Il y avait urgence. Le Sénat a adopté très largement la proposition de loi organique (PPLO) socialiste sur le report des élections provinciales en Nouvelle-Calédonie. Le texte autorise un report du scrutin du 15 décembre 2024 au 30 novembre 2025, au plus tard. Un projet de loi adopté par 324 voix, avec le soutien du gouvernement. Seul le groupe communiste républicain citoyen et écologiste – Kanaky (CRCE-K), qui compte dans ses membres le sénateur indépendantiste de Nouvelle-Calédonie, Robert Wienie Xowie, s’est abstenu. Les députés examineront maintenant le texte le 6 novembre prochain.
Après des mois de crise sur le « Caillou », l’objectif du texte est de laisser le temps aux différents acteurs, formations politiques calédoniennes et gouvernement, de trouver les voies d’un accord global, notamment sur la question sensible du dégel du corps électoral, en vue des élections. C’est cette question même qui avait été l’étincelle à l’origine des émeutes, plongeant l’île dans le chaos.
« L’accord politique doit être trouvé avant l’intervention des législateurs »
« Avec l’exigence d’un Etat impartial mais néanmoins actif », l’objectif est de permettre « la recherche d’un accord entre les partis calédoniens, comme préalable à toute intervention constitutionnelle, organique ou législative », a expliqué le sénateur LR Philippe Bas, corapporteur du texte. Après le passage en force des précédents gouvernements d’Emmanuel Macron, il s’agit aujourd’hui de remettre les choses à l’endroit. « Le consensus politique doit être la priorité absolue. L’accord politique doit être trouvé avant l’intervention des législateurs », soutient Corinne Narassiguin, corapporteure PS du texte.
Ce vote des sénateurs intervient au lendemain d’un autre, en Nouvelle-Calédonie, où les élus du Congrès de l’île ont voté à la quasi-unanimité un avis en faveur de ce report, lors d’une séance marquée par une volonté d’apaisement. Un signal positif pour la suite.
« Ce n’était pas évident que nous trouvions un large consensus sur ce report. Mais force est de constater que mon déplacement, la semaine dernière, en Nouvelle-Calédonie, m’a permis de voir qu’il y avait d’abord le souhait d’apporter une réponse à la crise », souligne le ministre des Outre-Mer, François-Noël Buffet, ancien président de la commission des lois du Sénat.
« Si le gouvernement déposait un projet de loi, il n’était pas dans les clous »
Si ce « véhicule législatif » a été choisi, c’est que le gouvernement n’avait pas le choix, ou plutôt pas le temps. Le report des élections doit obligatoirement passer par un projet de loi organique qui doit être promulgué avant le 17 novembre. « Si le gouvernement déposait un projet de loi, il n’était pas dans les clous. Le Conseil d’Etat l’a alerté », a expliqué à la presse, avant la séance, le président du groupe PS du Sénat, Patrick Kanner, auteur du texte, avec l’ensemble des sénateurs PS. La PPLO avait été déposée le 16 septembre, avant le discours de politique générale de Michel Barnier, le 1er octobre. Le premier ministre y avait annoncé le report des élections « jusqu’à fin 2025 ». Lors de cette annonce, le gouvernement avait déjà conscience du problème, selon les socialistes. « On a été mis dans la boucle la veille », histoire de tester la possibilité, glisse la sénatrice PS Corinne Narassiguin.
S’ils sont dans l’opposition, les sénateurs socialistes ont décidé « d’aider le gouvernement, en conscience », « car nous sommes une gauche de gouvernement », lance Patrick Kanner, « mais ce n’est pas un blanc-seing ». Sa collègue de Seine-Saint-Denis y voit aussi « un beau symbole, que ce soit un texte socialiste » qui soit utilisé, rappelant le rôle des ex-premiers ministres PS Michel Rocard, lors des accords de Matignon, puis de Lionel Jospin, pour les accords de Nouméa, dans le processus de « décolonisation ».
« L’examen de ce texte marque l’ouverture d’une nouvelle page »
Au micro du Sénat, Patrick Kanner a rappelé que « depuis un an, (les socialistes) alertent par tous les moyens possibles sur l’impérieuse nécessité d’un plan global », dénonçant un « terrible gâchis ». Patrick Kanner salue que « Michel Barnier ait repris le sujet sous son autorité », après un contrôle de l’Elysée depuis le départ d’Edouard Philippe de Matignon. L’ancien ministre renvoie la responsabilité de la situation sur Emmanuel Macron :
Le sénateur de Nouvelle-Calédonie, Georges Naturel, membre du groupe LR, a « remercié, une fois n’est pas coutume, le président Kanner d’avoir déposé ce projet de loi », qui permet « de donner à la Nouvelle-Calédonie le temps nécessaire pour que ses forces vives puissent se relever ». La centriste Jocelyne Guidez a pour sa part espéré que « l’examen de ce texte marque l’ouverture d’une nouvelle page ».
« Sentiment que l’histoire, les vieilles pratiques ou les réflexes colonialistes se répètent inlassablement » selon Robert Wienie Xowie
Robert Wienie Xowie, qui a défendu en vain un amendement pour limiter le report au 31 mai 2025, afin d’avoir plus vite des élus qui auront une « nouvelle légitimité », a dit avoir « le sentiment que l’histoire, les vieilles pratiques ou les réflexes colonialistes se répètent inlassablement ».
« Une rancœur et forme de haine se sont exprimées. Pourtant, il va falloir se retrouver et se parler en face, dans la vie de tous les jours », prévient le sénateur indépendantiste, membre du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS). Soulignant que « dans l’esprit et la lettre, les accords de Nouméa sont un processus de décolonisation », Robert Wienie Xowie ajoute :
« Si le processus politique et institutionnel, initié par l’accord de Nouméa, s’est achevé, celui-ci ne saurait emporter la fin du processus de décolonisation », affirme le ministre François-Noël Buffet
« La notion d’indépendance et la notion de décolonisation ne sont pas exactement la même chose », a souligné de son côté le ministre des Outre-Mer. « Si le processus politique et institutionnel, initié par l’accord de Nouméa, s’est achevé au terme des trois consultations, celui-ci ne saurait emporter la fin du processus de décolonisation culturel, économique et social. Et le gouvernement poursuivra ces actions, qui ont été engagées en la matière par ses prédécesseurs », a assuré François-Noël Buffet.
Sur une toute autre ligne, le sénateur d’extrême droite, Stéphane Ravier (ex-RN, ex-Reconquête), a regretté que « la République française soit encore sur le reculoir et fasse preuve de faiblesse. Ces élections auraient dû avoir lieu en 2024 ». « En cinq mois, cinq églises catholiques et plus de 1500 lieux publics ont été incendiés. […] Cinq mois de guerre civile en France, alimentés par des pays en guerre ouverte contre nos intérêts », a-t-il dénoncé, en référence au rôle de l’Azerbaïdjan sur place, avant de parler du « sol calédonien, qui est, et restera français ».
Déplacement de Gérard Larcher et de Yaël Braun-Pivet sur l’île du 9 au 14 novembre
La balle est maintenant dans le camp des indépendantistes, des loyalistes et du gouvernement. Et le Parlement entend être, dans la mesure du possible, un facilitateur. Le président LR du Sénat, Gérard Larcher, et la présidente Renaissance de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, se rendront en Nouvelle-Calédonie du 9 au 14 novembre pour une mission « de concertation et de dialogue », a-t-on appris ce mercredi. Michel Barnier en avait fait l’annonce lors de son discours de politique générale. Reste que l’issue de la crise est encore incertaine. Comme dit Patrick Kanner, « est-ce qu’une année suffira pour trouver un accord ? Je n’en sais rien. C’est un pari risqué ».