicale »

Le vendredi 21 octobre, Giorgia Meloni, présidente du parti post-fascite Fratelli d’Italia et grande gagnante des élections législatives italiennes du 25 septembre, a présenté son gouvernement. Il est composé de membres issus de sa formation politique, mais aussi de celles de l’ancien Premier ministre Silvio Berlusconi et de Matteo Salvini, à la tête de la Lega, parti d’extrême-droite italien anti-migrants, qui font partie de la coalition qui l’a emporté fin septembre. Quelques jours plus tard, le dimanche 23 octobre, Emmanuel Macron, de passage à Rome, est allé rencontrer la nouvelle Première ministre italienne. C’est le premier chef d’Etat européen à le faire. Retour avec Marc Lazar, professeur émérite d’histoire et de sociologie politique à Sciences Po et président de la School of government de l’université LUISS à Rome, sur les enjeux de ce nouveau gouvernement.
Mathilde Nutarelli

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Les négociations ont duré près d’un mois pour constituer le gouvernement, est-ce un délai habituel ?

Ce délai est relativement dans la moyenne, voire très rapide. Il y a déjà eu des négociations beaucoup plus longues. Le calendrier officiel a été respecté : les chambres ont élu leur prédisent le 13 octobre, le 15 octobre, les groupes parlementaires se sont constitués, puis le Président de la République a fait ses consultations jeudi dernier.

La presse a relaté de tensions entre les composantes de la majorité lors de la constitution de ce gouvernement, est-ce qu’il peut tenir dans la durée ? Quels sont les équilibres entre les 3 forces majoritaires ?

Ce sont les tractations en amont des négociations officielles, en-dehors du calendrier qui ont été tendues. C’est tout à fait normal dans ces régimes parlementaires, surtout en Italie. C’est parfois très dur. Mais cette tension existe aussi car la situation présente des nouveautés considérables. Fratelli d’Italia est passé de 4 à 26 % et a pris des voix à Matteo Salvini et à Silvio Berlusconi. Pour ces partis-là, les couleuvres ont été particulièrement dures à avaler.

Mais le point essentiel, c’est que ce gouvernement est celui de Giorgia Meloni. C’est le gouvernement d’une femme dont le parti écrase les deux autres, c’est son gouvernement personnel. Elle est en position de force car elle a largement gagné les élections et qu’elle jouit actuellement d’une grande popularité dans l’opinion publique italienne.

Au sein de cette majorité, il existe déjà des tensions considérables et des désaccords de fond sur la politique à mener, en particulier sur l’Ukraine, avec Silvio Berlusconi. Ils ont été mis entre parenthèses.

Est-ce que ce gouvernement marque véritablement une rupture avec tous les précédents ?

Comme souvent, ce gouvernement sera à la fois dans la continuité et dans le changement. Dans la continuité sur le plan économique, car la marge de manœuvre de l’Italie est très faible. En effet, elle a une des dettes publiques les plus importantes de l’Union européenne, et que l’Allemagne l’a dans le collimateur. Giorgia Meloni essaiera de réviser certains points du plan de résilience, mais elle a une petite marge de manœuvre. En matière de politique internationale, ce gouvernement ne changera pas grand-chose.

Le changement aura lieu sur les questions de société. C’est un gouvernement conservateur, de droite radicale. Giorgia Meloni appliquera donc tout ce qui pourra marquer comme mesures de droite radicale.

Dans les relations avec l’Union Européenne, la France, l’Allemagne, on peut penser qu’il y aura davantage de tensions dans les discours.

Quels sont les dossiers prioritaires pour ce gouvernement ?

Le gouvernement va d’abord devoir s’attaquer à la loi de finances. Elle a peu de temps pour la faire, avant de la présenter à l’Union Européenne. Ensuite, viendra ce qui s’est amorcé au cours de la discussion informelle entre le Président italien et Giorgia Meloni sur la guerre en Ukraine. Sur ce sujet-là, elle est très claire : elle va continuer le soutien au peuple Ukrainien, avec des sanctions et des envois d’armes.

Viendront ensuite les questions de l’énergie et du prix de l’énergie, pour avoir un prix plafonné de l’énergie. C’est un sujet très important, car l’Italie est très dépendante de l’énergie venue d’autres pays. Les questions économiques et sociales sont très attendues par les Italiens.

C’est un gouvernement à double face. Il a une face « présentable », pour rassurer les marchés financiers et l’Union Européenne

De l’autre côté, on a un gouvernement très à droite, où les questions culturelles et identitaires sont présentes. Giorgia Meloni a par exemple créé un « ministère de la Famille et de la natalité », pour marquer de sa patte ce gouvernement. C’est un thème très présent dans sa campagne. Elle souhaite aider les familles à avoir des enfants, par des avantages fiscaux, par exemple, parce que l’Italie connaît aujourd’hui une tragédie démographique. Mais là-dessus, elle ajoute quelque chose, car elle confie ce ministère à une ancienne féministe des années 70 et qui a viré sa cuti et qui est aujourd’hui anti avortement. Sur ce sujet-là, si Giorgia Meloni ne reviendra pas explicitement sur la loi l’autorisant, elle utilisera tous les moyens qui y sont présents pour restreindre l’avortement. Elle a un argumentaire idéologique très fort là-dessus.

Un autre exemple du changement d’idéologie dans ce gouvernement est celui du ministère du Développement économique. Il a changé de nom pour s’appeler ministère des Relations avec les entreprises et pour le made in Italy. C’est une manière de montrer et d’exploiter l’image de marque de l’Italie dans le monde, mais peut-être aussi d’affirmer la ferté italienne et d’annoncer des mesures protectionnistes. Par exemple : que va faire ce nouveau gouvernement de la compagnie aérienne ITA, en attente de repreneur ? Mario Draghi tendait à accepter l’offre d’Air France. Mais moi je pense que Giorgia Meloni va vouloir qu’elle reste italienne.

Emmanuel Macron a rencontré Giorgia Meloni dimanche 23 octobre, lors d’un déplacement à Rome, était-il obligé de le faire ? La gauche a fustigé le fait qu’il n’émette pas de critiques, de nuances, envers Giorgia Meloni, est-ce une faute ?

C’est elle qui a demandé cette rencontre. C’est un geste important, car elle avait attaqué fortement Emmanuel Macron en 2018. Elle a donc profité de sa présence à Rome pour lui proposer une rencontre, pour trouver des points de convergence, notamment en ce qui concerne l’énergie, ou l’assouplissement des critères de Maastricht. Mais lors de cette entrevue, elle lui aurait dit que malgré le fait que leurs pays étaient alliés, il devait la respecter.

Concernant les critiques de la réaction d’Emmanuel Macron à cette invitation, que fallait-il faire alors ? Fallait-il refuser ? Rompre tout rapport avec l’Italie ? Si l’on considère que l’Italie est devenue fasciste, c’est en effet ce qu’il faudrait faire a plus vite. Le principe de la realpolitik va jouer entre la France et l’Italie, dorénavant. En même temps, la France aura des points d’observation, ce qu’ont affirmé Elisabeth Borne et Laurence Boone, comme la France est vigilante avec la Hongrie et la Pologne. Pour le moment, le gouvernement n’a pas encore commencé, il me semble qu’il est difficile d’émettre des réserves avant qu’il n’ait agi.

La ligne de crête, c’est de savoir où le gouvernement de Meloni va se situer au sein de l’Union Européenne. Va-t-il pencher du côté de Varsovie et Budapest, malgré les désaccords avec Orban sur l’Ukraine ? Ou bien restera-t-il sur une ligne plus proche de l’Allemagne e de la France ?

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