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Planification écologique : de Jean-Luc Mélenchon à Emmanuel Macron, itinéraire d’un concept
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La ficelle peut sembler grosse. En allant parler d’écologie à Marseille, ville où Jean-Luc Mélenchon a été élu député en 2017 et où il est arrivé en tête du premier tour à 31,1 %, devant le Président sortant (22,6 %), Emmanuel Macron a fait peu de mystères de sa stratégie d’entre-deux-tours. Le chef de l’Etat a assumé de donner des gages à la gauche et aux 7,8 millions d’électeurs du candidat de l’Union populaire, tout en rappelant par contraste que ces thématiques chères à l’électorat de Jean-Luc Mélenchon, étaient loin d’être au centre du projet de Marine Le Pen. Mais Emmanuel Macron est tout de même allé assez loin, en reprenant les concepts développés par LFI depuis 5 ans maintenant – comme la planification écologique – et en annonçant notamment que son prochain Premier ministre serait « directement chargé de la planification écologique, […] appuyé par un ministre de la planification énergétique. »
Emmanuel Macron est un caméléon, et reprendre des concepts à droite et à gauche reste sa marque de fabrique. Mais au-delà d’un procédé de campagne de second tour, la conjoncture politique et économique a profondément changé : en 2017, Jean-Luc Mélenchon avait du mal à plaider pour son plan d’investissement à 100 milliards sans qu’on le renvoie aux règles budgétaires européennes et au déficit. Aujourd’hui, la fameuse « règle d’or » des 3 % de déficit paraît mise sous cloche. De même, un plan de relance de 100 milliards d’euros a finalement été lancé en 2020 pour répondre à la crise économique liée à la pandémie de Covid-19, consacré pour un tiers à la transition écologique. Emmanuel Macron nie la « conversion » à la planification et plaide le « pragmatisme », alors que Jean-Luc Mélenchon se félicite que l’adversaire « sème [ses] mots », mais que se cache-t-il derrière ce concept aussi largement repris aujourd’hui dans le débat public ?
Un concept mis à l’agenda par Jean-Luc Mélenchon
C’est en tant que sénateur du Parti socialiste, au Congrès de Reims en 2008, que Jean-Luc Mélenchon avait utilisé pour la première fois le terme de « planification écologique. » Le concept a donc voyagé de l’Ancien monde bipolarisé au Nouveau monde tripartite, en suivant la trajectoire du candidat du Front de gauche, puis de la France Insoumise, et enfin de l’Union populaire. Le terme figure en effet dans le programme de 2012 de Jean-Luc Mélenchon, avant de devenir, en 2017, un axe majeur de la politique économique du programme « L’Avenir en commun. » À l’époque, la planification écologique représente 60 milliards d’investissement de l’Etat dans un plan d’investissement de 100 milliards, et un plan de relance de 237 milliards d’euros. Le but est d’organiser « la bifurcation écologiste », et notamment le déploiement des énergies renouvelables ou la transition agricole, par un Commissariat général au plan, à la manière de ce qu’a pu faire la France pendant les 30 Glorieuses, alors que l’importance du plan dans les politiques publiques a décliné jusqu’à la suppression du Commissariat général en 2006.
Ce n’est donc pas une surprise de retrouver la planification écologique dans le programme de Jean-Luc Mélenchon en 2022. C’est d’ailleurs le thème du deuxième livret du programme, qui a pris une tonalité un peu moins technocratique et centralisée que dans la version de 2017. Le Commissariat général au plan est remplacé par un Conseil à la planification écologique, organisme interministériel rattaché au Premier ministre permettant de superviser la mise en œuvre de la planification écologique. Celle-ci passe d’abord par des débats citoyens, la consultation des syndicats, des branches professionnelles, des associations, des ONG et des laboratoires de recherche pour élaborer un plan se concrétisant par une loi de planification écologique débattue par le Parlement. Ensuite, le Conseil à la planification écologique superviserait la mise en œuvre du plan par les différentes administrations.
Derrière la guerre des mots, un consensus après la crise sanitaire ?
La planification écologique n’est cependant pas un vocable tout à fait nouveau dans la bouche d’Emmanuel Macron. Loin de critiquer cet emprunt, Jean-Luc Mélenchon s’était d’ailleurs déjà félicité, dès le 20 mars dernier lors d’un meeting place de la République, qu’Emmanuel Macron reprenne son fameux concept : « Ils nous empruntent de plus en plus de nos mots. Ceux qui me traitaient d’ami du Gosplan prennent maintenant un petit air fier pour dire que la planification écologique est une méthode. » Le tribun de la France Insoumise a souvent qualifié la planification écologique de « mot-obus », qui permet de cliver en se plaçant en référence, et a réaffirmé lors de ce meeting place de la République : « Laissez-les parler avec nos mots, ils les répandent, ils les sèment, bientôt ils parleront avec notre grammaire. » Le 31 mars, en déplacement en Charente-Maritime, Emmanuel Macron assumait déjà un emprunt, mais avertissait qu’il ne valait pas « conversion » : « J’assume ce terme, qui a plutôt été ces dernières années dans la bouche de Jean-Luc Mélenchon. Ne voyez pas là une conversion de ma part, mais je suis pragmatique : quand des méthodes proposées me paraissent bonnes, il faut savoir les adapter. »
Evidemment, Emmanuel Macron a franchi un pas à Marseille, en faisant directement référence au vocabulaire mélenchoniste. Si l’appel de phare est évident, la question de la pérennité de cette « conversion » – que le Président dément – se pose. Les penseurs de la gauche radicale n’ont pas manqué de noter, depuis plusieurs années déjà, un véritable changement de paradigme dans la pensée économique dominante. Avec la crise sanitaire, la conjoncture économique et politique serait devenue favorable à la mise en place d’une planification écologique. Sur le modèle de l’économie de « guerre totale » de 1914-1918, la gestion économique de la pandémie aurait constitué une « expérience » d’interventionnisme, qui aurait modifié les consensus économique et politique sur le degré d’intervention nécessaire de l’Etat dans le tissu économique. Mais, si les mots semblent devenus consensuels, la planification écologique sauce LFI cherche à atteindre des objectifs comme « la règle verte » qui veut que l’on ne prélève pas davantage sur la nature que ce que l’on peut reconstituer. De même, dans la vision défendue par Jean-Luc Mélenchon, il faut « sortir les biens communs des griffes du marché », avec par exemple une nationalisation d’EDF ou une « collectivisation » du service public de l’eau.
Peut-on être macroniste et planifier l’économie ? Le cas de « MaPrimeRénov’ »
En face, Emmanuel Macron a certes nommé François Bayrou Haut-commissaire au plan, mais, jusqu’à preuve du contraire, il ne semble pas vraiment vouloir « collectiviser » les biens communs. « Notre défi est de faire une économie plus écologique, pas moins d’économie pour l’écologie », expliquait-il à Marseille, en prônant l’idée « de produire davantage par l’innovation, mais de le faire de manière écologique. » Derrière un mot partagé, deux conceptions bien différentes de l’action publique semblent se dégager, l’une remettant en cause le rôle du marché dans l’organisation de la transition écologique, l’autre voulant au contraire simplement orienter le marché vers des secteurs moins polluants, comme la voiture électrique. Le cas particulier du déploiement du dispositif MaPrimeRénov’ est évocateur. Le but était de financer la rénovation de passoires thermiques afin de relancer une activité non-délocalisable et qui profiterait principalement à des artisans et des TPE-PME.
Un objectif parfaitement dans la lignée de la planification écologique, mais dans un rapport de mars 2022, la Cour des comptes pointe « un débat » non-résolu entre une massification du dispositif pour « permettre d’espérer un premier geste de travaux en appelant d’autres » et « une approche plus exigeante [en termes] de réduction de la précarité énergétique » [p.93]. En clair, MaPrimeRénov’ joue sur l’incitation en finançant les premiers travaux de propriétaires désireux de rénover leurs logements, soutenant ainsi l’artisanat. On peut appeler cela de la « planification écologique », mais elle n’est pas contraignante et repose sur l’idée que l’incitation financière suffira pour que les agents prennent des décisions vertueuses, ici rénover leur logement. À cet égard, le même rapport établit que le nombre de logements finalement sortis du statut de « passoire thermique » grâce au dispositif est finalement de 2500 et non de 80 000 pour l’année 2021 [p. 108]. Une note de février 2020 de l’Institut Rousseau estime à entre 20 et 50 milliards par an le coût d’une planification complète de la rénovation énergétique des logements et bâtiments publics français, contre 6 milliards mobilisés dans le dispositif MaPrimeRénov’ actuellement. Si Emmanuel Macron a bien repris le vocable de la planification écologique, il n’en a donc pas nécessairement repris le contenu politique porté par Jean-Luc Mélenchon. C’est le jeu du « en même temps. »