« Au Parlement européen, la notion de cordon sanitaire autour de l’extrême droite date des années 80, » se rappelle Thierry Chopin, conseiller spécial de l’Institut Jacques Delors. « A l’époque, il y a une volonté commune des forces politiques modérées de boycotter ces eurodéputés aux propos révisionnistes, antisémites, homophobes aussi, comme ceux qu’a pu tenir Jean-Marie Le Pen. »
Interdiction, donc depuis cette période, pour les forces d’extrême droite, d’accéder aux postes à responsabilités, même si certains sont plus symboliques que politiques. Un cordon qui a tenu une nouvelle fois mardi. Parmi les 14 nouveaux vice-présidents, aucun pour L’Europe des nations souveraines, rien non plus pour le nouveau groupe des Patriotes impulsé par le Hongrois Viktor Orban et présidé par Jordan Bardella. Pourtant Fabrice Leggeri l’ancien patron de Frontex, nourrissait de bons espoirs pour sa candidature. Le symbole est surtout politique : « Si ces partis avaient obtenu ces postes, ça aurait joué en faveur de leur stratégie de normalisation, favorisant une sorte de « respectabilité » souligne Thierry Chopin.
Quentin Ariès, le rédacteur en chef Sphera Network apporte une autre explication : « Il y a le cordon sanitaire certes, mais il y a aussi le fait que ces groupes politiques ne travaillent pas au Parlement. C’est même une stratégie de leur part. Dans ces conditions, difficile de leur donner une vice-présidence ou une présidence de Commission. Le travail sur un texte prend deux ans en moyenne et il faut être là tous les jours, il faut négocier sans cesse. Impossible d’être absent quand on veut des responsabilités. »
Un cordon sanitaire à géométrie variable
Il y a tout de même un détail qui n’aura échappé à personne, le groupe ECR, (les Conservateurs réformistes) a obtenu deux postes de vice-présidents (un de plus que lors de la précédente mandature) : le Letton Roberts Zīle et l’Italienne Antonella Sberna. Or, c’est dans ce groupe que siège Frères d’Italie le parti politique italien d’extrême droite, dirigé par Giorgia Meloni. Le cordon sanitaire serait donc à géométrie variable.
« Il y a un problème Meloni, notamment sur les questions sociales ou sociétales c’est vrai, explique Quentin Ariès. Mais elle a aussi montré qu’elle pouvait voter des textes compliqués pour elle, comme le Pacte migratoire. » « Les partis modérés et notamment le PPE considèrent qu’ils peuvent travailler avec la droite conservatrice et radicale même si elle vient de l’extrême droite à partir du moment où les ambitions sont communes notamment en matière de politique environnementale, abonde Thierry Chopin. » En effet le PPE (la droite modérée) et ECR ont voté ensemble contre le texte sur la restauration de la nature et contre la diminution des pesticides. « En fait, on sort du cordon sanitaire quand on montre qu’on tient ses engagements en matière de vote. »
De nouvelles majorités
Des votes communs il en faudra lors de la prochaine mandature. La coalition classique droite modérée, socialistes et libéraux a perdu en députés et en influence. « Compte tenu de l’affaiblissement de la « grande coalition » et du déplacement des équilibres vers la droite souligne Thierry Chopin, les majorités sur les nominations et les dossiers les plus controversés seront plus difficiles à atteindre ce qui introduira une plus grande imprévisibilité et une plus grande incertitude. Cela supposera une cohésion plus forte des groupes politiques ou bien un soutien ponctuel des eurodéputés situés hors de la « coalition », tels les Verts ou ECR. »
« En Italie, en Suède et en Finlande, la droite gouverne déjà avec des membres d’ECR, abonde Quentin Ariès le faire aussi au Parlement ça justifie leur coalition. »
Au Parlement européen, il n’y a pas de coalition fixe : elles changent en fonction des textes ou des sujets. Lors des cinq prochaines années, la droite pourrait donc s’appuyer sur les Conservateurs réformistes pour les votes sur les sujets économiques ou en matière de politique migratoire, quand elle s’appuiera plus sur les socialistes pour les sujets sociétaux.
Le PIS dans la zone rouge
La semaine prochaine, d’autres postes clés seront en jeu : les présidences et vice-présidences de commissions. Il est probable que le groupe ECR obtienne de nouveaux postes, comme des gages.
« Mais il y a peu de chances que le PIS polonais qui appartient pourtant à ECR n’obtienne quelque chose, explique Quentin Ariès. En Pologne ils étaient au pouvoir jusqu’à l’automne dernier, ils ont affaibli la justice, ils se sont violemment opposés à Donald Tusk du PPE qui est revenu au pouvoir. Il me semble peu probable qu’il accepte une coalition avec eux au Parlement européen. » Le PIS reste donc dans le cordon sanitaire.
Maintenant que ces nouveaux équilibres sont en place il faut les tester. Demain, jeudi 18 juin, le Parlement doit voter pour ou contre la réélection d’Ursula von der Leyen à la tête de la Commission européenne. Reste à savoir si la candidate du PPE aura les voix des Conservateurs réformistes de Giorgia Meloni.