Portrait. La « Marche » d’Emmanuel Macron vers l’Élysée

Portrait. La « Marche » d’Emmanuel Macron vers l’Élysée

À 39 ans, Emmanuel Macron est le plus jeune président de la Vème République. Avec 66,1% des voix, il remporte sa première élection. Retour sur sa « Marche » fulgurante vers l’Élysée.
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« Mitterrandien ». Sur l’esplanade du Louvre , un homme marche seul pendant plus de trois minutes. L’image est historique, les symboles choisis avec soin. A 39 ans, Emmanuel Macron est le plus jeune président de la Vème République. S’avançant vers la pyramide, il s’apprête à prononcer son discours. Sur l’esplanade résonne « l’hymne à la joie » de Beethoven, l’hymne officiel de l’Union européenne. Tel François Mitterrand, à l’origine de la pyramide derrière lui, remontant la rue de Soufflot pour pénétrer dans le Panthéon, Emmanuel Macron, en l’espace de quelques instants, incarne la solitude du pouvoir, tant invoquée par les anciens Présidents de la Vème République. « Je vous servirai avec amour » lance le nouveau chef d’Etat qui semble avoir pris la mesure du poids des images d’une victoire électorale.

Quatre ans plus tôt, le grand public découvre un jeune homme aux côtés de François Hollande dans le documentaire « le Pouvoir » de Patrick Rotman. Emmanuel Macron à 34 ans, il est secrétaire général adjoint de l’Elysée ou il seconde Pierre-René Lemas. L’une des rares séquences notables de ce long métrage, le montre en train de se faire sermonner par le nouveau président socialiste. En cause ? Des discours « trop brouillons » à son goût. « Comme disent les enfants, il faut écrire directement au propre » s’agace François Hollande. La suite se déroulera, non sans quelques ratures, pour le jeune conseiller.

« Bonne chance Manu »

Sans la moindre attache électorale, Emmanuel Macron est nommé ministre de l’Economie en août 2014. Le « bonne chance Manu » de son prédécesseur Arnaud Montebourg pendant la passation de pouvoir ne masque pas le tournant social libéral opéré par l’exécutif et désormais incarné par l’ancien associé gérant de la banque Rothschild. Ancien énarque, il connait Bercy pour y avoir exercé en tant qu’inspecteur général des finances. « Nous sommes deux hommes de conviction qui appartiennent à la même famille » affirme à l’époque Emmanuel Macron à l’adresse d’Arnaud Montebourg. La veille de sa nomination, il remet pourtant en cause publiquement un des totems de sa supposée famille politique. Dans une interview au Point, il se dit favorable au fait d'autoriser « les entreprises et les branches à déroger » aux 35 heures, en cas d'accords avec les organisations syndicales. Cela lui vaudra son premier recadrage par Manuel Valls qui  proposait lui-même en 2011 de « déverrouiller les 35 Heures ».

Le temps des recadrages

De son passage au gouvernement, on retiendra sa loi éponyme : 308 articles dont une vingtaine partiellement censurés et son adoption par le 49.3. Le texte fixe l’assouplissement du travail le dimanche et de nuit, la libéralisation des voyages en autocars ou encore l’assouplissement des conditions de changement de banques. Mais Emmanuel Macron semble à l’étroit à Bercy. Novice en politique, ses prises de paroles agacent de plus en plus le couple exécutif Valls/Hollande. En témoigne cette bourde de la rentrée 2015, où il affirme devant des journalistes que le « statut de la fonction publique n'est « plus adéquat » et « surtout n’est plus justifiable compte tenu des missions ». Malgré un rétropédalage, ses propos lui vaudront  le fameux « ras le bol » de Martine Aubry et une invitation de la part de Nicolas Sarkozy à rejoindre Les Républicains.

Macron, ministre pressé va être rapidement freiné par son meilleur ennemi  au sein de l’exécutif,  Manuel Valls. L’encre de sa première loi à peine séchée, le ministre planche sur une deuxième baptisée « Noé » comme  « nouvelles opportunités économiques » prévue pour début 2016. Dans un show à l’américaine et accompagné d’une dizaine d’intervenants tels que Frédéric Mazella le président-Fondateur de BlaBlaCar, Emmanuel Macron prône déjà le « diagnostic partagé » pour doper l’économie numérique.  Plusieurs semaines plus tard sa loi sera finalement dissoute et prendra la forme d’amendements aux textes portés par Axelle Lemaire, Michel Sapin et Myriam El Khomri. Lors de ses vœux à la presse début 2016, le Premier ministre, Manuel Valls mettra en garde son ambitieux collègue au gouvernement.  « Il faut mettre de côté un certain narcissisme, un certain égocentrisme pour se consacrer essentiellement à l'intérêt général ». En effet, après les attentats du Bataclan et de Saint-Denis, les relations entre les deux hommes virent à la guerre de tranchées. Quelques jours après le drame, le ministre de l’économie jette encore un pavé dans la mare en affirmant que la France devrait « assumer sa part de responsabilité dans le « terreau » sur lequel le terrorisme à prospéré se « nourrissant de la défiance que nous avons laissée s'installer dans la société ».Réponse cinglante du premier ministre : « J'en ai assez de ceux qui cherchent en permanence des excuses ou des explications culturelles ou sociologiques à ce qui s'est passé ». Comme Christiane Taubira, Emmanuel Macron s’oppose aussi ouvertement au projet de réforme constitutionnelle visant à déchoir de leur nationalité les terroristes binationaux nés Français. Il expliquera, quelques mois plus, tard avoir quitté le gouvernement suite à « un vrai désaccord intellectuel avec Valls sur la politique économique et avec Hollande sur la déchéance de nationalité et la politique européenne ».

La pose de la première « Marche »

C’est dans la ville de son enfance, Amiens, qu’Emmanuel Macron lève un premier voile sur ses intentions. Le 6 avril 2016, le mouvement politique transpartisan « En Marche ! » est lancé. « J’ai mis du temps, et j’ai décidé qu’on allait créer un mouvement politique nouveau, qui ne sera pas à droite, qui ne sera pas à gauche. On essayera toujours de le mettre dans une case. Moi, je suis dans un gouvernement de gauche, mais je veux aussi travailler avec des gens qui sont à droite et je pense qu’on peut refonder par le bas de manière sincère et authentique » expliquera-t-il devant une petite assemblée de soutiens. Le PS est à l’époque dubitatif sur l’incitative du jeune ministre. La secrétaire d’Etat, Pascale Boistard rigole sur Twitter et conseille à ses followers d’écouter ce vieux tube de Jean-Jacques Goldman, « je marche seul ». Plus concret, le parton du PS, Jean-Christophe Cambadélis lui prédit « peu d’adhérents » en provenance de son parti. Les commentateurs sont unanimes la « bulle » Macron finira par éclater.

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Dans la foulée, l’ancien conseiller de l’Elysée marche carrément sur les pieds de François Hollande. A l’occasion d’un déplacement à Londres, il affirme qu’ « une partie des réformes » du quinquennat sont arrêtées mais « 60%, 70% sont en train d'être faites ou seront faites ». Au même moment, François Hollande, invité de « Dialogues citoyens » sur France 2 réplique : «Il doit être dans l'équipe, sous mon autorité» (…) C’est entre nous, non pas simplement une question de hiérarchie – il sait ce qu’il me doit - mais une question de loyauté personnelle et politique ».Le 12 juillet à la Mutualité, Emmanuel Macron franchit une étape supplémentaire et laisse plus que planer le doute dans ses intentions en prononçant devant 3000 partisans : «Ce mouvement, personne ne l’arrêtera. Nous le porterons ensemble jusqu’en 2017 et jusqu’à la victoire ».

L’attentat de Nice repousse son agenda personnel. Sa démission, à l’origine, prévue au mois de juillet, aura finalement lieu le 30 août. Entre temps, il envoie ses « marcheurs » remettre au goût du jour la pratique du porte à porte pour faire le « diagnostic » de la « France qui subit ».L’automne dernier, il laisse planer un faux doute sur ses intentions en multipliant les meetings en province avant de se déclarer officiellement candidat à l’élection présidentielle le 16 novembre dans un centre d’apprentissage à Bobigny, en Seine-Saint-Denis. « Mon objectif n’est pas de rassembler la droite ou de rassembler la gauche, mais de rassembler les Français » scande celui qui se fait le porte voix des « progressistes ».  Autoproclamé, apôtre du renouveau, ses soutiens sont pour le moment éparses et ont un passé politique estampillés Solférino : les parlementaires PS Gérard Collomb et François Patriat, Nicole Bricq, Richard Ferrand.  L’ancien ministre de Jacques Chirac, Renaud Dutreil,  est l’un des seuls à illustrer le transparti. D’autres, comme le maire socialiste de Strasbourg, Roland Ries refuse de le soutenir par « loyauté » envers le parti et ce malgré leur amitié.

Sa « Révolution »

S’en suit la sortie de son livre « Révolution » où le candidat revient sur son parcours. De son enfance à Amiens à ses vacances chez sa grand-mère à Bagnères-de-Bigorre en passant par sa rencontre avec son épouse Brigitte, sa professeure de Français. Il y définit sa ligne politique à la fois libérale et de gauche.  « Si par libéralisme on entend confiance en l'homme, je consens à être qualifié de libéral (…)c'est être de gauche que de penser que l'argent ne donne pas tous les droits, que l'accumulation du capital n'est pas l'horizon indépassable de la vie personnelle, que les libertés du citoyen ne doivent pas être sacrifiées à un impératif de sécurité absolue et inatteignable, que les plus pauvres et les plus faibles doivent être protégés sans être discriminés, alors je consens aussi volontiers à être qualifié d'homme de gauche », développe-t-il.

Lors d’un déplacement à Strasbourg, son épouse dit de lui : « il a une forme d’intelligence qui embrasse tout ». Sans présumer de la véracité du jugement d’une épouse envers son mari, il semble qu’en ce début de campagne, les planètes s’alignent pour  faire prospérer la « Marche » du jeune candidat. Le renoncement surprise de François Hollande, empêtré dans la polémique autour du livre « Un Président ne devrait pas dire ça », conjuguée à la candidature de Manuel Valls a la primaire de gauche, lui ôte les habits de Brutus qui lui colle à la peau depuis le lancement de son mouvement. Si en coulisse, dans l’équipe d’Emmanuel Macron, on moque l’âge d’Alain Juppé et son manque d’empathie, l’hypothèse, plus que probable à l’époque, d’une qualification du maire de Bordeaux à la primaire de droite dévorerait l’espace politique convoité. L’élimination d’Alain Juppé puis de Manuel Valls, deux mois plus tard, à la primaire de la Belle Alliance Populaire conforte, là encore, sa stratégie. Lui, qui refusait d’y participer n’y voyant qu’un exercice de « déchirement autour du bilan du quinquennat ».

Des propos polémiques et un ralliement bienvenu

Mais en ce début d’année 2017, c’est le candidat des Républicains, François Fillon qui est donné favori de l’élection. Surfant sur son image d’homme intègre, il tranche avec l’image « people » et sans fond du candidat d’En Marche, abonné aux Unes des magazines avec Brigitte, avec l’aide de « Mimi Marchand » patronne de l'agence de photos Bestimage. Encore une fois, un évènement inattendu vient donner un sérieux coup de pouce à Emmanuel Macron. L’affaire d’emplois présumés fictifs de l’épouse et des enfants de François Fillon associée à la ligne de défense désastreuse du candidat LR et de ses soutiens, parachève sa dégringolade dans les sondages et déplace la campagne sur le terrain de la probité des politiques. Thème travaillé par Emmanuel Macon depuis l’automne, notamment par l’obligation d’un casier judiciaire vierge imposé à ses futurs ministres et parlementaires. Malgré des meetings en demi-teinte, comme en février à Lyon, où il passera deux heures à enchainer les poncifs et les injonctions bienveillantes-« ne sifflez pas »- le FN, il ne dévisse pas.  Ses propos polémiques à Alger  sur « le crime contre l’humanité » de la colonisation et sa tentative de rattrapage par une paraphrase maladroite du Général de Gaulle, « je vous ai compris et je vous aime », sont opportunément évacués par le ralliement surprise de François Bayrou. Malgré la ferveur des meetings de Jean-Luc Mélenchon et les « punchlines» du tribun de la France Insoumise lors des débats d’avant premier tour, Emmanuel Macron réussi à maintenir son avance. Sa propension à être « d’accord avec tout le monde » lors de ces échanges télévisés est détournée pour conforter son image de Président rassembleur.

la Rotonde et le débat

L’attentat des Champs-Elysées à trois jours du premier tour n’auront pas d’influence sur l’issue du scrutin. En tête au premier tour avec 24,01% des voix contre 21,3% pour Marine Le Pen, Emmanuel Macron mesure mal l’image de sa soirée de « victoire » à la Rotonde et tarde à revenir sur le terrain pour la campagne d’entre-deux-tours. Son avance sur la candidate FN se réduit d’autant que son adversaire ne manque pas d’imagination pour lui damer le pion sur le terrain médiatique à l’image de son arrivée surprise sur le parking de l’usine Whirlpool aux côtés de salariés acquis à sa cause. Le ralliement de Nicolas Dupont-Aignan conjugué au silence pesant de Jean-Luc Mélenchon laissent planer l’incertitude à une semaine de vote décisif. Emmanuel Macron ne fera de son côté aucun geste à l’adresse de la France Insoumise, des écologistes ou encore des Républicains, envoyant même balader ceux qui ont l’outrecuidance de se voir en Premier ministre d’un Président qui aura du mal à réunir une majorité. Le déplorable spectacle du débat d’entre-deux-tours sonnera le glas de « la présidentialité » de Marine Le Pen. Ce soir, le plus dur commence pour le huitième président de la Vème République. Les législatives et la construction d’une majorité présidentielle seront une première indication sur le déroulement de son quinquennat.

 

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