La Commission européenne devrait pouvoir entrer en fonction dès le 1er décembre après l’accord entre les trois principaux partis européens sur le collège des commissaires. Un accord qui illustre la place centrale de la droite européenne, prête à s’allier avec l’extrême droite.
Nouveaux réacteurs : le Sénat supprime l’objectif de réduction à 50 % du nucléaire dans le mix électrique en 2035
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[ Mise à jour: Le Sénat a adopté dans la nuit de mardi à mercredi le projet de loi simplifiant les procédures pour la construction de nouveaux réacteurs nucléaires ]
Le débat au Sénat s’annonçait périlleux, et ça n’a pas manqué. Sur le fond, pas vraiment de problème dans cet hémicycle version « ancien monde » où seuls les sénateurs du groupe écologiste s’opposent frontalement à la relance du parc nucléaire français. À gauche, communistes et socialistes soutiennent le développement de la filière aux côtés des énergies renouvelables, tout comme les sénateurs soutenant la majorité présidentielle depuis le discours de Belfort qui a acté les orientations d’Emmanuel Macron en la matière. À droite, l’équation est encore plus simple pour une famille politique qui a toujours défendu la filière et qui accuse aujourd’hui le gouvernement et la gauche d’avoir saboté ce fleuron de l’industrie française. Un attachement que les écologistes ne manquent jamais de railler, comme cette après-midi, avec une métaphore filée de Ronan Dantec sur « le merveilleux » et la « mystique » qui sous-tendent d’après lui « le conte de fée » du nucléaire français.
« Plus personne n’y comprend rien »
Sur la question du nucléaire, l’équation est donc assez simple au Sénat. Mais, paradoxalement, c’est le caractère très technique et a priori assez peu conflictuel du projet de loi présenté par Agnès Pannier-Runacher pour raccourcir les délais nécessaires à la construction de nouveaux réacteurs qui a mis le Sénat en surchauffe. En effet, le Parlement s’est retrouvé aujourd’hui à discuter de procédures liées à la construction de nouveaux réacteurs qu’il n’avait en fait pas actées. Dans l’état actuel de la loi, subsiste encore l’objectif de réduction de la part du nucléaire dans le mix électrique à 50 % à horizon 2035, avec la fermeture de 12 réacteurs du parc installé, et nulle part ne figure d’éventuels nouveaux réacteurs. C’est la loi de programmation Energie – Climat prévue pour l’été ou l’automne 2023 et la révision de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) qui vont devoir acter dans la loi la construction de nouveaux réacteurs.
Les sénatrices et sénateurs discutaient donc aujourd’hui en quelque sorte dans le vide, ce qui a été unanimement dénoncé sur tous les bancs de la chambre haute. Daniel Gremillet, rapporteur LR du projet de loi a ouvert le bal : « Le gouvernement légifère dans la précipitation. » Son collègue centriste de la majorité sénatoriale, Jean-Pierre Moga, le rejoint : « Nous regrettons le désordre inhérent à l’examen parlementaire de notre politique énergétique. Tout cela manque de lisibilité et de clarté. » À gauche, le sénateur communiste Fabien Gay dénonce « une question de l’énergie traitée par segment, petit morceau par petit morceau », entre le projet de loi sur les énergies renouvelables discuté il y a quelques semaines, celui sur le nucléaire examiné actuellement et la loi de programmation qui s’annonce.
Pour le sénateur communiste « plus personne n’y comprend rien », la faute au calendrier imposé par le gouvernement : « Ayons le débat politique sur les objectifs, puis viennent les textes qui mettent la pratique en adéquation, mais on met le système à l’envers : on va contrevenir à la PPE toujours en place. Si la nouvelle programmation décide – ce n’est pas mon souhait – d’un des scénarios de RTE comme le 100 % renouvelables, ce dont nous discutons aujourd’hui est caduque. […] La situation dans laquelle on est, ce n’est que de votre faute, c’est la façon dont vous avez voulu ce débat. »
« Nous accompagnons ces mesures techniques par une vision politique »
Et cette « situation », parfois un peu ubuesque, fait que face au constat de l’inadéquation entre les objectifs poursuivis par ce texte et l’état de la loi concernant la planification énergétique française, trois positions ont émergé. En dehors des écologistes, de toute façon opposés au principe de la relance du nucléaire, la commission des Affaires économiques a, par l’intermédiaire de son rapporteur LR, Daniel Gremillet, voulu profiter de ce texte pour supprimer l’objectif de réduction de la part du nucléaire dans le mix électrique à 50 % et ainsi « revenir sur les verrous de la précédente programmation pluriannuelle de l’énergie. »
Et Sophie Primas, la présidente LR de la commission des Affaires économiques, d’ajouter que la commission « avait voulu donner un signal fort, qui ne peut pas être juste des mesures techniques » : « Nous ne préemptons pas le débat : cet objectif de 50 % pourrait devenir 75 %, ou bien 20 %. Nous disons simplement que ces 50 % sont obsolètes et que nous accompagnons ces mesures techniques par une vision politique. »
Une argumentation qui n’a pas convaincu la ministre, même si celle-ci a tout de même proposé en séance un amendement différent du texte initial, qui modifie le code de l’énergie en affirmant que l’objectif des politiques énergétiques doit être de « diversifier le mix électrique en visant un meilleur équilibre entre le nucléaire et les énergies renouvelables. » Agnès Pannier-Runacher a ainsi proposé aux sénateurs de ne « pas définir de pourcentage cible », parce que « c’est le propos de la PPE », mais de tout de même « ajuster l’objectif », en affirmant « que nous avons besoin de nos deux jambes » pour « envoyer un message aux deux filières [renouvelables et nucléaires]. »
« Même en construisant 14 réacteurs, le maximum c’est 50 % de nucléaire »
La ministre de la Transition énergétique s’est aussi étonné qu’après avoir fustigé à maintes reprises un manque d’anticipation au gouvernement, le Sénat lui reproche de mettre la charrue avant les bœufs en anticipant les besoins techniques de la filière : « Gouverner, c’est anticiper. Vous avez suffisamment reproché au gouvernement de ne pas anticiper. Ces procédures administratives demandent des mois de travail, ce sont EDF et l’ASN qui demandent des simplifications. »
D’autant plus qu’Agnès Pannier-Runacher a tenu à rappeler « une réalité physique » à la majorité sénatoriale : « La part des renouvelables va augmenter dans notre mix, en tout cas c’est ce que je nous souhaite pour notre indépendance énergétique. Même en construisant 14 réacteurs nucléaires à horizon 2050, le maximum c’est 50 % de nucléaire. » Un état de fait qui, d’après la ministre « doit nous faire réfléchir collectivement » au sens de supprimer une limitation de la part du nucléaire dans le mix électrique à… 50 %.
Toujours est-il qu’en actant de revenir ainsi sur l’objectif initial du gouvernement de proposer un texte purement technique et administratif, afin de satisfaire la demande de signal politique de la majorité sénatoriale, la ministre a semblé perdre la gauche. « Cet amendement est en contradiction avec ce que vous nous avez dit tout à l’heure, à savoir que ce projet de loi n’est pas un texte de programmation. Le texte initial modifie le code de l’urbanisme, le code de l’environnement, le code de la propriété, celui des impôts. En aucun cas il n’y a une modification du code de l’énergie, parce que vous étiez restée dans votre couloir. Mais là, on est sur une sortie de route », a notamment regretté le sénateur socialiste Jean-Michel Houllegatte.
« Là on est sur un débat à propos de la place du nucléaire dans notre mix énergétique »
Une « sortie de route » finalement collective, par rapport à l’objectif du projet de loi, qui entendait se concentrer sur les procédures administratives nécessaires à la construction de nouveaux réacteurs, autour des permis de construire ou les documents d’urbanisme, notamment. « Là on est sur un débat à propos de la place du nucléaire dans notre mix énergétique », a fini par lâcher Agnès Pannier-Runacher. Et pour cause, espérer discuter, au Sénat, d’un projet de loi à propos du nucléaire – aussi technique soit-il – sans grand débat sur la relance de la filière, la gestion des déchets et les opportunités industrielles que le secteur représente, relevait du vœu pieux.
Le groupe écologiste a ainsi déposé une motion pour rejeter l’ensemble du projet de loi avant même la discussion des articles, rejetée sans surprise par la chambre haute. Le sénateur Daniel Salmon a pointé « le déni de démocratie » de la décision unilatérale du Président de la République de relancer le nucléaire français en février dernier, tout en pointant les problématiques de coûts, de gestion des déchets ou de rapport à certains pays pour l’exploitation d’uranium.
Sur les bancs d’en face, la droite sénatoriale a semblé vouloir faire avouer au gouvernement un revirement sur la question. « Ce projet de loi ne peut masquer la responsabilité du gouvernement et de sa majorité dans le déclin de la filière nucléaire », a martelé Sophie Primas, rejoint par son collègue des Républicains François Bonhomme : « Emmanuel Macron n’est pas allé à Belfort, il est allé à Canossa. Vous refusez de reconnaître ce revirement, mais on n’a pas fini de corriger ces erreurs stratégiques. »
« Votre texte c’est parler du nucléaire sans parler du nucléaire »
D’autres ont regretté un manque d’ambition du texte, qui n’aborderait pas les questions clé pour arriver à réussir le « pari industriel » d’Emmanuel Macron. « Ce projet de loi aura un impact limité sur la relance du nucléaire français », a sobrement regretté Pascal Martin, rapporteur centriste de la commission de l’Aménagement du territoire et du développement durable.
Plus direct, le sénateur communiste Fabien Gay a interpellé la ministre sur la question de l’attractivité de la filière nucléaire : « L’urgence, ce n’est pas de réduire de quelques mois des procédures pour des chantiers qui commenceront au mieux en 2027. Je vous le dis, si vous misez là-dessus, vous n’y arriverez pas. Quelle filière industrielle va mener ces chantiers ? Vous vous attaquez au régime spécial des Industries électriques et gazières (IEG) c’est faire perdre de l’attractivité à la filière. Si vous comptez sur de la sous-traitance en cascade, assumez un nucléaire low cost incompatible avec les enjeux de sûreté. »
Et le sénateur communiste de conclure « votre texte c’est parler du nucléaire sans parler du nucléaire. » Une chose est sûre, là-dessus, les sénatrices et sénateurs présents dans l’hémicycle ce mardi après-midi auront corrigé le tir.