Voilà une nouvelle proposition pour lutter contre le trafic de drogue. Dimanche 3 novembre, sur le plateau du Grand Jury Public Sénat/RTL/Le Figaro/M6, Jean-Philippe Tanguy a plaidé pour que des « courtes peines » de prison soient prononcées contre les consommateurs de drogue. « Quand les enfants de la grande bourgeoisie parisienne, des hauts fonctionnaires, des dirigeants d’entreprise qui ont pignon sur rue iront en prison quelques jours parce qu’ils ont consommé de la drogue et qu’ils assumeront enfin le sang qu’ils ont sur leurs lèvres, sur leurs doigts, peut-être que la consommation de drogue diminuera dans notre pays », a lancé le député Rassemblement national.
Le même jour, le député Ensemble pour la République (EPR), Karl Olive, a demandé l’envoi de militaires dans certains quartiers touchés par le trafic de drogue. Son objectif : « provoquer un véritable électrochoc dans le pays ». « Pourquoi on n’essaierait pas ? A un moment donné, les trafiquants ne nous respectent pas. Ils pourrissent la vie de l’immense majorité des Français qui veulent simplement bien vivre ensemble. On a aucun cadeau à faire à ces gens-là », a poursuivi l’ancien maire de Poissy sur Radio J.
Le narcotrafic au cœur de l’actualité
Ces annonces ont lieu alors que plusieurs faits dramatiques, liés au trafic de drogue, se sont succédé ces derniers jours. A Rennes, Valence ou Poitiers, des fusillades en pleine rue se sont produites. Des adolescents grièvement blessés, un jeune de 15 ans tué à Potiers, un autre de 19 ans mort à Rennes après avoir reçu des coups de couteau à proximité d’un point de deal ou encore un enfant de cinq ans blessé par balles, également à Rennes. Ville ou s’est rendu le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, en fin de semaine dernière. « Soit il y a une mobilisation générale pour ce long combat contre le narcotrafic, soit il y a la mexicanisation du pays », a jugé l’ancien président des sénateurs LR depuis la préfecture d’Ille-et-Vilaine.
Avant la proposition de Jean-Philippe Tanguy, Bruno Retailleau avait déjà annoncé vouloir cibler les consommateurs de stupéfiants. « Quand il n’y a pas de demande, il n’y a pas d’offre. Il faut sortir de cette consommation dite récréative, un peu romantique », avait tancé le ministre de l’intérieur lors des questions d’actualité au gouvernement du Sénat fin octobre. Son collègue au gouvernement, Didier Migaud, a reçu le sénateur LR Etienne Blanc ce lundi 4 octobre, coauteur d’un rapport sur le narcotrafic. Travail sur lequel devraient s’appuyer le garde des Sceaux et le premier flic de France pour présenter leurs solutions à Marseille vendredi 8 octobre, sans encore savoir si la proposition du député RN sera reprise.
« Envoyer la police faire la chasse aux fumeurs de joints n’est pas la solution »
Pénaliser les consommateurs de stupéfiants ? Raphaël Glucksmann y est opposé. « Envoyer la police faire la chasse aux fumeurs de joints n’est pas la solution. Ça va surcharger les forces de l’ordre et à la fin, on ne les aura pas pour se focaliser sur les criminels, les gangs et les mafias », a affirmé l’eurodéputé socialiste sur RTL, assurant que « le cœur du système n’est pas le consommateur ». Le coprésident du microparti Place publique admet « qu’il y a un immense problème de consommation » mais « quand vous avez une loi qui n’est pas respectée par cinq millions de Français, vous devez faire en sorte que la police soit focalisée sur le vrai problème ». Sur la même longueur d’onde, sur France 2, la cheffe des députés La France Insoumise, Mathilde Panot, a taclé « quarante ans de politique qui a justement été faite sur les consommateurs, ce qui fait qu’aujourd’hui, seulement 10 % des affaires en justice concernent les réseaux et les trafiquants ». Et de se désoler qu’à la fin « la France est le pays qui consomme le plus de drogues ».
De son côté, Axel Ronde, porte-parole du syndicat CFTC-Police, est plutôt favorable à la demande de Jean-Philippe Tanguy. Il se questionne : « Pourquoi pas un centre spécifique pour les consommateurs de stupéfiants, mais pas dans un univers carcéral classique. Ceux qui sont en dépendance, on pourrait les mettre en cure de désintoxication avec des soins particuliers. Pour les autres, leur faire prendre conscience du problème, faire de la prévention, le tout dans un esprit militaire ». Pour lui, aujourd’hui, les consommateurs ne craignent pas la répression. « La peur qu’il y avait de la police ou de la justice il y a 30 ou 40 ans ne fonctionne plus car il n’y a pas de réponses pénales », souffle-t-il.
A court terme, construire des centres spécifiques « ne paraît pas réalisable » car « ça prend du temps et énormément d’argent », indique Aurélien Martini, secrétaire adjoint de l’Union syndicale des magistrats (USM). « Les élus ne cessent de réclamer des peines de prison, mais quand il s’agit de créer un établissement près de chez eux, ils refusent », poursuit le magistrat. « La question du consommateur doit faire partie de l’équation, c’est lui qui irrigue le trafic. Un plan de responsabilité n’est donc pas dénué de sens, mais des sanctions financières seraient plus pertinentes », ajoute le numéro deux du syndicat majoritaire de la magistrature.
La « fausse bonne idée » de l’amende forfaitaire délictuelle
Avec l’amende forfaitaire délictuelle (AFD), ce type de sanction existe déjà. Un policier, un gendarme ou un agent public habilité peut délivrer une amende en l’absence de procès. Son montant est de 200 euros, minorée à 150 si elle est payée dans les 15 jours et majorée à 450 euros si elle n’est pas payée dans les 45 jours. Mais ce dispositif est largement décrié. L’année dernière, Emmanuel Macron en avait d’ailleurs tiré un bilan négatif. « 350 000 amendes ont été dressées en France depuis septembre 2020, dont 29 000 à Marseille. Mais ce que nous avons constaté, c’est que le règlement se fait par télépaiement entre 45 et 60 jours. Nous avons un faible taux de recouvrement de 35 %. Et à Marseille, c’est en dessous de cette moyenne », avait-il déclaré.
Pour Aurélien Martini, l’amende forfaitaire délictuelle est une « fausse bonne idée ». « Le système n’est pas efficace. Il y a beaucoup d’insolvabilité. Et c’est vraiment un souci qu’une personne en excès de vitesse de 10 km/h soit plus sanctionnée qu’un consommateur de drogue », peste le secrétaire adjoint de l’USM. Et de plaider pour « un meilleur mécanisme ». Axel Ronde abonde : « Ce système ne sert pas à grand-chose. Monsieur et Madame tout le monde ne consomment plus sur la voie publique. Ils achètent les produits en ligne ou à des connaissances qui livrent discrètement ». Et pour renforcer ce dispositif, « il va falloir recruter du personnel », prévient le porte-parole du syndicat CFTC-Police.
De son côté, Linda Kebbab, secrétaire nationale du syndicat UN1TE, ne voit pas d’un bon œil une pénalisation accrue des consommateurs. « Ils ont leur part de responsabilité dans les trafics. Eventuellement, les interpeller peut en responsabiliser certains, mais les forces de l’ordre sont déjà débordés et ne peuvent pas suivre », indique la policière. Elle ajoute : « Pénaliser les consommateurs sans action de prévention et parcours de soins, c’est du temps de fonctionnaire perdu pour rien, qui ne fera pas baisser la consommation ».
« La légalisation est un moyen de faire avancer les choses »
Pour certains, légaliser les drogues douces reste la meilleure manière de lutter contre le narcotrafic. A l’image d’Antoine Léaument, député La France Insoumise de l’Essonne, « convaincu que la légalisation est un moyen de faire avancer les choses sur le sujet ». C’est pour lui « une manière de lutter contre le trafic en faisant rentrer cet argent dans l’économie légale et donc de mieux l’encadrer ».
Gilbert-Luc Devinaz, sénateur socialiste, avait lui déposé une proposition de loi visant à légaliser la consommation récréative de cannabis en 2023. « La prohibition de ce produit empêche la mise en place d’une politique de santé publique. On ne peut pas travailler efficacement sur la prévention si on ne sait pas ce que les gens consomment », explique l’élu du Rhône. Selon le conseiller de la métropole de Lyon, la question qu’on ne se pose pas, c’est : pourquoi notre société conduit de plus en plus de gens à se droguer ? L’analyse que nous avions faite avec mes collègues, c’est que la légalisation du cannabis est la moins mauvaise des solutions. La dépénalisation, avec le recours à l’amende forfaitaire créé une injustice. Elle permet juste aux fils de bourgeois de ne pas aller devant le tribunal ».
« Le risque de la légalisation est un basculement vers un phénomène encore plus violent »
Des positions qu’a fustigées Jean-Philippe Tanguy. « Ces gens qui veulent légaliser la drogue sont des pompiers pyromanes. Ils ont une grande responsabilité dans ce qui arrive à notre pays en banalisant son usage », a martelé le député Rassemblement national de la Somme. Aurélien Martini est clair : la dépénalisation de la consommation de drogue ne fonctionne pas. « Par exemple, aux Pays-Bas ou en Belgique, l’une des conséquences est le développement de la mafia marocaine », indique le numéro deux de l’Union syndicale des magistrats. Pour lui, cette solution rend beaucoup plus difficile la gestion de la délinquance. « Si on coupe le cannabis pour les réseaux criminels, les gens qui y participent ne vont pas aller travailler pour un Smic. Au contraire, ils vont s’investir dans d’autres activités criminelles », explique-t-il. Et de conclure : « Le risque de la légalisation est donc un basculement vers un phénomène encore plus violent ».