Un nouvel épisode dans la série de l’union de la gauche. Pour bien comprendre, il faut faire un résumé jour par jour. Ce week-end, les communistes proposent le nom d’Huguette Bello, présidente communiste du Conseil régional de La Réunion, qui a été candidate sur la liste de la France Insoumise aux européennes, pour Matignon. Les Insoumis et les écologistes acceptent, mais le PS refuse. Lundi, les Insoumis annoncent dans l’après-midi mettre en pause les négociations pour Matignon tant qu’un accord n’a pas été trouvé sur une candidature unique de la gauche pour la présidence de l’Assemblée nationale. Quelques heures plus tard, le PS, par voie de communiqué de presse, propose une candidature issue de la société civile, soutenue par EELV et le PCF. Il s’agit de Laurence Tubiana, économiste et négociatrice des accords de Paris. La réaction des Insoumis est immédiate : Paul Vannier, député LFI du Val d’Oise, tweete « Olivier Faure se prépare à tenter d’imposer au Nouveau Front populaire une candidature Macron compatible pour Matignon. Ce serait une trahison de l’engagement pris devant des millions d’électeurs ». Ce matin, sur France 2, Manuel Bompard, le coordonnateur du mouvement, juge que cette proposition n’est « pas sérieuse ». Pour lui, cela fait « rentrer par la fenêtre les macronistes ». Alors que comprendre ? Le Nouveau Front Populaire est-il mort avant d’avoir essayé le pouvoir ?
Laurence Tubiana : un profil rejeté en bloc par les Insoumis pour Matignon
Le profil de Laurence Tubiana n’a pas séduit la France Insoumise. Être « Macron compatible » est l’un des principaux reproches que formule le mouvement à son encontre. « Nous nous méfions des improvisations, des bricolages. Nous nous méfions de ce qui nous éloigne du programme du NFP », se justifie Paul Vannier, « c’est la cohérence ente le profil d’un futur Premier ministre et le programme qui l’emporte ». Un reproche que ni Patrick Kanner, président du groupe socialiste au Sénat, ni Ian Brossat, sénateur communiste de Paris, ne font à l’économiste.
Des négociations qui se crispent
Les négociations sur le potentiel locataire de Matignon s’enlisent et les principaux acteurs de la confrontation, la France Insoumise et le Parti Socialiste, rejettent sur l’autre la responsabilité du blocage. « Il y a eu une série de vétos du PS », soutient Paul Vannier, « il a changé de discours en cours de route. Au lendemain des législatives, Olivier Faure indiquait que c’était au premier groupe parlementaire de faire une proposition, puis il a changé d’avis, et appelle au vote des sénateurs. Nous avons fait des efforts en proposant le nom d’Huguette Bello, nous constatons que le PS est dans un refus systématique. Il donne l’impression d’être revenu aux années Hollande ». Du camp insoumis est même venue une attaque condamnée par les autres partis de gauche et lancée par la députée réélue de Paris, l’insoumise Sophia Chikirou, a tweeté hier soir : « Le hollandisme c’est comme les punaises de lit : tu as employé les grands moyens pour t’en débarrasser, tu y as cru quelque temps et tu as repris une vie saine (à gauche) mais en quelques semaines, ça gratte à nouveau et ça sort de partout… Il va falloir recommencer ! ». Une attaque qui passe très mal chez les socialistes. « Le tweet de Sophia Chikirou est très problématique, si c’est ça les relations à venir avec les insoumis, des insultes, c’est très compliqué. Il faut se respecter » réagit Patrick Kanner.
« LFI a voulu ouvrir un rapport de force, mais la gloire de 2022 est terminée »
Le refus catégorique de la France Insoumise sur le nom de Tubiana, comme celui du Parti Socialiste sur le nom d’Huguette Bello, cache en réalité la bataille, à gauche, de l’hégémonie. Entamée pendant les élections européennes, elle voit s’opposer la France Insoumise, poussée par les scores de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle de 2022, et le Parti Socialiste, revigoré par son score aux européennes et par l’augmentation de son nombre de députés. Par noms interposés, chacun tente d’imposer son chef de filât sur la gauche, qui est arrivée en tête des élections législatives de dimanche 7 juillet. Patrick Kanner assume ce changement de pied. Il explique : « LFI a voulu ouvrir un rapport de force, mais la gloire de 2022 est terminée. Ils doivent faire leur deuil. Il faut que l’horloge biologique de la France Insoumise et de Jean-Luc Mélenchon ne reste pas bloquée en 2022. A la présidentielle, ils ont bénéficié du vote utile, et depuis il y a eu d’autres échéances où ils n’ont pas été en tête : les sénatoriales en 2023, les européennes en juin. La force la plus importante à gauche, y compris localement, c’est le Parti Socialiste. Si l’on réunit les deux groupes de parlementaires socialistes, on arrive à 130 personnes, ce qui fait de loin du PS la première force parlementaire à gauche ». Une réunion aura d’ailleurs lieu au Sénat demain soir, rassemblant tous les parlementaires PS. C’est dans cette optique que les sénateurs socialistes souhaitent être inclus dans les réflexions, aux côtés d’autres sénateurs de gauche. . Une analyse que ne partagent pas les Insoumis, pour qui la participation des sénateurs au choix du candidat pour Matignon n’est pas envisageable. « On pourrait aussi proposer un vote des conseillers régionaux, des conseillers municipaux, il faut être sérieux », réagit Paul Vannier.
Pour les communistes et les écologistes, « il faut aboutir »
Cette guerre des chefs est difficilement entendable auprès des électeurs de gauche, mais aussi auprès des communistes et des écologistes, leurs partenaires du NFP. Il faut dire qu’aucun des deux partis n’est en position de revendiquer le leadership à gauche. Aux élections européennes, leur liste respective a obtenu 5,5 % pour Les Ecologistes et 2,36 % pour le PCF, et au cours des élections législatives, les communistes ont failli perdre leur groupe à l’Assemblée nationale. Sur la course au chef entre le PS et LFI, Ian Brossat ne mâche pas ses mots : « A un moment donné, il faut aboutir. On veut que LFI revienne à la table des négociations et qu’on arrête ce cirque. Depuis le départ, le PCF n’a pas été un obstacle dans cette discussion. Il faut trouver une solution de sortie par le haut », confie-t-il à Public Sénat. L’humeur est similaire chez les écologistes. La sénatrice Les Ecologistes des Français de l’étranger Mélanie Vogel se dit « fatiguée ». « Certains ont du mal avec la définition du consensus. Ce n’est pas quelqu’un qui convient à tout le monde à 100 %, c’est quelqu’un sur qui personne n’a de profond désaccord », s’exaspère-t-elle, « depuis le départ, on a proposé de négocier sur une composition globale du gouvernement, avec des garanties pour tous les membres de l’alliance sur les profils des autres postes, d’imaginer les conditions dans lesquelles un gouvernement avec telle ou telle personne à sa tête serait acceptable ». Une méthode qui ne prend pas pour l’instant. L’élue écologiste est inquiète. Elle se désole : « La société civile est exaspérée et angoissée. L’histoire du NFP, c’est un engouement au-delà des partis, des associations financées qui ont pris des risques en nous soutenant. Ils voient que la question qui les intéresse le moins, c’est-à-dire l’incarnation, il y a un blocage. Il ne faut pas que la question des personnes soit un blocage. Je ne sais pas qui pardonnera à ceux qui ont provoqué la rupture du NFP. Je ne vois pas qui pourrait comprendre qu’on explose maintenant. Pas avant d’avoir gouverné. La force politique qui provoquerait la chute du NFP ne se relèverait pas de ça ».
Un « accord de principe » a néanmoins été trouvé sur une candidature unique à la présidence de l’Assemblée nationale
Pour autant, le contact n’est pas rompu entre les partenaires de gauche. Un accord de principe a été trouvé hier soir entre les présidents de groupe socialiste, communiste, insoumis et écologiste à l’Assemblée nationale pour proposer un unique candidat au perchoir, la présidence du Palais Bourbon. Les discussions concernant la personne qui sera désignée pour porter cette candidature ont démarré aujourd’hui, dans une ambiance plus feutrée que pour choisir le candidat à Matignon. Chacun semble mettre de l’eau dans son vin. « Nous sommes du côté de la solution et pas du problème », affirme Paul Vannier, « s’il faut que la proposition de candidat ne soit pas un insoumis, nous sommes prêts. Nous allons mettre tous nos efforts pour aboutir, que ce soit un candidat insoumis ou non ». Cela n’empêche pas les partis d’avancer leurs pions. En particulier Patrick Kanner : « A l’Assemblée nationale, les quatre présidents de groupe sont légitimes. On a intérêt à présenter un candidat de rassemblement. Je trouverais normal que Boris Vallaud soit le candidat de la gauche rassemblée, mais si on trouve une autre solution, tant mieux ».
« Je serais désolé si des parties prenantes n’étaient plus dans l’accord »
Par ailleurs, malgré les attaques, les invectives et les ultimatums, personne à gauche n’assume de vouloir la fin de l’alliance. Chez les socialistes, on ne veut pas encore rompre avec la France Insoumise, malgré des divergences assumées, sur la gouvernance et l’organisation, entre autres. « Je ne souhaite pas d’accord sans LFI », assure Patrick Kanner, « on a bâti en quelques heures un bon accord électoral et un bon contrat de gouvernement, qui répond aux aspirations majoritaires des Français. Je serais désolé si des parties prenantes n’étaient plus dans l’accord ». Paul Vannier, lui, se dit prêt à revenir travailler sur les « points en suspens », entendez la candidature à Matignon, dès le 18 juillet, après l’élection du président de l’Assemblée. « Concernant le profil des candidats à Matignon, nous ne fermons aucune porte », assure-t-il.
Le vote : la solution pour sortir de l’impasse ?
Pour débloquer la situation, François Ruffin, qui a réélu député de la Somme et qui a rompu avec La France Insoumise après les élections législatives, a proposé ce midi un vote pour savoir qui envoyer à Matignon. Sur BFMTV, il a déclaré : « C’est une honte, nos dirigeants ne sont pas à la hauteur des gens. Il faut sortir des appareils des partis. Il y a des députés NFP, il faudrait faire ce qu’on a fait à la Révolution française, les réunir et les faire se mettre d’accord sur un nom ». Une proposition bien accueillie par Mélanie Vogel. « Un vote, si c’est une solution, c’est très bien », confie-t-elle à Public Sénat, « mais il faut que ce soit acté et que les groupes respectent les résultats du vote ».