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Nouvelle-Calédonie : « Le chaos actuel est le fruit du désespoir qui envahit une grande partie de la population »

Dans la nuit de lundi à mardi, des affrontements d'une extrême violence ont opposé manifestants et forces de l'ordre à Nouméa, alors que les députés examinaient à Paris une révision constitutionnelle décriée par les indépendantistes. Selon Patrick Roger, spécialiste des Outre-mer et auteur de l’ouvrage à paraître « Nouvelle Calédonie, la tragédie » (Cerf), cette mobilisation sans précédent depuis les années 1980 s’explique notamment par les transformations qu’a connu la société calédonienne ces dernières années.
Steve Jourdin

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Vous avez intitulé votre ouvrage « Nouvelle-Calédonie, la Tragédie ». Qu’est-ce qui vous semble tragique dans la situation actuelle ?

L’histoire de cet archipel est une histoire tragique, faite de souffrance et de violence. Il y a un passé colonial très violent qui a laissé des marques indélébiles. La Nouvelle-Calédonie est aujourd’hui à la recherche d’une nouvelle définition. Sa prospérité a longtemps reposé sur l’exploitation du nickel, or cette page est en train de se tourner car la filière connaît de graves difficultés. Elle va devoir se réinventer un avenir, et pour cela il va falloir que les Calédoniens de toutes obédiences tirent dans le même sens. Ce qui est tragique aujourd’hui, c’est que les responsables politiques de Nouvelle-Calédonie ne sont pas la hauteur des enjeux. Le chaos actuel est le fruit du désespoir qui envahit une grande partie de la population.

 

A Nouméa, des magasins ont été pillés et des manifestants ont tiré sur les gendarmes. Ces scènes sont-elles inédites en Nouvelle-Calédonie ?

Il faut se rappeler des événements qui se sont déroulés entre 1984 et 1988, qui sont des années de quasi-guerre civile. Mais on ne peut pas comparer ce qu’il s’est passé hier et ce qu’il s’est passé il y a 40 ans. Dans les années 1980, l’essentiel des mobilisations des indépendantistes avait lieu dans la « brousse », autour des tribus dans la province Nord. Nouméa, qu’on appelait à l’époque « Nouméa la blanche », car la population kanak était en grande partie exclue, était épargnée par les troubles. Aujourd’hui, ça n’est plus le cas. Cela s’explique par les importants déplacements de population de ces dernières années vers la capitale et ses environs, où se concentrent les activités économiques. Ces déplacements ont entraîné un déracinement, notamment chez les jeunes qui peinent à trouver un emploi.

 

Peut-on dire que la jeunesse kanak est aujourd’hui majoritairement nationaliste ?

Il y a effectivement une partie de la jeunesse qui se revendique du nationalisme. Mais il faut voir que beaucoup de jeunes sont surtout désœuvrés, et pas forcément politisés. Ils peuvent facilement être « utilisés » par la « cellule de coordination des actions de terrain », ce regroupement lancé par les indépendantistes et qui organise aujourd’hui la mobilisation. Néanmoins, si ces jeunes sont faciles à enrôler, ils peuvent ensuite devenir incontrôlables, comme on le voit avec les scènes de pillage qui ont eu lieu à Nouméa.

Nous sommes dans une mobilisation complexe, qui rappelle aussi ce qu’il s’est passé après la mort du jeune Nahel. Certes, l’idée d’indépendance est très présente au sein de la jeunesse, comme on l’a vu lors des précédents référendums. Mais en même temps, il ne faut pas oublier qu’en Nouvelle-Calédonie la population est de plus en plus métissée, avec près de 15 % de mariages mixtes, et que la société évolue très vite. Dans l’ensemble, il n’y a aucune d’envie de revivre les événements tragiques des années 1980. Ce qui fait défaut aujourd’hui, ce sont les perspectives d’avenir.

 

Un projet de loi de révision constitutionnelle est actuellement en examen au Parlement. Pourquoi suscite-t-il autant de crispations ?

Derrière tout cela, il y a énormément de postures ! Depuis le troisième référendum de 2021, pour lequel les indépendantistes avaient appelé à la non-participation, le sentiment d’incompréhension s’est développé entre les deux camps. La confiance à l’égard du gouvernement s’est dégradée. La nomination de Sonia Backès, figure des loyalistes, au gouvernement avait déjà profondément choqué. Les indépendantistes considèrent aujourd’hui que le gouvernement est sorti de sa position d’impartialité. Or, depuis les années 1980, l’Etat joue le rôle de facilitateur. Il est le garant du dialogue, car les débats n’ont jamais été simples entre les deux camps.

On est aujourd’hui dans une situation où la question du corps électoral prend des proportions énormes. Les indépendantistes reconnaissent que le statu quo ne peut pas durer. Ils étaient prêts à accepter la condition de 10 ans de résidence sur le territoire pour pouvoir voter aux élections provinciales, et l’avaient d’ailleurs fait savoir à Gérald Darmanin. Une partie du FLNKS avait également reconnu la nécessité de changer les choses, mais cela ne fait pas l’unanimité au sein du rassemblement. Dans la mobilisation actuelle, les tendances les plus radicales ont pris la main. Or, le mouvement indépendantiste reste hanté par l’assassinat de ses dirigeants (Jean-Marie Tjibaou et son bras droit, Yeiwéné Yeiwéné, ndlr) après les accords de Matignon en 1989. Il y a une très grande fébrilité vis-à-vis de la colère qui s’exprime aujourd’hui dans la rue.

 

Emmanuel Macron a invité à Paris l’ensemble des parties néo-calédoniennes afin de relancer le dialogue. Est-ce la bonne manière de faire ?

Il faut espérer que toutes les formations répondent positivement à cette invitation. Dans la période récente, les discussions n’ont jamais réuni l’ensemble des composantes à une même table. Les divisions dans chaque camp ajoutent au tragique de la situation. Le chef de l’Etat doit maintenant tracer une feuille de route, car les sujets sensibles sont déjà bien connus. Il faut avancer rapidement, avant que la situation ne devienne incontrôlable.

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