La Commission européenne devrait pouvoir entrer en fonction dès le 1er décembre après l’accord entre les trois principaux partis européens sur le collège des commissaires. Un accord qui illustre la place centrale de la droite européenne, prête à s’allier avec l’extrême droite.
Partage de la dissuasion nucléaire : « Une nouvelle fois, le Président Macron improvise, au détriment de notre crédibilité »
Par Henri Clavier
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« Je suis pour ouvrir le débat [sur la sécurité européenne] qui doit donc inclure la défense antimissile, les tirs d’armes de longue portée, l’arme nucléaire pour ceux qui l’ont ou qui disposent sur leur sol de l’arme nucléaire américaine. Mettons tout sur la table et regardons ce qui nous protège véritablement de manière crédible », affirmait samedi Emmanuel Macron dans une interview accordée au groupe de presse Ebra. Ce n’est pas la première fois qu’Emmanuel Macron entretient l’ambiguïté sur une défense nucléaire à l’échelle de l’Union européenne puisqu’en 2020, le président de la République avait déjà évoqué la contribution de la dissuasion nucléaire française à la sécurité en Europe. En faisant de la dissuasion un « élément incontournable de la défense du continent européen », Emmanuel Macron tente, en parallèle, de relancer les débats sur la défense de l’Union européenne à quelques semaines des élections européennes.
Les oppositions vent debout contre la proposition d’Emmanuel Macron
Dans ce contexte de campagne électorale, la tête de liste LR pour les européennes, François-Xavier Bellamy, dénonce une « expression d’une gravité exceptionnelle, parce que là nous touchons au nerf même de la souveraineté française ». Selon la tête de liste, cette proposition représente une étape périlleuse vers une forme de fédéralisme rappelant son rejet pour une « Europe qui signifie la dépossession plus en plus grande de nos États de leurs fonctions essentielles ». Bruno Retailleau, chef de file des sénateurs LR, considère que la proposition du chef de l’Etat est « inacceptable ».
Marine Le Pen a, pour sa part, affirmé sur X que le « programme [d’Emmanuel Macron] est de déposséder le peuple français de tout ce qu’il a construit, de tout ce qui le protège ». Une critique qui ne se cantonne pas aux bancs de la droite et de l’extrême droite puisque le coordinateur de La France Insoumise, Manuel Bompard, qualifiait ce matin sur Public Sénat d’ « hérésie » la proposition du chef de l’Etat.
Une méthode qui divise
Alors que la question de la dissuasion nucléaire avait occupé une place majeure lors des débats au Sénat sur la Loi de programmation militaire au printemps dernier, les élus du palais du Luxembourg ont du mal à dissimuler leur scepticisme par rapport aux propositions d’Emmanuel Macron, notamment sur la forme. « Une nouvelle fois, le Président Macron improvise, au détriment de notre crédibilité. En démocratie, on peut débattre de tout, mais pas de cette façon. Ce sujet aurait d’ailleurs pu être évoqué lors de l’examen de la loi de programmation militaire », tranche Cédric Perrin (LR), président de la commission des affaires étrangères. « Emmanuel Macron parle trop du sujet nucléaire militaire sans le traiter sérieusement, il n’y a pourtant rien de plus souverain et sérieux comme sujet », déplore Mickaël Vallet, sénateur socialiste et membre de la commission des affaires étrangères.
Une approche qui agace, autant à gauche qu’à droite. « La défense européenne « crédible » que le chef de l’État ne cesse d’appeler de ses vœux ne verra jamais le jour s’il persiste à lancer des ballons d’essai dans la presse, au lieu d’en discuter dans un cadre sérieux avec nos alliés », juge Cédric Perrin.
« On ne va pas ressusciter la Communauté européenne de défense »
« Les centristes disent avant tout leur attachement à la vision gaullienne de la dissuasion française, on ne va pas ressusciter la Communauté européenne de défense [un projet avorté en 1954 d’armée européenne] aujourd’hui », explique le sénateur Loïc Hervé, membre de la commission des affaires étrangères et des forces armées. Une vision qui repose sur l’indépendance stratégique de la France en matière d’armement nucléaire et notamment en ce qui concerne la fabrication des armes nucléaires. Par ailleurs, une mutualisation des capacités nucléaires pourrait, paradoxalement, atténuer les facultés de dissuasion à l’échelle européenne. « Une mutualisation implique une gouvernance commune sur l’arme nucléaire et donc la nécessité de mettre d’accord 27 chefs d’Etat, cela reviendrait à rendre inopérante la dissuasion », prévient Loïc Hervé.
« Les écologistes se sont toujours positionnés en faveur d’une défense européenne commune »
Malgré de nombreuses oppositions, la tête de liste d’Europe écologie les Verts, Marie Toussaint, soutient l’idée d’un « saut fédéral » en matière de défense qui pourrait passer par la mutualisation de la dissuasion nucléaire. « Les écologistes se sont toujours positionnés en faveur d’une défense européenne commune », rappelle le président du groupe écologiste au Sénat, Guillaume Gontard. EELV, l’un des seuls partis à défendre une Union européenne fédérale, se positionne donc en faveur d’une armée commune européenne englobant la dissuasion mais refuse une « nucléarisation » de l’Union européenne. « Il ne faut surtout pas être dans la surenchère et alimenter les risques liés au nucléaire, notre objectif reste la dénucléarisation », souligne Guillaume Gontard. Pour le chef de file des sénateurs écologistes, le partage de la dissuasion nucléaire serait un premier pas vers une alternative européenne à l’Otan. Sans qu’il soit question de quitter l’Otan, « une dissuasion commune pourrait permettre de revoir la dépendance au parapluie nucléaire des Etats-Unis », assure le sénateur écologiste.
Ouvrir le débat
Pour Loïc Hervé, il est « nécessaire » de développer un pilier européen au sein de l’Otan afin de ne pas dépendre du parapluie nucléaire américain. « Je suis favorable au développement d’une défense européenne, en revanche je crois davantage au principe de spécialisation que de mutualisation. Dans cette approche, je pense que l’une des spécialisations de la France doit se faire sur le nucléaire, cela permet à la fois de protéger nos alliés mais également de répartir certains coûts. Pour rappel, la dissuasion militaire représente 13 % (53 milliards d’euros) des crédits prévus par la loi de programmation militaire 2024-2030.
Alors que certaines ambiguïtés persistent quant à la doctrine française de dissuasion nucléaire, les déclarations du président de la République pourraient permettre de les clarifier. La doctrine française prévoit notamment le recours en cas de dangers pour ses « intérêts vitaux ». La question étant alors de savoir si les États membres de l’Union européenne font partie de ces intérêts vitaux. « Je considère que les intérêts vitaux de la France peuvent être menacés si les intérêts vitaux d’autres Etats membres de l’UE sont attaqués », tranche Loïc Hervé. Malgré les oppositions, force est de constater qu’Emmanuel Macron a réussi à lancer le débat.
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