Les premiers noms sont tombés ce jeudi, peu avant 20 heures, après trois jours de tractations. Le gouvernement de Gabriel Attal reconduit à leurs postes de nombreux piliers de la majorité, jugés indéboulonnables, tels que Bruno Le Maire au ministère de l’Economie, Éric Dupond-Moretti à la Justice ou encore Gérald Darmanin à l’Intérieur. Il marque aussi le retour au sein de l’exécutif de certaines personnalités, comme Stéphane Séjourné, ancien conseiller politique du président, nommé aux Affaires étrangères. Et surtout, il réserve une surprise politique de taille : l’arrivée de Rachida Dati, figure emblématique du quinquennat de Nicolas Sarkozy, au ministère de la Culture. Autre venue des rangs de la droite, Catherine Vautrin, ex-LR ayant rejoint en 2023 Horizons, le parti d’Edouard Philippe, et qui fut un temps pressentie comme Première ministre. Elle hérite d’un super ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités.
Au Sénat, où la droite et les centristes sont majoritaires, l’agacement est palpable ; LR, qui cumule les échecs électoraux et n’a cessé depuis six ans d’être noyauté par la macronie, se retrouve privé de l’une de ses dernières figures de proue. Les sénateurs de droite étaient plutôt difficiles à joindre en début de soirée, et plusieurs de ceux qui avaient accepté dans la journée de commenter après de Public Sénat ce remaniement ont finalement éteint leurs téléphones portables une fois l’annonce officialisée…
« Ce président a enfin compris que ce pays était à droite »
« Je suis triste de voir que ce sont encore des débauchages », soupire Jacqueline Eustache-Brinio, également vice-présidente du parti de la rue de Vaugirard. Elle ne cache pas sa déception devant le choix opéré par Rachida Dati, mais voit néanmoins comme un signal positif le déplacement à droite du centre de gravité de l’exécutif, qui compte désormais au moins sept ministres passés à un moment ou un autre chez LR. « Ce président a enfin compris que ce pays était à droite. Avec des gens qui ont de l’expérience, car eux n’en ont pas tant que ça. On voit que les ministères principaux sont tenus par des ministres de droite », relève Jacqueline Eustache-Brinio. « C’est à droite que sont les meilleurs, si j’ai envie d’avoir une note d’humour. »
« La soupe est bonne Rachida Dati ? », interroge le sénateur LR Max Brisson sur X (anciennement Twitter). « J’attends avec impatience le prochain Comité stratégique des Républicains mardi prochain… », a également ironisé son collègue Roger Karoutchi, élu des Hauts-de-Seine, qui a été au gouvernement en même temps que Rachida Dati, sous Nicolas Sarkozy.
« L’ombre de Nicolas Sarkozy continue de roder »
« Catherine Vautrin est une femme de caractère. Avec Rachida Dati, Emmanuel Macron et Gabriel Attal ont pris deux femmes de caractère qui ont des convictions et qui savent les défendre. Ils vont apprendre à les connaître… », veut plaisanter Sophie Primas, vice-présidente LR du Sénat. Mais elle ajoute : « Sur le débauchage, cela me contrarie. C’est compliqué après ça d’expliquer aux Français qu’il y a une alternative entre l’extrême droite et le macronisme. L’ombre de Nicolas Sarkozy continue de roder. Il poursuit son travail de sape envers Les Républicains parce que Rachida Dati était quand même présidente du Conseil national des LR. »
Le sénateur LR de Haute-Saône, Alain Joyandet, secrétaire d’Etat entre 2008 et 2010 se montre plus positif. « Favorable depuis longtemps à une main tendue en direction de la majorité », il tient à adresser ses « félicitations à Rachida Dati ». « À ce stade, ce sont encore des prises individuelles, mais elles doivent nous inviter à nous interroger sur ce que LR fera dans trois ans, à la présidentielle », explique l’élu.
Il pense que cette nomination pourrait a minima préluder d’un rapprochement entre la droite parisienne et les macronistes, qui n’ont jamais vraiment réussi à s’implanter dans la capitale. « Je ne peux pas croire que Rachida Dati ait renoncé à ses ambitions municipales à Paris. Une ministre de la Culture candidate, évidemment c’est un atout, sa position n’en sera que renforcée. Et nous, à droite, on regardera passer le train une fois de plus ? », soupire-t-il. Existe-t-il un deal pour les municipales entre Emmanuel Macron et Rachida Dati ? « C’est la première chose à laquelle j’ai pensé », glisse Sophie Primas.
« Tout cela ne fera pas bouger les lignes, ni à l’Assemblée nationale ni au Sénat »
Pour Hervé Marseille, président du groupe centriste au Sénat, il ne faut pas confondre « prise de guerre » et élargissement. « Dati, Vautrin… Ce sont des noms, mais il ne s’agit pas d’une ouverture au sens politique du terme. Tout cela ne fera pas bouger les lignes, ni à l’Assemblée nationale ni au Sénat. J’observe que ce petit monde reste entre soi ».
Le patron de l’UDI se refuse à faire davantage de commentaires, estimant que la séquence qui s’est ouverte avec le départ d’Élisabeth Borne n’est pas encore close. « Le premier étage de la fusée, c’était la nomination de Gabriel Attal, que j’estime. Le deuxième étage, c’est la formation du gouvernement, qui est encore en cours. Puis viendra le troisième étage, le discours de politique générale du Premier ministre. D’ici là, je n’ai pas à me prononcer ou à anticiper quoi que ce soit », balaye-t-il.
« Le calcul politicien a tué la République exemplaire »
Dans les rangs de la gauche, Patrick Kanner, le chef de file des sénateurs socialistes, dénonce une « OPA grossière et indigne, qui consiste à faire rentrer au gouvernement une personnalité mise en examen », référence aux accusations de « corruption » et de « trafic d’influence » qui pèsent sur Rachida Dati dans l’enquête sur ses prestations de conseil auprès de l’ex-PDG de l’alliance Renault-Nissan, Carlos Ghosn. « Avant on remaniait pour sortir les mis en examen du gouvernement. Maintenant on remanie pour les faire entrer au Gouvernement ! », a d’ailleurs commenté dans un post sur X Guillaume Gontard, chef de file des écologistes de la Chambre haute.
« Le calcul politicien a tué la République exemplaire », cingle encore Patrick Kanner. Par ailleurs, cet ancien ministre de François Hollande ne cache pas sa « tristesse » pour le portefeuille des Sports qu’il a occupé de 2014 à 2017, désormais fondu dans un grand ministère de l’Education, de la Jeunesse, des Sport et des Jeux olympiques piloté par Amélie Oudéa-Castéra. « Le prétexte est celui de l’efficacité. Mais à un mois des JO, c’est un déclassement qui traduit la gestion pyramidale du pouvoir par Emmanuel Macron », soupire-t-il.
« Deux jours après sa nomination, Gabriel Attal fait pschiiit. Ceux qui espéraient quelque chose au regard de son passage chez les socialistes vont être assez déçus », poursuit Patrick Kanner. « Les faux nez de la gauche sont tous tombés, la droite est de retour au pouvoir mais LR, qui pensait tirer les ficelles depuis la loi immigration, est cocu ». Même constat pour son collègue socialiste Rachid Temal : « C’est l’union des droites qui est en marche. Je n’ai de toute façon jamais cru à la jambe gauche du macronisme. Donc, très honnêtement, ça ne va pas changer la politique du gouvernement », estime le sénateur du Val-d’Oise. Concernant Rachida Dati, il y voit lui aussi la main de Nicolas Sarkozy, que l’on dit proche d’Emmanuel Macron. « C’est sa signature. On a désormais un gouvernement macrosarkozyste », conclut-il.
(Rédigé avec Guillaume Jacquot et Simon Barbarit)