François Bayrou écarte une suspension de la réforme des retraites
A quelques heures du discours de politique générale, le premier ministre a commencé à donner ses arbitrages aux présidents des groupes du socle commun.
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En misant sur une présentation en grande pompe pour annoncer un plan de sobriété, le gouvernement témoigne d’un certain sens du symbole. À l’Elysée on assure que les quatre heures de présentation du plan de ce jeudi après-midi, en présence d’une dizaine de ministres, avaient pour but de signifier la « mobilisation totale du gouvernement » sur le sujet. En lançant un spot de publicité sur le sujet, des partenariats avec de nombreux médias audiovisuels pour présenter une « météo de l’énergie », l’exécutif déploie un important dispositif de communication sur le thème de « chaque geste compte. » Même contexte, époque différente, après les chocs pétroliers l’Agence pour les économies d’énergie appelait en 1978 les Français à se renseigner sur les manières de « mieux utiliser l’énergie sans changer notre façon de vivre. » La vidéo jouait sur l’exaltation patriotique et en appelait à « l’histoire glorieuse » de la France pour compenser l’explosion du coût des hydrocarbures : « En France, on n’a pas de pétrole, mais on a des idées. »
L’appel aux petits gestes du gouvernement (« je baisse, j’éteins, je décale ») est moins grandiloquent, mais d’après Nicolas Goldberg, responsable du pôle énergie du think tank Terra Nova, « le sujet a véritablement été compris, ça va plutôt dans le bon sens. » L’auteur d’une note publiée le 7 septembre comprenant des « propositions pour une sobriété juste et efficace » se réjouit que « la sobriété ne soit plus une notion honnie et qu’on arrête de dire que c’est de la décroissance. » Yves Marignac, expert de la transition énergétique et porte-parole de l’association Negawatt, qui a participé aux travaux préparatoires de construction de ce plan, et a publié 50 mesures à prendre immédiatement pour atteindre l’objectif de réduction de 10 % de la consommation d’énergie en deux, abonde : « On peut regretter qu’il ait fallu attendre d’être à ce point au pied du mur pour que cette idée de bon sens fasse enfin son chemin. Mais il faut saluer que la sobriété soit devenue un enjeu de politiques publiques. »
Pour économiser 50 TWh par an, et ainsi baisser de 10 % la consommation totale d’électricité d’ici deux ans, l’exécutif mise principalement sur le chauffage, avec plus de 20 TWh d’économie d’énergie grâce à une température à 19°C. 15 TWh devraient être économisés grâce à une « gestion intelligente » du chauffage dans les bureaux et l’installation de thermostats performants dans les logements. Viennent ensuite les « écogestes électriques » (débranchez les équipements), l’extinction des enseignes et publicités lumineuses entre 1h et 6h du matin ou le réglage des ballons d’eau chaude à 55°C. À noter que dans ce plan, le gouvernement mise d’abord sur les administrations publiques et un « Etat exemplaire », avec une centaine de nouveaux agents qui auront pour rôle de superviser l’application des mesures de sobriété énergétique, comme l’absence d’eau chaude dans les sanitaires des bâtiments publics.
>> Un an avant le plan de sobriété : « Rapport de RTE : La consommation d’énergie, grande absente du débat sur la neutralité carbone »
Une mesure qui pose des difficultés d’application puisque dans certains bâtiments, les douches devraient encore être alimentées en eau chaude et que les circuits sont parfois difficiles à gérer de façon séparée. En cas d’urgence, les bâtiments publics devraient par ailleurs faire un effort supplémentaire au niveau chauffage, avec une cible à 18°C. De même, les agents de la fonction publique auront pour consigne de rouler, dans le cadre de leurs fonctions, à 110 km/h au lieu de 130 km/h sur l’autoroute et 100 km/h au lieu de 110 km/h sur les voies rapides. « C’est intéressant, parce qu’à Terra Nova on ne s’était pas avancé sur la limitation de vitesse comme on savait que c’était compliqué. Du coup le gouvernement le fait d’une manière détournée : ils ont compris le sens de la mesure, mais ils voient que c’est difficile à appliquer donc ils passent par une recommandation aux fonctionnaires. Cela pose la question du contrôle. »
C’est un peu le nœud du problème, puisque pour les entreprises, par exemple, le gouvernement mise sur une « charte » comprenant 16 actions et créé la fonction d’ambassadeur pour la sobriété énergétique en CSE, sans mettre en place de mesures plus contraignantes. De même pour les particuliers, où le gouvernement mise sur des incitations financières : 100 euros pour chaque inscrit sur une plateforme de covoiturage à partir du 1er janvier 2023 et 65 euros pour un programmateur de chaudière performant. « Sur le covoiturage ce sont des choses intéressantes, mais on ne légifère toujours pas sur le poids des véhicules, alors qu’on a déjà les outils, il suffit de renforcer la loi Energie-climat », regrette Nicolas Goldberg. Si du côté de l’Elysée, on assure inscrire ce plan de sobriété dans une perspective de long terme, l’expert énergie chez Colombus Consulting émet des réserves sur les perspectives de ce plan de sobriété, qui ressemble peut-être plus à un plan d’urgence pour passer l’hiver : « Où est le plan d’infrastructures ? Où sont les points de rendez-vous, d’évaluation du plan pour savoir ce qui a marché ou pas et ce que l’on va garder à long terme comme mesures ? » En fin d’après-midi, Élisabeth Borne a ensuite annoncé la tenue de points hebdomadaires sur l’évolution de la consommation d’électricité, sans préciser si des évaluations précises de chaque mesure seront réalisées.
Pour réduire la consommation énergétique des transports notamment, l’enjeu est énorme sur les infrastructures : « Inciter à la pratique du vélo, c’est bien, mais tant que les pistes cyclables sont des bandes blanches sur les routes, personne ne les prendra. Il y a une vraie question d’aménagement du territoire, tout comme sur le rail. Le développement du ferroviaire est une mesure de sobriété. » D’après Nicolas Goldberg, ce plan se concentre sur la réduction de la consommation de gaz et d’électricité par rapport aux difficultés du moment et le conflit en Ukraine, alors que peu de choses sont prévues sur le pétrole : « Ce plan de sobriété se focalise sur l’électricité et le gaz, mais on a besoin de plus de choses sur le pétrole, à long terme. On n’a pas une difficulté d’approvisionnement en ce moment, enfin en dehors des grèves dans les raffineries, donc on ne le fait pas. » Yves Marignac, lui, attend de voir ce que le gouvernement fera de ce plan à plus long terme : « Il y a beaucoup de mesures sur la sobriété conjoncturelle, notamment les gestes sur la température et le chauffage, mais on peut travailler à les rendre pérennes. Cela dépendra de si on explique qu’il faudra juste le faire cet hiver ou que c’est une nouvelle habitude à prendre parce que notre système énergétique est durablement contraint. C’est important que tout le monde intègre la nécessité de cette dimension structurelle et pérenne de la sobriété. »
Emmanuel Macron assume d’ailleurs la primauté de ces objectifs de court terme et a assuré ce jeudi matin que « si la nation tout entière arrive à tenir cet objectif, qui est purement volontariste -il ne faut pas de décret de loi, de choses compliquées — si on se mobilise tous pour le tenir, dans les pires scénarios on passe l’hiver. » Le chef de l’Etat fait ainsi référence aux prévisions de RTE sur les difficultés que connaîtra le réseau électrique cet hiver, où le scénario le plus défavorable n’engendrerait aucune coupure d’électricité en France si la consommation baissait effectivement de 10 % dans les pics de consommation. « C’est ce qui fait qu’on est maître de notre destin, même s’il n’y a plus du tout de gaz qui arrive de Russie, ce qui est quand même le plus vraisemblable vu ce qui s’est passé ces derniers jours », a voulu rassurer le Président de la République. Invité de notre matinale, le président du groupe LR au Sénat, Bruno Retailleau, a jugé que la sobriété était « fondamentale », tout en critiquant une « forme de pédagogisme » et « d’infantilisation » du gouvernement.
Yves Marignac précise que selon les évaluations de Negawatt, il faudrait qu’un tiers des occupants de logements et de bâtiments tertiaires mettent en œuvre les actions préconisées par le gouvernement pour atteindre les 10 % de baisse dans le logement et le résidentiel. « Cela situe le niveau de mobilisation que le gouvernement doit trouver, qui semble difficile à atteindre par le simple appel au volontariat. » Terra Nova et Negawatt se rejoignent par ailleurs sur un point : pour le moment aucune évaluation n’est prévue. « Cela va contrarier les efforts pour renforcer, affiner et éventuellement recadrer si la réalité n’est pas conforme aux espoirs », explique Yves Marignac.
L'intégrale du mardi 14 janvier