La Commission européenne devrait pouvoir entrer en fonction dès le 1er décembre après l’accord entre les trois principaux partis européens sur le collège des commissaires. Un accord qui illustre la place centrale de la droite européenne, prête à s’allier avec l’extrême droite.
Nouvelle-Calédonie : pourquoi la réforme constitutionnelle souhaitée par Emmanuel Macron s’annonce difficile ?
Par Stephane Duguet
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Avant de quitter la Nouvelle-Calédonie, Emmanuel Macron a émis le souhait que la constitution soit révisée « début 2024 » conformément à ce que prévoyaient les accords de Nouméa. Signés en 1998, ils avaient permis de suspendre le conflit entre les indépendantistes, partisans d’une Nouvelle-Calédonie sans la France, et les loyalistes, favorables, eux, à rester dans la République Française.
Ces accords planifiaient une révision constitutionnelle après la tenue de trois référendums sur la question de l’indépendance. Ils ont tous eu lieu en 2018, 2020 et 2021 et se sont soldés par un vote pour le maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la France. Le dernier scrutin a tout de même été marqué par l’appel au boycott du Front de libération national kanak et socialiste (FLNKS), principal parti indépendantiste et d’une faible participation d’environ 43,87 %.
Pas de « surprise institutionnelle »
Réviser la constitution n’est donc pas une « surprise institutionnelle », comme l’explique le président de la commission des lois François-Noël Buffet. Le sénateur Les Républicains (LR) a publié le 12 juillet avec ses collègues Philippe Bas (LR), Jean-Pierre Sueur (Parti Socialiste) et Hervé Marseille (UDI) un rapport sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. François-Noël Buffet rappelle néanmoins qu’avant toute révision constitutionnelle, il faudra un accord signé entre les loyalistes, les indépendantistes et le gouvernement.
Élisabeth Borne a d’ailleurs invité les différents acteurs à se retrouver fin août à Paris. Le doute plane encore sur la participation des indépendantistes à ces réunions puisque le FLNKS doit donner sa décision d’y envoyer un représentant ce samedi 29 juillet, d’après nos confrères du Monde. Le président de la commission des lois du Sénat estime en tout cas que, pendant son déplacement sur le Caillou, Emmanuel Macron « a dit ce qu’il fallait ». « C’était le bon niveau de discours dans le constat de ce qui s’est passé et dans la projection de long terme », affirme le sénateur du Rhône.
Processus transitoire
Pour comprendre la nécessité de réviser la constitution, il faut se rendre au titre XIII du texte constitutionnel. Ce dernier s’intitule : « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie ». « C’est explicite, la révision de la constitution, en 1999, suite aux accords de Nouméa du 5 mai 1998, parle d’un processus non fini qui tend vers l’émancipation de la Nouvelle-Calédonie », explique Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur de droit constitutionnel à Bordeaux, également auteur d’un rapport sur le sujet pour le Premier ministre en 2013.
Sur le fond, la révision constitutionnelle portera sur la très sensible question du corps électoral, actuellement plutôt favorable aux indépendantistes. Les accords de Nouméa ont figé la répartition du collège des électeurs en excluant des votes tous les citoyens nés après 1998. « Il y a une citoyenneté calédonienne reconnue par les accords de Nouméa qui ne peut se traduire dans le corps électoral sans une nouvelle disposition constitutionnelle », prévient Philippe Bas, questeur du Sénat et co-auteur du rapport sénatorial sur le sujet.
Le temps est compté puisque des élections provinciales doivent avoir lieu en mai 2024 en Nouvelle-Calédonie. « Ces élections ne peuvent pas avoir lieu avec le même collège électoral restreint parce que cela contreviendrait à l’article 3 de la constitution sur l’universalité et l’égalité du suffrage », décrypte Ferdinand Mélin-Soucramanien. En effet, le corps électoral actuel n’est pas censé pouvoir s’appliquer pour des élections en Nouvelle-Calédonie au-delà du troisième et dernier référendum.
Dérogation à l’universalité du suffrage
Concrètement, deux aspects de la constitution peuvent être modifiés pour légaliser le nouveau corps électoral calédonien, préalablement négocié entre les indépendantistes et les loyalistes. Première hypothèse, la moins probable : « On pourrait toucher à l’article 3, prévoir un nouveau statut dans la France de la Nouvelle-Calédonie et en même temps une restriction au principe de l’universalisme, de l’égalité du suffrage en matière électorale », indique le professeur à l’université de Bordeaux.
Mais selon lui, les modifications porteront sur le titre XIII relatif à la Nouvelle-Calédonie. Dans le cas où les indépendantistes et les loyalistes trouvent un accord sur un corps électoral restreint différemment, cela ne sera pas sans poser de difficulté juridique. La Cour européenne des droits de l’Homme a validé la légalité de la répartition électorale issue des accords de Nouméa « uniquement car elle était transitoire et en vue de la décolonisation de la Nouvelle-Calédonie », rappelle Ferdinand Mélin-Soucramanien qui souligne le défi de taille : « On est un peu sur un fil. L’objectif va être de savoir si la dérogation à l’universalité du suffrage sera suffisante politiquement pour les indépendantistes et valide juridiquement notamment pour la Cour européenne des Droits de l’Homme ».
Nouveau statut
L’horizon des élections provinciales l’année prochaine ne facilite pas la tâche au processus politique calédonien. D’ici à début 2024 et une hypothétique révision constitutionnelle, « le calendrier est extrêmement serré », souligne Philippe Bas. Le sénateur de la Manche retrace le long parcours d’une telle révision : « Il faut un délai de plusieurs semaines entre l’accord tripartite et la révision, puis il faut un vote des deux Assemblées et enfin un vote en Congrès si on n’organise pas un référendum national ». Et ce n’est pas fini puisque le nouveau corps électoral fera lui aussi l’objet d’une loi organique « qui ne pourra être débattue qu’après adoption définitive de la révision constitutionnelle. »
La réforme de la constitution portera aussi sur le statut de la Nouvelle-Calédonie et de ses institutions qui découlent des accords de Nouméa. Un autre point d’achoppement car « il y a un problème d’équilibre entre les provinces et la répartition des compétences entre la Nouvelle-Calédonie et les provinces puisqu’au nom du rééquilibrage, la Province de Sud où se trouve Nouméa a été assez largement désavantagée. Elle réclame aujourd’hui une forme d’équité », détaille Ferdinand Mélin-Soucramanien. Sur le statut et les institutions calédoniennes, si la constitution ne précise pas leurs fonctionnements, elle peut renvoyer « vers un document qui prévoit leur organisation institutionnelle comme une loi organique », développe le professeur de droit.
Maladresses gouvernementales
Au vu de l’ampleur de la tâche politique qu’il reste à mener, Philippe Bas prévient qu’il n’est pas impossible que les délais soient trop courts. Ainsi, « il faudrait une loi pour reculer de quelques mois les élections provinciales. Mais pour rester constitutionnelle, cette loi ne pourra pas reporter les élections au-delà. Les assemblées provinciales ne peuvent pas être maintenues indéfiniment, car elles désignent le congrès qui a une incidence sur le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. »
S’il reste moins d’un an avant les élections provinciales, c’est parce que du temps a été perdu. Philippe Bas se remémore l’annonce d’un « référendum de projet » pour 2023 par Sébastien Lecornu, à l’époque ministre des Outre-mer puis annulé par Gérald Darmanin. Il rappelle aussi la nomination de Sonia Backès au secrétariat d’Etat à la citoyenneté. Cette dernière est la cheffe de file des loyalistes et présidente de la province Sud. « Mais le gouvernement a rectifié le tir en la tenant à l’écart des négociations », observe le sénateur.
Au-delà de la question institutionnelle, François-Noël Buffet se satisfait de la prise de parole d’Emmanuel Macron sur la nécessité d’un projet de territoire pour la Nouvelle-Calédonie. « Tout cela conforte ce que nous avons dit au Sénat : garder de l’attractivité économique, travailler sur le nickel et l’agriculture par exemple. » A la question de savoir si la visite d’Emmanuel Macron sur le Caillou sera efficace pour trouver un accord entre loyalistes et indépendantistes, Philippe Bas nous donne rendez-vous lors de la réunion de rentrée sur le sujet initiée par le gouvernement. Lui comme son collègue président de la commission des lois observeront tout ça de près : « Tout reste à construire », souligne François-Noël Buffet.
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