Paris: Weekly session of questions to the government at the Senate

Nouveau texte immigration : face à une majorité divisée, Bruno Retailleau prêt à jouer l’opinion

Moins d’un an après le précédent projet de loi, le gouvernement va porter un nouveau texte sur l’immigration. L’idée est de reprendre « les articles censurés par le Conseil constitutionnel », selon l’entourage du ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau. Mais chez les députés Renaissance, on prédit un groupe coupé en deux sur le sujet. « On sait qu’aucun texte ne passera sans l’accord du RN », pointe le sénateur écologiste Guy Benarroche.
François Vignal

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Et revoilà le texte immigration. Moins d’un an après l’adoption au Parlement d’un projet de loi sur le sujet, le gouvernement Barnier va remettre le couvert. C’est la porte-parole du gouvernement, Maud Bregeon, qui en a fait l’annonce, dimanche, sur BFMTV. « Il y aura besoin d’une nouvelle loi » notamment pour permettre « la prolongation » de « la rétention administrative » des étrangers soumis à une obligation de quitter le territoire. Le texte est attendu « début 2025 ».

Le texte pourrait être examiné dès « janvier/février »

C’est évidemment le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, qui multiplie les sorties médiatiques, qui portera ce nouveau texte immigration. Dans l’entourage du ministre, on espère un débat « assez vite », dès « en janvier/février », glisse-t-on.

Outre la prolongation de la durée de rétention, qui serait portée de 90 à 210 jours, le texte comportera des mesures déjà connues. « Pour nous, la base, ça pourrait être les articles censurés par le Conseil constitutionnel au motif qu’ils étaient des cavaliers législatifs », explique à publicsenat.fr l’entourage de Bruno Retailleau. Il s’agit notamment du délit de séjour irrégulier, du durcissement sur le regroupement familial ou sur les prestations sociales, comme le délai de carence, les tests osseux ou encore « sur l’aide médicale d’Etat ». Pour rappel, le précédent texte avait été largement durci lors de son passage devant le Sénat. Et c’est un certain Bruno Retailleau, alors président du groupe LR de la Haute assemblée, qui avait donné le « la ».

« Chez les députés Renaissance, ce sera du 50/50, voire 30 ou 40% qui voteront le texte et le reste votera la censure ! »

A peine l’idée lancée, ce nouveau texte en préparation est déjà source de discorde au sein de la majorité, très relative et décidément très fragile. « Faire une loi pour une loi, sans nous expliquer ce qu’il y aurait dedans, ne me semble pas totalement prioritaire », a déclaré le président du groupe des députés Renaissance et ancien premier ministre, Gabriel Attal, sur France inter. « Faire une loi pour une loi, ça n’a pas de sens », a-t-il insisté, rappelant qu’« on a adopté une loi il y a moins d’un an sur l’immigration, avec des mesures dont certaines ne sont pas encore en vigueur puisque les décrets ne sont pas encore sortis ».

Le sujet « crispe », comme dit un député Renaissance, qui prédit un groupe EPR (Ensemble pour la République) divisé. « Ce sera du 50/50, voire 30 ou 40% qui voteront le texte et le reste votera la censure ! » lance le même en souriant. Chez les députés de l’ex-majorité présidentielle, si certains seront d’accord sur le fond, on reste dubitatif : « Ce qui surprend, c’est qu’ils n’anglent pas le truc sur des mesures précises. On ne sait pas ce qu’il y a dans le texte. C’est une annonce purement politique, mais pas de politique publique ».

Mais le premier ministre n’aura d’autre choix que de faire avec ces tensions. « Au sein du gouvernement, comme de la majorité, il y aura des débats. Il faut les assumer, avec un arbitre qui est Michel Barnier », avance un conseiller ministériel.

« L’objectif n’est pas de sauter sur la première mine venue »

Alors que le premier ministre Michel Barnier avait semblé écarté un nouveau texte, ce timing laisse penser à certains qu’il s’agit plus d’un appel du pied au Rassemblement national, en vue du budget. « Qu’est-ce que c’est, si ce n’est une concession faite au RN, pour gagner du temps », avance un parlementaire du « socle commun ». Il s’agirait d’éviter que les députés d’extrême droite soient tentés de voter la censure dès le projet de loi de finances, en lui donnant des gages. « Il y a un jeu d’équilibriste effectivement. Ce gouvernement n’a pas de majorité, donc il faut faire attention à tout, c’est sûr, pour éviter le censure », confirme l’entourage d’un ministre, où on ajoute que « les groupes posent des conditions et Michel Barnier est obligé d’écouter. Ça ne veut pas dire céder à tout. Mais l’objectif n’est pas de sauter sur la première mine venue ».

A droite, les doutes des macronistes agacent. On pointe ce qu’on appelle « les postures dans la majorité. Certains disent qu’ils ne voteront jamais une nouvelle loi Retailleau. Mais ils vont devoir se positionner sur des choses précises, dire s’ils sont d’accord pour qu’on demande des efforts qu’aux Français, dans le cadre du budget de la Sécu, et pas aux étrangers. Et il faudra que Gabriel Attal dise de manière explicite qu’il est contre le retour du délit de séjour irrégulier, alors qu’il était ministre d’un gouvernement qui l’avait soutenu l’an dernier ».

« Bruno Retaileau a une ligne, il est cohérent. Il écoute ce qu’attendent les Français et se donne les moyens »

A la Haute assemblée, les sénateurs LR devraient sans surprise suivre leur ancien président de groupe. « La France fait face à un défi qu’elle n’a jamais eu à gérer, en termes de flux migratoire.  Être dans le déni, de ce qu’il se passe dans le pays, c’est irresponsable. Il est urgent de se donner tous les outils », avance la sénatrice LR Jacqueline Eustache-Brinio, qui ajoute que « Bruno Retaileau a une ligne, il est cohérent. Il écoute ce qu’attendent les Français et se donne les moyens ».

Et tout ne se jouera pas dans une Assemblée nationale divisée, rappelle la sénatrice LR du Val-d’Oise : « Je vous rappelle qu’il y a une commission mixte paritaire après, entre députés et sénateurs. C’est la CMP qui trouve la voie de passage ». Et la droite y est renforcée avec les nouveaux équilibres. « Après, chacun prendra ses responsabilités », ajoute Jacqueline Eustache-Brinio.

Bruno Retailleau entend en effet « clairement » jouer l’opinion. « Que la ministre Agnès Pannier-Runacher pense que ce n’est pas une priorité, ce n’est pas très grave. Ce qui compte, c’est que beaucoup de Français pensent que c’est une priorité », lance un proche du ministre.

Les travaux du Sénat comme source d’inspiration

Au Sénat, il faudra aussi compter, comme toujours, sur le groupe Union centriste, sans qui les LR n’ont pas de majorité. Il avait activement œuvré à la recherche d’un compromis sur le dernier texte immigration. Mais son président, le sénateur UDI Hervé Marseille, attend de voir et reste pour l’heure prudent. « Je n’ai vu aucun texte. Quand je le verrai, on en reparlera. Je ne vais pas commenter des pistes, ce sont des choses suffisamment sérieuses », lance le centriste. Autrement dit, 2025, c’est loin et il peut encore se passer beaucoup de choses. Hervé Marseille avait néanmoins déposé, avec l’ex-sénateur Philippe Bonnecarrère, devenu député, un texte reprenant pour partie les dispositions censurées par le Conseil. De quoi être utile au gouvernement ?

L’inspiration pourrait plutôt venir du travail déjà réalisé par les sénateurs LR, qui avaient déposé deux textes, l’un ordinaire, l’autre constitutionnel, sur l’immigration. Une source d’inspiration probable pour Bruno Retailleau. Le gouvernement pourra d’ailleurs « soit déposer un projet de loi, soit reprendre une proposition de loi du Sénat », glisse une source gouvernementale. La seconde option pourrait avoir l’avantage « de faire gagner du temps et d’arriver à l’Assemblée avec un texte voté par le Sénat ». Le texte constitutionnel des sénateur LR, qui avait été adopté en commission, avait finalement été retiré de l’ordre du jour de la séance, faute de majorité.

« C’est obsessionnel » pour Bruno Retailleau

A gauche, les critiques n’ont pas tardé. « On va refaire le débat… Rien que de le dire, je suis désespéré », rit (jaune) le sénateur écologiste, Guy Benarroche. « Si c’est un texte de loi sur l’augmentation de la durée de rétention, des restrictions supplémentaires pour les étrangers sur le regroupement familial, un recul sur l’AME, clairement, c’est un texte contre lequel on se battra », prévient le sénateur des Ecologistes des Bouches-du-Rhône.

L’immigration, « c’est obsessionnel » pour le ministre, ajoute la sénatrice PS, Marie-Pierre de la Gontrie. « Là, on voit qu’on est plus dans la communication politique que dans un souci d’efficacité », selon la sénatrice de Paris. Elle pointe l’idée de rallonger la durée de rétention. « Alors que la loi Collomb avait déjà prolongé le délai à 90 jours, on avait souligné que l’idée n’était pas fondée. Car quand on regarde les chiffres, la reconduite aux frontières se fait dans les premier jours », souligne Marie-Pierre de la Gontrie, qui relève déjà « un sujet constitutionnel, car on met en détention, sans jugement. Et les centres de rétention ne sont pas faits pour accueillir les personnes aussi longtemps ».

« Le gouvernement s’apprête à présenter un texte où le soutien du RN sera encore plus nécessaire qu’il y a quelque mois »

La position du Rassemblement national va de nouveau être au centre des débats. Il fait déjà monter les enchères. Invité de la matinale de Public Sénat, le député RN Jean-Philippe Tanguy dit souhaiter une « régularisation zéro des clandestins ».

« Le gouvernement s’apprête à présenter un texte où le soutien du RN sera encore plus nécessaire qu’il y a quelque mois. Qu’ils ne se cachent pas derrière leur petit doigt. Ils font un texte qui convient au RN », soutient Marie Pierre de la Gontrie. Guy Benarroche n’a pas de doute non plus : « On aura un vote LR adoubé par le RN, pour faire passer une partie du programme du RN. On sait qu’aucun texte ne passera sans l’accord du RN ».

« Si les députés RN veulent voter la loi, tant mieux. Ce n’est pas vraiment un sujet »

« Il n’y a pas de sous députés », rétorque la sénatrice LR Jacqueline Eustache-Brinio, « le texte sera voté par des élus qui regarderont ce dont on a besoin, ça peut aller de l’extrême droite à l’extrême gauche ». Peut-être moins l’extrême gauche.

Du côté du ministre, on assume déjà la réalité du rapport de force à l’Assemblée. Si le texte est voté avec les voix du RN, « c’est comme ça. Que ce soit avec les voix ou l’abstention du RN, que sais-je, mais ce n’est pas un problème », lance l’entourage, qui ajoute que « la voix d’un député, c’est la voix d’un député. Après, on n’est pas en phase avec eux sur plein de choses. Ils trouveront que ça ne va pas assez loin. Mais s’ils veulent voter la loi, tant mieux. Ce n’est pas vraiment un sujet ». Ça dépendra pour qui.

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