Pascal Perrineau : « Quand la France va mal, les forces de protestation nationalistes et populistes vont bien »

Pascal Perrineau : « Quand la France va mal, les forces de protestation nationalistes et populistes vont bien »

Face à la gestion de la crise du Covid-19, les partis populistes passent à l’offensive. Marine Le Pen accuse le gouvernement de mentir sur « absolument tout ». Jean-Luc Mélenchon s’en prend directement à Emmanuel Macron. Alors comment analyser ce discours des partis populistes ? Entretien avec Pascal Perrineau, politologue et ancien directeur du centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF).
Public Sénat

Par Fanny Conquy

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Comment percevez-vous le discours des partis populistes en cette période ? l’unité nationale est terminée ?

On voit bien dans plusieurs interventions, notamment celles de Marine Le Pen, que le temps de l’unité nationale (si tant est qu’il ait véritablement existé) est terminé. La critique parfois sévère sur la politique mise en place contre le Covid-19 est explicite, et Marine Le Pen ne compte pas rentrer dans le rôle d’une opposition passive.

Alors comment comprendre ce que l’on pourrait percevoir comme une précipitation ? C’est lié au fait que toute une série de thèmes qui circulent sont favorables aux nationalismes et aux populismes qui traversent et secouent la vie politique des pays européens depuis plusieurs années :

  • le thème de la nation assiégée, assiégée cette fois par le virus ;
  • le fait aussi que l’instance européenne ne semble pas efficace sur le plan de la santé publique
  • la mondialisation qui est perçue non seulement comme une inquiétude, mais comme un danger pour la santé des individus ;
  • l’incurie réelle ou supposée de la puissance publique et de l’État ;
  • la menace qui viendrait de l’étranger : on voit au-delà de nos frontières, Donald Trump n’a pas hésité à qualifier le virus de « virus chinois ».

Il y a donc une série de thématiques qui sont centrales pour les nationalismes et les populismes, et qui pourraient laisser un espace à ces forces politiques qui, déjà bien avant le coronavirus, étaient à l’action.

Cela peut redistribuer les cartes, politiquement, après la crise ?

Cela peut contribuer à redistribuer les cartes si les choses se passent mal, si l’État donne l’impression d’être débordé, si le Covid-19 met beaucoup du temps à être maîtrisé, si la situation s’affole comme cela semble être le cas parfois. Il suffit de regarder chez nos voisins espagnols, qui ont du mal à maîtriser une sorte d’envolée de l’épidémie de Covid-19. Si les choses tournent mal, on voit bien comment ces nationalismes et ces populismes pourront tenter d’exploiter la crise et un éventuel échec. Cependant il y a des limites à la récupération politique : on sait que depuis des décennies, ces populismes, ces nationalismes, sont beaucoup plus perçus par les électeurs comme étant une manière d’exprimer leurs inquiétudes et leurs angoisses, et non pas comme étant des réponses concrètes à ces angoisses. Ce qui manque beaucoup à ces leaders nationalistes et populistes – et Marine Le Pen n’échappe pas à la règle —, c’est d’être perçus comme étant crédibles, comme étant de vrais professionnels, capables d’être aux commandes. Comme ils n’ont que très rarement été aux commandes, ils ne sont pas crédités de cette capacité. Et quand ils l’ont été, très souvent, ils n’ont pas été très convaincants. Il suffit de penser à l’exemple de Matteo Salvini au poste de ministre de l’Intérieur en Italie : après avoir dénoncé les flux migratoires etc., le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’a pas été d’une grande efficacité dans sa fonction. C’est la limite de ces leaders qui sont des porte-voix de la rancœur, de l’inquiétude, de l’hostilité, mais qui, une fois à la manœuvre, sont très souvent beaucoup moins performants.

Que penser justement du cas des États-Unis, ou du Brésil ?

On voit très bien la limite de ces leaders populistes. Il ne suffit pas d’être « fort en gueule » pour convaincre que l’on est capable d’être à la hauteur de ces défis de santé publique. Le président des États-Unis apparaît même comme débordé. Et Jair Bolsonaro, après les coups de menton, est finalement d’une aide très faible face au Covid-19 qui s’étend dans des conurbations comme São Paulo ou Rio. On voit les limites du « ya qu’à » populiste. Cela ne servira pas ces leaders qui certes peuvent convaincre de leur capacité à exprimer les inquiétudes, mais qui auront beaucoup de mal à convaincre de leurs capacités à diriger des sociétés qui traversent des périodes chaotiques vers des jours meilleurs.

Le discours des partis populistes, qui a recours aux peurs, au manque de confiance… Est-ce dangereux dans ce contexte ?

On peut se dire que dans un contexte où les inquiétudes sont majeures, où la défiance vis-à-vis des pouvoirs est majeure, ça n’est pas la peine d’en rajouter. Et même pour certains leaders populistes comme Marine Le Pen, de prêter caution à des explications qui relèvent vaguement du complotisme. Il y a là même une certaine forme d’inconséquence, on joue sur les peurs… Mais, quoi qu’en disent certains, nous sommes dans une démocratie ! On ne fait pas taire les oppositions, même les plus radicales, qui ont recours à des explications qui paraissent faibles et démagogiques. Cela fait partie de l’opposition dans les démocraties pluralistes.

Que pensez-vous des critiques qui dénoncent un État qui serait devenu autoritaire ?

Ces forces populistes sont-elles même porteuses de comportements autoritaires : il suffit de voir comment le président de la France insoumise a pu réagir dans le passé, ou de voir certaines attitudes un peu martiales de Marine Le Pen. On voit comment ces forces populistes ont besoin de trouver plus autoritaires qu’eux. Ils prêtent au pouvoir en place, aux oppositions démocratiques, des comportements autoritaires, alors que beaucoup de mesures qui sont prises aujourd’hui, qui sont des mesures qui remettent en cause provisoirement des libertés individuelles et collectives, sont des mesures liées à la crise. Et quand la crise sera traversée, on reviendra au jeu démocratique habituel. Ces forces populistes veulent prêter aux forces au pouvoir et aux partis démocratiques de sombres intentions. On est dans la « comédie politique », voire la « tragédie politique ».

Va-t-on vers un paysage politique encore plus clivé entre partis d’ouverture et partis de repli ?

Depuis de longues années, bien au-delà du clivage gauche droite, il y a ce clivage entre les forces que l’on peut qualifier d’ « ouverture » économique et sociale, et les forces qui préconisent un très fort repli national. On voit bien comment la crise du coronavirus donne à ce clivage une forme de vivacité, qui une fois la crise passée, restera au cœur de l’agenda politique français.

Quel est le rôle des réseaux sociaux dans ce discours ?

Les réseaux sociaux peuvent être la pire et la meilleure des choses. Ils sont la meilleure des choses quand ils mettent en œuvre des stratégies de solidarité, quand ils créent des réseaux pour aider les personnes qui sont en difficulté. À Sciences Po Menton par exemple, ville où il y a des personnes très âgées, les étudiants ont créé un réseau de livraisons à domicile pour les personnes qui en ont besoin : là, on voit comment le web et les réseaux sociaux peuvent avoir un rôle positif. Mais il y a aussi la face sombre, le rôle très négatif des réseaux qui peuvent contribuer à diffuser des fakes news, et accroître l’inquiétude, la démonologie, c’est-à-dire transformer un personnage ou un groupe en démons qui seraient par exemple à l’origine de la diffusion du coronavirus. On voit sur le web circuler des informations folles qui participent du climat actuel.

Les partis populistes s’appuient sur les évolutions de l’opinion publique ?

On le sait depuis des années : quand la France va mal, ces forces de protestation nationalistes et populistes vont bien. Ils jouent sur l’aggravation du climat. Mais ils doivent faire attention : ils peuvent apparaître comme des pompiers-pyromanes, c’est un risque pour eux. Quand on regarde les enquêtes d’opinion : il y a à la fois une confiance mesurée envers les détenteurs du pouvoir, et un relatif scepticisme quant aux mesures mises en place contre le Covid-19. L’opinion est à peu près divisée en deux mais c’est inévitable, nous sommes au milieu de la vague, les Français ne voient pas encore le fruit de leurs efforts, ce sera peut-être le cas dans une semaine ou deux.

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