En marge de la présentation du programme du Rassemblement national, Jordan Bardella a demandé que Jean-Luc Mélenchon « vienne débattre » mardi sur TF1, face à lui et à Gabriel Attal, en tant que représentant du Nouveau Front populaire, en lieu et place de Manuel Bompard, le coordinateur de la France insoumise. Un souhait déjà formulé quelques heures plus tôt par Gabriel Attal, au micro d’Europe 1. Le président du RN a estimé qu’« une partie [de la gauche] cherch [ait] à planquer Jean-Luc Mélenchon alors qu’il est, de son propre aveu, candidat au poste de Premier ministre ».
Depuis le début de la campagne, le parti de Marine Le Pen et la majorité présidentielle ont assumé d’individualiser ces législatives anticipées, et ne cessent de désigner l’ancien candidat à la présidentielle comme le premier ministrable choisi par le Nouveau Front populaire. Un nom agité comme un repoussoir, même si cette question n’a pas encore été tranchée par les composantes du bloc de gauche. « Ils semblent ne pas s’entendre sur un nom, en tout cas faire mine de ne pas s’entendre, et pourtant le résultat est couru d’avance. Ils l’ont dit eux-mêmes, le plus grand groupe de la Nupes [sic] choisira le Premier ministre. Celui qui a le plus de candidats et de sortants : c’est la Nupes », a soutenu Gabriel Attal lors d’une conférence de presse jeudi dernier.
Un petit jeu indirectement alimenté par Jean-Luc Mélenchon, qui a ouvertement candidaté au poste de chef de gouvernement – dans l’hypothèse où la gauche décrocherait une majorité absolue le 7 juillet prochain -, tout en faisant mine de ne pas vouloir s’imposer face à la levée de boucliers dans les rangs de la gauche. « Je ne m’élimine pas et je ne m’impose pas. Je pense que c’est une formule qui est assez respectueuse du collectif », a-t-il expliqué sur le plateau de l’émission C l’hebdo sur France 5, ce samedi. Mais de déclarer aussi dans la même émission : « Moi, j’ai l’intention de gouverner ce pays ».
« Là, Jean-Luc Mélenchon est en train de devenir un boulet »
L’insoumis sera encore l’invité de France 2, ce lundi soir dans la foulée du 20 heures. Une présence médiatique qui lui permet de montrer qu’il reste incontournable à gauche de l’échiquier politique, quand bien même il n’occupe plus aucun mandat électif, ni aucune fonction officielle au sein de sa propre formation politique.
Mais ces différentes interventions agacent aussi ses partenaires : « On est tout à fait zen ! », ironise, à l’évocation de l’interview à venir, un parlementaire communiste avant d’éclater de rire. « Si la parole est d’argent, il serait temps que les LFI rappellent à leur lider maximo que le silence est d’or », tacle un stratège socialiste. « On s’est déjà tiré plusieurs balles dans le pied inutilement avec certaines investitures… Là, Jean-Luc Mélenchon est en train de devenir un boulet, je vous le confirme », lâche Patrick Kanner, le président du groupe PS au Sénat, toujours très critique sur le rapprochement avec LFI.
« Le Front populaire appartient à toutes celles et ceux qui refusent d’abandonner la France à l’extrême droite. Personne ne peut s’autoproclamer Premier Ministre. Les députés du NFP en lien avec leurs partis, choisiront la personnalité qui fait consensus pour rassembler le pays », a écrit Olivier Faure, le Premier secrétaire du PS, dans un post sur le réseau social X.
« Il ne sera pas Premier ministre »
Sauf que là aussi, la méthode n’est pas encore précisément arrêtée. À tout seigneur, tout honneur : du côté des insoumis, on a d’abord estimé que le parti arrivé en tête à gauche, le 7 juillet, aurait les coudées franches pour choisir le futur locataire de l’hôtel Matignon. Olivier Faure s’est, pour sa part, plutôt prononcé en faveur d’un vote de l’ensemble des députés de gauche. Un vote que plusieurs poids lourds de la gauche sénatoriale, comme Patrick Kanner et Rachid Temal, aimeraient élargir aux élus du Palais du Luxembourg. « Je rappelle que rien n’oblige le Premier ministre à être issu des députés. Puisque l’on parle du Parlement dans son ensemble, on pourrait y inclure les sénateurs », explique l’ancien ministre des Sports de François Hollande.
Mais quelle que soit la méthode retenue, du côté des partis les plus minoritaires au sein de l’alliance, on enterre déjà la candidature de Jean-Luc Mélenchon. « Il n’est pas le leader du Nouveau Front populaire et il ne sera pas Premier ministre », a déclaré ce lundi Marine Tondelier, la secrétaire nationale des écologistes, auprès de l’AFP. « Il y a un accord pour dire que le Premier ministre devra être trouvé au consensus parmi les différentes forces politiques », a affirmé la patronne des écolos à l’issue d’une réunion avec les autres chefs de parti, parmi lesquels Manuel Bompard.
Le sénateur communiste Ian Brossat abonde : « L’hypothèse qu’il devienne Premier ministre n’est pas sérieuse. Il peut être candidat, mais il ne sera pas élu. Ce sera non pour les communistes et les socialistes ! », assure-t-il. « Et même si LFI reste le groupe majoritaire et propose sa candidature, les autres partenaires auront leur mot à dire. »
« Si on avait exigé que le choix du Premier ministre soit tranché en amont… il n’y aurait pas eu d’accord »
En marge de la campagne des législatives, c’est aussi une bataille d’influence qui s’est ouverte à gauche de l’échiquier politique. Le PS, arrivé très largement devant LFI aux élections européennes, grâce à son alliance avec Raphaël Glucksmann, le co-fondateur de Place Public, espère reprendre du poil de la bête face aux insoumis, en position de force depuis 2022. Avant dissolution, les socialistes ne disposaient que de 31 députés contre 75 pour les insoumis. L’accord électoral passé il y a deux semaines accorde 230 circonscriptions à LFI et 175 au parti à la rose.
« On a l’impression que Jean-Luc Mélenchon fait tout pour que les ‘sociaux-traîtres’, comme il les appelle, ne deviennent pas le centre de la gauche », poursuit Patrick Kanner. « Dès qu’il parle dans les médias, on nous renvoie à lui. Aujourd’hui, cette belle alliance est plombée par quelqu’un qui ne se présente même pas aux législatives. C’est à la limite du sabotage ! », s’exaspère l’élu du Nord.
Les sociaux-démocrates ne ménagent pas leurs attaques contre le tribun : « Qu’il se taise », a lâché François Hollande ce week-end, au micro de France inter. « Je sais, s’il y a une union, c’est pour que toutes les formations politiques puissent y participer. Mais là, quand il y a autant de rejet, quand il y a même plus de rejet sur Jean-Luc Mélenchon que sur Le Pen ou Bardella, il y a un moment où il faut avoir conscience de ce qu’est l’intérêt général », a soutenu l’ancien chef de l’Etat, reparti en campagne en Corrèze. « Qu’est-ce qu’on veut faire ? Est-ce qu’on veut faire gagner la gauche ou faire de la conflictualité ? Je refuse la conflictualité parce que c’est ce que souhaite l’extrême droite. Il y a chacun à faire un effort. Moi je l’ai fait l’effort », a-t-il rappelé.
« Il faut qu’il se taise, et entende enfin qu’il n’est pas en capacité d’être un point d’équilibre », martèle Rachid Temal. Tout en insistant sur « l’importance du programme, de la philosophie globale », plusieurs élus de gauche interrogés par Public Sénat admettent que la question de l’incarnation risque de les tenir pendant la campagne comme le sparadrap du capitaine Haddock. « Si on n’avait exigé que le choix du Premier ministre soit tranché en amont… il n’y aurait pas eu d’accord », avoue un socialiste.
« Vouloir se passer de LFI et de Jean-Luc Mélenchon, c’est ne pas vouloir gagner »
En cherchant à rester au centre du jeu, Jean-Luc Mélenchon veut garder la main sur sa formation politique. Il anticipe aussi le coup d’après et se positionne tacitement pour 2027 : « Il a un rapport à son parti qui n’est plus le même », décrypte Rachid Temal. Une référence à ce que d’aucuns ont qualifié de purge ; l’éviction des députés LFI sortant qui ont, ces derniers mois, ouvertement critiqué les prises de position du tribun. En parallèle, d’autres personnalités, non moins critiques avec la ligne de Jean-Luc Mélenchon, sont régulièrement citées pour prendre l’initiative sur la gauche radicale, comme François Ruffin ou Clémentine Autain.
« Vouloir se passer de LFI et de Jean-Luc Mélenchon, c’est ne pas vouloir gagner », estime Paul Vannier, député LFI sortant, et l’un des négociateurs de l’accord qui a donné naissance au Nouveau Front populaire. Cet ancien professeur d’histoire-géographie estime que le rejet manifesté à l’égard de Jean-Luc Mélenchon tient plutôt « d’une forme de débat politicien, propre au microcosme parisien », et qu’il n’est pas représentatif des retours de terrain. « Je le considère comme un atout pour mobiliser dans les quartiers, auprès des primo-votants, des classes les plus populaires mais aussi dans les Outre-mer », énumère ce très proche du leader insoumis. « Dans la rue, les gens m’en parlent comme d’une personne qu’ils veulent soutenir », assure celui qui candidate à sa réélection dans la 5e circonscription du Val-d’Oise, un territoire où LFI est arrivé largement en tête aux dernières élections.
Mais un peu plus au sud, dans le département du Val-de-Marne, la députée sortante Sophie Taillé-Polian, ancienne socialiste passée chez Génération. s, dresse un constat autrement plus nuancé. « Il y a un sentiment de responsabilité dans le fait qu’il reconnaisse que, s’il pose un problème, il ne cherchera pas à être Premier ministre. Sur le terrain, je ne peux que constater que sa personnalité ne fait pas consensus », explique-t-elle à Public Sénat.
Un sondage Odoxa pour Le Figaro du 20 juin appuie ce sentiment. 72 % des Français interrogés ont une mauvaise opinion de Jean-Luc Mélenchon dont 57 % une « très mauvaise ». Ils ne sont que 20 % à avoir une bonne opinion de lui, soit une chute de 21 points par rapport à mai 2022, lorsque la Nupes menait encore campagne derrière le slogan « Mélenchon : Premier ministre ». « Si Jordan Bardella bénéficie d’une popularité majoritaire auprès de l’ensemble des sympathisants de droite, Jean-Luc Mélenchon clive profondément la gauche », observe Erwan Lestrohan, directeur conseil d’Odoxa. Parmi les sympathisants de gauche, ils sont 73 % à le plébisciter comme chef de gouvernement chez LFI, mais ce soutien s’effondre littéralement au sein des autres chapelles : 22 % chez les écologistes, et seulement 19 % parmi les sympathisants PS.