La Commission européenne devrait pouvoir entrer en fonction dès le 1er décembre après l’accord entre les trois principaux partis européens sur le collège des commissaires. Un accord qui illustre la place centrale de la droite européenne, prête à s’allier avec l’extrême droite.
Parole d’eurodéputé : « Au Parlement européen, j’ai l’impression d’être dans une ONG, une religion ou une secte », lance le RN Thierry Mariani
Par François Vignal
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Au fait, comment ça se passe le travail d’un parlementaire européen ? A l’occasion des élections européennes du 9 juin, publicsenat.fr donne la parole aux eurodéputés sortants. Plus qu’un bilan de la mandature qui s’achève, ils nous parlent de leurs victoires, leurs échecs ou regrets aussi, pour mieux comprendre le fonctionnement spécifique du Parlement européen. Après l’écologiste David Cormand, l’eurodéputée Renaissance Fabienne Keller et Anne Sander pour les LR, c’est Thierry Mariani, député européen du Rassemblement national, qui témoigne.
« Il faut communier à la religion du Green deal »
D’emblée, l’élu d’extrême droite donne le ton. « J’ai déjà fait cinq mandats dans un vrai Parlement », débute Thierry Mariani, qui parle de l’Assemblée nationale… « Je suis très surpris du Parlement européen, au sens où normalement, un Parlement défend l’intérêt de ses habitants, de ses électeurs. Par moment, j’ai l’impression que c’était tantôt une ONG, tantôt une religion. Car on est sans cesse en train de donner des leçons à la planète entière, sans tenir compte des intérêts qu’on a. Par exemple, les députés macronistes soutiennent en France l’Egypte et la condamnent à Bruxelles. On pose sans cesse la question des droits de l’homme », regrette Thierry Mariani (à droite sur la photo), qui ajoute : « On a dû voter 150 résolutions d’urgence sur les droits de l’homme, dans la commission des affaires étrangères. Pas une seule n’a servi à quelque chose ».
L’ancien député LR va plus loin. « J’ai l’impression d’être dans une religion ou une secte par moment. Le propre d’une secte, c’est de nier la réalité. Quand on décide de supprimer le véhicule à moteur thermique en 2035, on sait très bien que c’est impossible. Mais il faut communier à la religion du Green deal. Et comme dans toute secte, tous ceux qui ne pensent pas la même chose sont des hérétiques qu’il faut chasser. Donc vous avez forcément des fake news, vous êtes diabolisé. C’est mon sentiment à 100 % ». On se demande bien pourquoi, dans ces conditions, l’élu RN serait prêt à « retourner » dans pareil maison. « Car il faut remettre le Parlement au service du citoyen et défendre ses intérêts », rétorque-t-il.
« On voit très bien que l’atmosphère, entre le début et la fin de mandat, a changé, car les idées qu’on défend ont progressé »
Thierry Mariani exprime malgré tout quelques points positifs. « J’ai une satisfaction sur le Green deal », « en fin de mandat, il y a eu une sorte de panique à bord et on a annulé des normes du Green deal, en catastrophe, des mesures qui pénalisaient des agriculteurs ». Il continue : « On voit très bien que l’atmosphère, entre le début et la fin de mandat, a changé. Car les idées qu’on défend ont progressé, car l’actualité nous donne raison sur tous les sujets. Forcément, même nos adversaires sont obligés de modifier leurs positions. Quand je vois les amis de François-Xavier Bellamy qui avaient voté des résolutions contre l’agriculture, et qui aujourd’hui changent leur fusil d’épaule… Ça fait plaisir », reconnaît l’ancien secrétaire d’Etat de Nicolas Sarkozy.
L’eurodéputé relève que « les votes au Parlement se font avec une marge très faible, 30-40 voix d’écart sur les grands textes, sur 705 députés. Si nous progressons et les autres reculent, on peut changer les choses. L’enjeu, c’est de mettre ce Parlement au service des Européens et pas au service de l’idéologie qui va à l’encontre des Nations », espère l’élu d’extrême droite, qui fait du « maintien du droit de véto, ou plutôt de la règle de l’unanimité, l’alpha et l’omega. Car cela signifie que les Français, comme les autres, auront la maîtrise de leur destin. Supprimer le droit de veto, c’est la fin de toute souveraineté nationale ». Pour Thierry Mariani, « le vrai débat, c’est le tout fédéral ou pas, ceux qui veulent vider les Nations et ceux qui veulent les conserver avec un vrai pouvoir ». Et d’ajouter :
« Je prends les derniers votes sur les agriculteurs comme un succès auquel on a participé », ajoute l’eurodéputé RN, qui en tire cette conclusion : « On est en train progressivement de gagner le match car les Français se rendent compte que les bilans d’Emmanuel Macron, comme d’Ursula von der Leyen, sont catastrophiques ».
« On est d’une naïveté totale face à la Russie »
Connu pour sa proximité avec la Russie, régulièrement accusé d’être un relais des intérêts de Moscou en France, Thierry Mariani assume toujours sa ligne. « Les choix des sanctions européennes sur la Russie sont des choix ruineux, que notre industrie va payer dans des décennies », soutient l’eurodéputé, « on a choisi de se priver du gaz russe, qui était une source d’énergie à bas prix. Mais les Etats-Unis n’ont jamais décidé de se priver de l’uranium enrichi russe qui leur permet d’avoir de l’uranium à bas prix », « la France aussi », reconnaît-il, « mais c’est moins vital ».
Pour l’élu RN, « on est d’une naïveté totale. On a pris un catalogue de sanctions qui appauvrissent l’Europe ». La solution était-elle de ne rien faire face à l’invasion russe ? « Bien sûr que l’Europe devait réagir. Mais les sanctions n’ont jamais marché nulle part. Il faut faire une action diplomatique qui n’a jamais existé », répond Thierry Mariani.
« En proportion, ce sont les LR qui sont plus absents que le RN »
La diplomatie, Thierry Mariani en a une conception bien à lui. En 2021, le Parlement européen l’interdit, avec quatre autres eurodéputés RN, d’effectuer des missions d’observation d’élections à l’étranger pour le compte du Parlement, suite à des déplacements jugés complaisants sur la tenue d’élections en Crimée, territoire annexé illégalement par la Russie, et au Kazakhstan. Le Parlement n’y avait envoyé aucun de ses représentants pour raisons diplomatiques. « Cela ne change pas grand-chose, car on n’est quasiment jamais invité aux missions d’observation », rétorque Thierry Mariani. « Le paradoxe, c’est qu’on m’interdit de mission suite à un voyage que le Parlement m’a remboursé », s’étonne au passage l’eurodéputé, pour qui « c’est une sanction politique ».
La principale attaque qui revient régulièrement contre les eurodéputés RN, c’est le manque d’assiduité, du moins pour une partie d’entre eux. « Ce n’est pas vrai. Allez sur les classements, il n’y en a aucun de chez nous », pointe Thierry Mariani, noté 13/20 par le site Projet Arcadie, quand Jordan Bardella est à 11/20. L’élu RN relève que les eurodéputés LR « Nadine Morano et Brice Hortefeux », reconduit sur la liste Bellamy, sont plus mal classés, avec un piètre 2/20 pour l’ancienne ministre de Nicolas Sarkozy. « En proportion, ce sont les LR qui sont plus absents », soutient Thierry Mariani. Reste que l’eurodéputé RN Jean-François Jalkh affiche « un taux de participation aux scrutins publics 2024 de 0 % », note le site, tout comme Gilbert Collard. L’ex-eurodéputé RN est certes parti avec ses valises chez Reconquête, le parti d’Eric Zemmour, à l’occasion de la scission du Rassemblement national, lors de la dernière présidentielle. Si les partis changent, certains eurodéputés d’extrême droite partagent toujours une certaine prise de distance vis-à-vis du Parlement européen…
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