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Narcotrafic : l’accès aux messageries cryptées par les services de renseignement a du plomb dans l’aile

Adopté au Sénat avec l’appui du gouvernement, l’article 8 ter de la proposition de loi sur le narcotrafic oblige les messageries cryptées comme WhatsApp ou Telegram de permettre aux services de renseignement d’accéder à certains échanges. Alors que le texte arrive en examen à l’Assemblée, la mesure fait l’objet de nombreux amendements de suppression émanant des groupes de gauche, d’Ensemble pour la République et même du RN.
Simon Barbarit

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C’était l’un des apports significatifs des sénateurs LR à la proposition de loi visant à sortir du piège du narcotrafic. Le 28 janvier dernier dans la nuit, alors que les sénateurs achevaient la première journée de l’examen du texte, un amendement du président de la commission de la défense et des affaires étrangères, Cédric Perrin (LR) avait légèrement animé les débats. Il s’agissait ici de l’examen de la partie assez technique de la proposition de loi portant « sur les techniques spéciales d’enquête ».

« Il ne s’agit pas d’écouter tout le monde, tout le temps sur tous les sujets »

L’amendement du sénateur LR a créé un nouvel article 8 ter qui vise à contraindre les messageries cryptées à donner les clés de déchiffrement aux services de renseignement afin d’accéder aux correspondances et données des narcotrafiquants. Cet accès serait limité aux échanges faisant l’objet « d’une autorisation spécifique de mise en œuvre des techniques de recueil de renseignement », après avis de la CNCT (commission nationale de contrôle des techniques de renseignement). En cas de manque de coopération de la part de la plateforme, une amende pouvant atteindre jusqu’à 2 % du chiffre d’affaires mondial annuel hors taxes, est prévue. « Je ne vois pas en quoi on ferait une différence entre ce qui est fait aujourd’hui avec les SMS et les mails et ce qui serait fait demain avec WhatsApp, Signal et Telegram », avait justifié Cédric Perrin.

Sa mesure avait été massivement soutenue par les deux ministres au banc, Bruno Retailleau et Gérald Darmanin. Le garde des Sceaux avait fait le parallèle avec la lutte contre le terrorisme dans laquelle les services de renseignement « doivent prendre possession du téléphone » pour avoir accès aux messageries cryptées, avait-il expliqué, ce qu’on appelle des « captations à distance ». « Nous devons avoir des portes dérobées pour avoir accès à des messageries cryptées […] Objectivement il y a peu de risque (pour les libertés publiques) car la finalité est le crime organisé. Il ne s’agit pas d’écouter tout le monde, tout le temps sur tous les sujets », avait-il fait valoir.

« C’est une méconnaissance totale de ce que signifie le chiffrement », pour le RN

Mais à l’approche de l’examen du texte en séance publique à l’Assemblée nationale, prévu la semaine du 17 mars, de nombreux amendements de suppression ont été déposés par les groupes de gauche, Ensemble pour la République, et même le Rassemblement national. Le premier signataire de l’amendement de suppression déposé par le Rassemblement National, Aurélien Lopez-Liguori estime que le dispositif « porterait atteinte aux libertés individuelles et à nos systèmes de communication ». « C’est une méconnaissance totale de ce que signifie le chiffrement. Les clés de déchiffrement sont au niveau des terminaux des utilisateurs. La clé n’est pas centralisée quelque part au sein de la plateforme. Il faudrait alors mettre en place des portes dérobées pour toutes les communications, ce qui dépasserait largement le cadre de la lutte contre le narcotrafic. Le premier des hackers aurait accès à nos communications. Ce serait même un problème pour le modèle économique d’Olvid, la messagerie française utilisée par les membres du gouvernement et l’Elysée est cryptée », met-il en avant.

Décidément très à cheval sur les libertés publiques, Aurélien Lopez-Liguori a déposé un amendement de suppression de l’alinéa 3 de l’article 4 qui crée une présomption de blanchiment pour toute transaction effectuée avec des mixeurs de crypto-actifs. Il s’agissait d’un amendement du gouvernement adopté très largement par le Sénat sans débat, l’ensemble des élus reconnaissant que cette mesure allait dans le bon sens. « Le principe de la crypto, c’est que c’est traçable, accessible à tous dans un registre. On crée une présomption de blanchiment pour toutes les personnes qui ne souhaitent pas forcément que l’on connaisse l’étendue de leur patrimoine », justifie l’élu RN.

« Nous sommes dans une dissymétrie totale de moyens »

« Les élus RN déclarent partout qu’ils veulent plus de fermeté mais quand il s’agit de voter, il n’y a plus personne », tance Cédric Perrin. « Le dispositif que je propose est issu d’un constat de la délégation sénatoriale aux renseignements. Aujourd’hui, toutes les organisations criminelles ont recours aux messageries cryptées. Sans possibilité d’y accéder, nous sommes dans une dissymétrie totale de moyens. Il est inadmissible que l’Etat ne donne pas des moyens supplémentaires à ses opérateurs », ajoute-t-il. Cédric Perrin se défend, par ailleurs, de proposer la création de « portes dérobées » aux messageries cryptées. « Le dispositif propose de mettre en place une fonctionnalité qui permettrait à un interlocuteur invisible d’accéder à une conversation cryptée. Mais le chiffrement de cet échange serait conservé ».

C’est ce qu’a expliqué, hier, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau aux députés de la commission des lois. « On va demander à la plateforme pendant qu’elle utilise ce flux de A à B, de le faire de A à C. Il n’y a pas de faille », a-t-il appuyé tout en reconnaissant ne pas se faire « d’illusions », sur le sort de ce dispositif.

Sur X, la ministre déléguée chargée de l’Intelligence Artificielle et du Numérique, Clara Chappaz a demandé à ce que cet article « soit retravaillé à l’Assemblée ». « Trouver un équilibre est essentiel », estime-t-elle.

« Il n’y a pas eu d’étude d’impact, pas d’avis du Conseil d’Etat, pas d’audition… Un dispositif de ce niveau-là n’aurait pas dû venir d’un amendement parlementaire. Il n’est pas mûr. Tel qu’il est rédigé, créerait de l’insécurité pour tout le monde », appuie le sénateur socialiste, Jérôme Durain, le corapporteur du texte, qui avait exprimé ses craintes au Sénat en émettant un avis défavorable à cet amendement.

 

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