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Aujourd'hui, cela fait un bout de temps que les politiques utilisent les réseaux sociaux Twitter, Facebook. Il y a aussi de nouvelles plateformes comme Snapchat, TikTok ou Twitch, et on a l’impression, à part Emmanuel Macron et l’exécutif, que peu de politiques les ont investies. Pourquoi ?
C’est une question de culture. Les politiques français ont du mal à regarder un écran et à parler à la première personne en s’adressant directement aux gens. Il leur faut toujours, un journaliste, un influenceur ou quelqu’un qui, d’une façon générale, les amène vers les gens. Ils ne savent pas prendre la parole simplement pour discuter, dialoguer et délivrer un message.
Et cela ne change pas ? Il n’y a pas d’évolution depuis la création de Facebook en 2004 ou de Twitter en 2008 ?
Cela ne change pas, parce qu’en France, on a une conception du pouvoir vertical. Sur les réseaux sociaux, il faut être dans l’empathie avec les gens. Les politiques français savent peu le faire. L’ENA ne prépare pas tout ça. S’ils ne sont pas entre politiques, ils sont dans l’entre-soi parisien. D’une façon générale, le peuple est perçu d’abord comme une menace et un élément perturbateur. Ce n’est pas du mépris, il y a juste une vraie trouille face à des gens qu’ils appréhendent essentiellement à travers des statistiques et des chiffres. Les Français vus de la bulle parisienne, sont des statistiques.
Sauf quand les hommes politiques font campagne. Là, ils font l’effort de parler aux gens, mais ils savent que c’est la campagne. François Hollande avait balisé ça dans un livre qui s’appelle « l’homme sans com’ ». Il disait « Quand on est en campagne, on parle aux gens, on fait comme la prostituée sur le trottoir. » Et puis quand ils sont élus, ils arrêtent.
C’est une parenthèse ?
Parler aux gens, c’est une parenthèse dans la vie d’un politique français. Alors que dans les pays Anglo-saxons, parler aux gens, c’est l’essence de la vie politique et les moments où on ne leur parle pas, ce sont des parenthèses.
Et pourtant, il y a quand même des tentatives. Je pense à Jean Castex, ou à François Hollande qui ont répondu avec Samuel Etienne, à un chat en direct sur Twitch. Quels sont les objectifs ? C’est se donner un gage de modernité ?
Ils sont rares ceux qui ont essayé de parler directement aux citoyens. Edouard Philippe a fait des Facebook live à un moment donné, il y a quand même eu des tentatives, mais c’est toujours avec des intermédiaires pour essayer de faire un événement presse, de faire des relations publiques, un peu comme Obama le faisait. Obama avait donné la première interview politique sur LinkedIn, je ne suis pas sûr que l’impact ait été énorme sur ce réseau, mais toute la presse en a parlé. C’est un peu ce que les politiques recherchent. La référence française aujourd’hui, c’est Obama, 2008-2010, cela fait plus de 10 ans et ça date un peu.
Et au niveau de l’exécutif, je pense à Gabriel Attal, il fait des live avec des youtubeurs, des influenceurs. Il a besoin, là aussi d’intermédiaire ?
Oui. Mais le meilleur porte-parole français récent, c’était Christophe Castaner. Lui, il faisait des comptes rendus de Conseil des ministres face caméra en vélo ou en voiture, qu’il postait sur les réseaux. Je m’en souviens encore. C’était une performance digitale. Le personnage à l’époque ne se prenait pas trop au sérieux. Castaner, s’il avait bien voulu suivre cette pente, avait un personnage populaire en lui, qu’il aurait pu faire émerger. Le côté un peu voyou, populaire du personnage, s’accommodait très bien de cette communication directe, de cette façon de s’adresser aux gens. On a perdu cela avec Gabriel Attal.
Les YouTubeurs ont-ils vraiment un rôle d’intermédiation avec les jeunes ? Est-ce que cela fonctionne ?
Oui, cela peut marcher, si on est dans une optique quantitative. La communication digitale de l’Elysée, ou de l’exécutif a un objectif quantitatif. On est dans de la publicité. Si vous voulez faire des opérations de communication de marque, il faut passer par des influenceurs. Car ce que vous recherchez, c’est le million de vues. Il n’y a pas vraiment d’impact qualitatif. On ne connaît pas l’impact sur le vote qui est probablement assez faible… L’objectif c’est de dire « waouh ! », j’ai fait X millions de vues. Or, ça ne veut rien dire. Sur les réseaux sociaux, ça va extrêmement vite. Il y a des univers dont on voit bien que ce n’est pas le même type de consommation, on va consommer un politique au 20 heures de TF1, peut-être de manière plus qualitative que sur les réseaux sociaux.
Et le problème, c’est que les politiques français sont sur ce modèle publicitaire. Mais on ne vend pas un Président comme on vend un modèle de Nike.
Et que pensez-vous du challenge lancé par McFly et Carlito et de la séquence à l’Elysée avec Emmanuel Macron ?
En tant que divertissement, c’est réussi. C’est drôle et Emmanuel Macron est plutôt bon dans cet exercice. Il appelle Kylian Mbappé, c’est quand même assez bluffant en termes de communication. Mais ça doit s’inscrire avec beaucoup d’autres choses. Le problème, c’est qu’on ne peut pas transposer des techniques de marketing à quelqu’un qui n’a pas de fond et se dire que ça va marcher. Il faudrait qu’il ait une identité et comme personne ne s’est penché sur le fait de savoir quelle identité on donne « au produit Macron »… C’est une faiblesse politique.
Cette séquence a-t-elle un impact sur les jeunes ?
Oui ça les faire rire. Est-ce que c’est le rôle d’un politique ? Non. Est-ce que c’est mauvais pour lui de le faire ? Non, c’est sympa. Est-ce que je lui conseillerai de le faire ? Oui, mais il faudrait autre chose. Il faudrait le fond et la forme. Il ne faut pas être que McFly et Carlito.
Et sur TikTok ? Emmanuel Macron poste des vidéos assez sérieuses, et il poste aussi des messages à des communautés bien précises
Oui c’est de la micro-influence. Et ça c’est, très intelligent.
Mais dans ce cas précis, il ne parle pas à tout le monde…
En fait, il y a toute une partie de la riposte numérique de LREM, que l’on ne voit pas et qui est constante. Dès que quelqu’un prend position sur Emmanuel Macron ou sur LREM sur Twitter ou ailleurs, il y a des dizaines d’anonymes qui vont lui tomber dessus. Et ça c’est efficace. Ils sont là et ils font le job. Xavier Bertrand, pour le moment n’a pas la quinzaine de « trolls » qui vont répondre à ceux qui disent du mal de Xavier Bertrand.
Ce qui intéresse Emmanuel Macron, c’est la performance. Il va être le premier à le faire et à se lancer des défis et il veut montrer qu’il est le héros capable de les relever. L’erreur de base, c’est d’avoir vendu Macron comme Jupiter. Ce n’est plus du tout la communication qu’il faut avoir aujourd’hui.
La communication de François Hollande autour du « président normal » n’avait pas mieux fonctionné…
Ils ont fait la même erreur que Sarkozy. Ils ont confondu, le court et le long terme. Pour faire élire François Hollande, c’était parfait « le président normal », mais une fois élu, c’est autre chose. Il faut écrire un autre récit. Il ne faut pas tout changer, mais faire évoluer l’image. Les communicants d’Emmanuel Macron créent un personnage qui n’est pas adapté. Quand il rigole avec Carlito, ça reste du président en costard avec son âge. C’est sympa, drôle, mais cela ne désacralise pas. Emmanuel Macron il passe de Jupiter à McFly et Carlito, mais il n’y a pas de réflexion sur son identité.
En comparaison, chez la première ministre néo-zélandaise, Jacinda Arden, il y a de la chair. En mars dernier elle a lancé un Facebook live depuis chez elle, pour un chat en direct sur la pandémie. Elle est assise sur son canapé. Elle dit « Je viens de coucher mes enfants. Maintenant, je vais vous parler de la fermeture des frontières. A cause du covid, je viens d’envoyer l’armée ». Elle demande ensuite : « Qu’est-ce que vous en pensez ? Je vais prendre une ou deux questions ». C’est fait avec naturel. Quand on regarde cette vidéo, on se dit elle fait attention à moi, même si au fond, elle fait peut-être la même politique qu’Emmanuel Macron. C’est la personne à qui j’ai confié la charge du pays, elle me rend des comptes. Ce qui n’enlève rien à son autorité, mais j’ai une vraie connexion avec cette personne.
Et Angela Merkel ?
Elle sait faire ça aussi. Ce sont par des messages de 2 minutes, c’est très adapté aux réseaux sociaux. Elle a naturellement le côté affable, elle a les mêmes vêtements qui sont codifiés depuis 40 ans. Elle passe ses vacances toujours au même endroit. Elle a une image totalement moderne. Ce qui se crée aujourd’hui avec les réseaux sociaux, ce sont des icônes. Mais on ne peut pas devenir une icône en étant dans la recherche délibérée d’être une icône, ça ne se construit pas malgré soi, mais ça se construit modestement.
Alors, quels conseils donneriez-vous justement aux candidats à la présidentielle pour leur stratégie de communication sur les réseaux sociaux ?
Si j’étais Xavier Bertrand, je jouerais l’assureur qui a travaillé dans le privé, hyper sympa, et qui s’adresse aux gens directement, sans chichis.
Et sur quelles plateformes ?
Il faut faire du Facebook pour le grand public. Il ne faut pas chercher la modernité à tout prix. Il faut faire cela de manière naturelle. Il ne faut pas non plus événementialiser tout. Ce n’est pas nécessaire. Peut-être plus modestement, intégrer les réseaux dans son quotidien. Par exemple, Xavier Bertrand, quand il va faire une visite quelque part, qu’il prenne son téléphone et nous emmène avec lui, ou nous fasse visiter son bureau de Président de région, qu’il dise ‘voilà mes collaborateurs, je vais vous présenter, on va passer un peu de temps avec eux.’ C’est plus simple que de créer des grands barnums. C’est cela qui crée de la crédibilité.
Mais est-ce que cela produit de réels effets ?
Oui si c’est cohérent avec le personnage. Jean-Luc Mélenchon qui communique sur YouTube, ça a un impact parce que le personnage est supposé être proche des gens, du’peuple’. Le fait qu’il soit en phase avec le numérique, c’est aussi parce qu’il est entouré de gens, pour qui l’agit-prop et les réseaux sociaux, c’est une deuxième nature. Donc ils lui apportent cela. Xavier Bertrand, par exemple devrait cultiver son image d’assureur et être en phase avec la population et ne pas chercher à se présidentialiser plus que ça. Il gagnerait des points. Après il faudra qu’il se présidentialise.
Yannick Jadot pourrait être cette figure de l’intellectuel de gauche, tel qu’on l’imagine. L’important c’est quelle histoire je veux raconter, quel personnage je suis et après seulement je vais vers les réseaux de la façon la plus naturelle possible. La députée américaine Alexandria Ocasio-Cortez le fait très bien. Le 1er jour au Congrès, elle se filme, elle montre aux gens comment cela se passe. Ce n’est pas très compliqué. En France, il y a François Ruffin qui le fait. On aurait tout à fait pu imaginer un député LREM qui découvre le Parlement. Mais on leur a imposé la ligne tout de suite.