Illustration facade et entree d une Mairie.

Polémique sur une nouvelle « contribution » locale : « Ça confirme que c’était une connerie de supprimer la taxe d’habitation »

En avançant l’idée d’une « contribution modeste » pour recréer le lien entre communes et citoyens, le ministre François Rebsamen a relancé ce débat sensible de la fiscalité locale. Au Sénat, tous les sénateurs dénoncent la suppression de la taxe d’habitation par Emmanuel Macron. A la place, le sénateur Bernard Delcros, président de la délégation aux collectivités, soutient l’idée d’une « contribution » qui serait « différentiée, en fonction des revenus des habitants », via « une remise à plat » des impôts locaux.
François Vignal

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Ne l’appelez surtout pas « taxe ». Mais « contribution ». Quand on parle d’impôts en France, le sujet est vite explosif, a fortiori quand il s’agit d’en créer un nouveau. François Rebsamen, ministre de l’Aménagement du territoire et de la Décentralisation, en fait l’expérience, pour avoir parlé de fiscalité locale.

10 à 100 euros par an

« On ne va pas recréer la taxe d’habitation, non. Sa suppression était une bonne décision, elle a créé un gain de pouvoir d’achat, on ne reviendra pas là-dessus », a-t-il commencé par expliquer dimanche, à Ouest France, avant de mettre les pieds dans le plat, en évoquant « l’instauration d’une contribution, modeste, au financement des services publics de la commune pour renouer le lien avec les citoyens ». Selon Les Echos, Bercy imagine cette contribution à 30 euros par an, quand le cabinet de François Rebsamen évoque une fourchette comprise entre 10 et 100 euros par an.

A l’heure où le gouvernement assure vouloir faire des économies sans augmenter les impôts, les propos ont pu surprendre… jusqu’à Matignon et l’Elysée. Dès le lendemain, lors du compte rendu du Conseil des ministres, la porte-parole du gouvernement, Sophie Primas, tempère sérieusement, quitte à mettre à mal la position de son collègue. « Le premier ministre a souhaité rappeler qu’Il y a des propositions sur la table, portées soit par des ministres, soit par des partenaires sociaux, soit par des associations, comme l’AMF, l’AMRF. Il y a beaucoup d’idées sur la table mais absolument rien n’est arbitré, rien ne correspond à la position finale du gouvernement. Elle sera affinée dans les semaines qui viennent », soutient la porte-parole, donnant rendez-vous pour « une déclaration sur les orientations budgétaires à la mi-juillet, comme annoncé par le premier ministre ». Et d’ajouter : « Il ne faut s’interdire rien, mais rien n’est décidé ».

Une idée déjà avancée début mars par François Rebsamen devant le Sénat

Si la sortie du ministre a suscité quelques remous, on peut en réalité s’en étonner. Car il avait déjà évoqué le sujet publiquement. C’était lors d’une audition au Sénat, le 5 mars dernier. « Je suis favorable à ce qu’on reprenne une réflexion sur une contribution minimum qui soit quelque chose » qui crée le « lien » entre « une résidence » et « la collectivité », avait affirmé l’ancien maire PS de Dijon. « Nous devons le faire, et si je peux le faire avec l’appui du Sénat, ce sera bien volontiers, car ce ne durera pas longtemps. Ce n’est pas possible qu’un certain nombre de collectivités, de communes, ne puissent vivre qu’avec 20 % de contributeurs. Il y a des communes où il y a 80 % de propriétaires et d’autres où c’est 20 ou 30 % de contributeurs à l’impôt local », avait souligné celui qui était déjà ministre sous François Hollande, avant de lancer, à l’adresse des sénateurs : « Je suis d’accord avec vous. Si je peux avancer, je le ferai ».

L’idée d’une forme de nouvelle fiscalité locale est en réalité revenue sous les radars depuis le gouvernement Barnier, fin 2024. « Il faut réfléchir à une participation possible au fait de vivre dans la ville ou le village », avait affirmé en novembre au Parisien la prédécesseure de François Rebsamen, Catherine Vautrin. En octobre, la question était évoquée devant le Comité des finances locales. Comme nous l’expliquions, le gouvernement d’alors « ne ferm (ait) pas la porte à l’éventualité » d’une nouvelle contribution, à terme. Bref, si le sujet, ni encore moins les contours de la solution, ne font consensus, on voit que ça mijote.

« Jeu de bonneteau », « bricolage »

Au Sénat, c’est pire. Certains sénateurs bouillent déjà, entre ceux qui n’écartent pas l’idée mais interrogent la méthode, et ceux qui voient d’un mauvais œil un éventuel nouvel impôt, à l’image d’Hervé Maurey, sénateur centriste de l’Eure, croisé ce mardi matin dans les couloirs du Palais de Marie de Médicis, avant les réunions de groupe. « Ça confirme que c’était une connerie de supprimer la taxe d’habitation. On l’a toujours dit au Sénat », lance le sénateur du groupe Union centriste, « c’était une erreur économique et financière. Mais est-ce le moment de demander un effort supplémentaire aux Français ? » demande Hervé Maurey. A ses côtés, Agnès Canayer, ancienne ministre de Michel Barnier et sénatrice rattachée au groupe LR, ajoute qu’« on a besoin de trouver plusieurs milliards d’euros. Mais (elle) ne croi (t) pas que ce soit par la fiscalité. Il faut que l’Etat fasse des économies ».

Jean-Raymond Hugonet, sénateur apparenté LR de l’Essonne, y va lui de sa formule. « Un candidat a eu cette idée, politiquement géniale, de supprimer la taxe d’habitation, car ça a fait élire Emmanuel Macron en 2017 avec aussi le soutien de François Bayrou, mais réalistiquement suicidaire, car c’était un jeu de bonneteau. Ce qu’on supprime d’un côté, on le récupère de l’autre », pointe le sénateur. Pour lui, faire cette contribution de 30 euros, « c’est du bricolage ». « Aujourd’hui, le mal est fait. Même si ça a été dramatique pour les communes, on ne peut pas aller recréer un impôt pour les Français », soutient Jean-Raymond Hugonet.

Patrick Kanner dénonce « un énorme couac au sein de la majorité gouvernementale »

La décision d’Emmanuel Macron de supprimer complètement la taxe d’habitation est tout aussi dénoncée à gauche, où on pointe la confusion gouvernementale. « Emmanuel Macron a fait une faute lourde à l’égard des collectivités territoriales, en supprimant entre 22 et 23 milliards d’euros de moyens fiscaux pour l’Etat, qu’il compense auprès des collectivités, suite à la disparition de la taxe d’habitation. Donc il ne fallait pas toucher à la taxe d’habitation. C’est une erreur », soutient Patrick Kanner, à la tête du groupe PS du Sénat, que le ministre de la Décentralisation avait dirigé de 2011 à 2014. « François Rebsamen, ancien maire, sait bien les conséquences de cette compensation qui n’est pas dynamique pour les collectivités. Et aujourd’hui, il part fleur au fusil, manifestement sans avoir vérifié qu’il pouvait dire ce qu’il a dit. C’est donc un énorme couac au sein de la majorité gouvernementale, alors qu’il y a une conférence le 6 mai sur le financement des territoires », dénonce le président du groupe PS. « C’est un gouvernement d’autoentrepreneurs, il n’y a aucune cohérence », attaque le sénateur du Nord, alors que François Rebsamen avait présidé, de 2011 à 2014, le groupe PS.

Reste que sur le fond, Patrick Kanner pense aussi que « la fiscalité locale doit être revisitée complètement. Mais pas par petits bouts. Et surtout pas par petites phrases, telles que François Rebsamen l’a fait ». Mais « la réhabilitation de l’impôt local est pour moi une priorité », soutient l’ancien ministre. « Il faut une nouvelle ressource pour les collectivités », confirme de son côté le sénateur PS de Landes, Eric Kerrouche, vice-président de la délégation aux collectivités, qui regrette qu’« à force de diaboliser l’impôt, on ait ce genre de situation ». « Est-ce plus sur le foncier ? Ou une nouvelle contribution ? » se demande le socialiste, mais « il faut trouver une solution, se mettre d’accord ».

Bernard Delcros soutient « une contribution minimale, faible, qui crée un lien qui responsabilise tout le monde »

Le président de la délégation aux collectivités, le sénateur du Cantal, Bernard Delcros, confirme qu’« il faut de toute façon revoir la question de la fiscalité locale », qu’il trouve particulièrement injuste. « Aujourd’hui, la famille qui est propriétaire d’une petite maison dans sa commune rurale dans sa campagne paie un impôt à sa commune par le foncier bâti. Mais la personne très aisée, française ou étrangère, qui loue un magnifique appartement à Paris ou ailleurs, ne paie pas de fiscalité locale. On ne peut pas continuer indéfiniment comme ça », prévient le sénateur du groupe Union centriste.

Pour Bernard Delcros, « il faut revoir l’ensemble du lien fiscal entre l’habitant propriétaire et la collectivité, et il est existe, et aussi entre l’habitant non-propriétaire et la collectivité. Et ce lien n’existe plus ». La solution est « de revoir la fiscalité locale, mais en l’appuyant sur le principe intangible de justice fiscale », selon le sénateur du Cantal. « Appliquer la même somme à tout le monde, indépendamment de ses revenus, ne me paraît pas être une bonne mesure de justice fiscale. Je suis pour des impôts locaux différentiés, en fonction des revenus des habitants », propose le président de la délégation. Pour cette nouvelle contribution, son idée est d’imaginer « une contribution minimale, faible, qui crée un lien qui responsabilise tout le monde, j’y suis favorable », soutient Bernard Delcros. Une contribution qui augmenterait selon le revenu. Soit une idée qui peut se rapprocher de celle de François Rebsamen.

« Un principe de base, c’est celui de la justice sociale, justice sociale et justice territoriale »

Mais toute réforme devra se faire « avec un principe de base, c’est celui de la justice sociale, justice sociale et justice territoriale. Il n’y a que comme ça qu’on sera en capacité de faire accepter des mesures de redressement des comptes publics », insiste le centriste. Précision importante, dans la proposition de Bernard Delcros : « Ce n’est pas forcément un nouvel impôt, c’est une répartition différente de la fiscalité locale », tient à expliquer le sénateur. « Aujourd’hui, elle repose essentiellement sur les propriétaires, mais aussi la taxe d’habitation sur les résidences secondaires, qui a été maintenue, et sur l’impôt foncier dont les taux ont largement augmenté, à l’initiative des communes. Il faut donc une remise à plat. Ça ne peut pas se faire en un jour ». Il résume : « Ça ne peut pas être je ne touche rien à ce qui existe et je rajoute un impôt. En revanche, remettre à plat la fiscalité locale, oui ».

En matière de fiscalité, on ne manque pas d’imagination. Plutôt que de créer un nouvel impôt, le sénateur LR Rémy Pointereau, premier vice-président de la délégation aux collectivités, apporte sa pierre à la réflexion et propose de mieux répartir l’impôt existant. « C’était une erreur de supprimer la taxe d’habitation qui apportait un lien avec les citoyens. Après, la fiscalité est quand même très forte en France », commence le sénateur du Cher, qui pense que « le mieux serait de faire payer une partie de la taxe foncière aux locataires ». Là encore, même objectif, permettre « que ceux qui résident dans la commune participent ».

« La proposition de François Rebsamen a le mérite d’être sur la table, mais c’est prématuré »

Reste que « c’est toujours difficile, quand on a supprimé une taxe, d’en recréer une. Je me méfie d’une contribution modeste. La CSG était modeste à sa création et a ensuite augmenté… » met en garde Dominique Estrosi Sassone, présidente LR de la commission des affaires économiques du Sénat. « Aujourd’hui, la réflexion n’est pas aboutie », pense la sénatrice des Alpes-Maritimes, « la proposition de François Rebsamen a le mérite d’être sur la table. Mais c’est prématuré. Cependant, on ne fera pas l’économie d’un débat sur les ressources des collectivités ». Pour Bernard Delcros en revanche, il faut y aller. « Je pense que le chantier pourrait être ouvert dès maintenant. Peut-être pas pour le prochain budget mais pour le suivant », espère le sénateur du Cantal, « les conditions sont réunies pour qu’on avance sur ces sujets ». A voir.

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