C’est l’un des principaux textes défendus actuellement par le gouvernement Bayrou. Les députés et sénateurs ont trouvé ce jeudi un accord en commission mixte paritaire (CMP) sur la proposition de loi (PPL) sur le narcotrafic et la proposition de loi organique créant le parquet national anticriminalité organisée (Pnaco). Treize des quatorze membres de la CMP ont voté pour, contre un LFI. Ce texte d’origine sénatoriale, issue des travaux d’une commission d’enquête menée par les sénateurs Etienne Blanc (LR) et Jérôme Durain (PS), avait été adopté à l’unanimité au Sénat. Lors de son passage à l’Assemblée, le texte avait en revanche fait davantage débat.
« C’est un texte qui me tient à cœur, car je l’ai vu naître. J’étais président du groupe qui avait déclaré sur son droit de tirage, au Sénat, la commission d’enquête. C’est à partir de ses conclusions que nous avons forgé une proposition de loi, votée à l’unanimité au Sénat et à une très large majorité à l’Assemblée nationale », a affirmé ce jeudi matin, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, lors d’une conférence sur le bilan de ses six premiers mois. Présent à la CMP, le sénateur LR Christophe-André Frassa salue à l’issue « un accord conclu entre les deux assemblées sur un texte qui arme vraiment l’Etat pour lutter contre le narcotrafic ».
Parquet national anticriminalité organisée (Pnaco)
Au cœur de la PPL, le texte crée un parquet spécialisé, avec un parquet national anticriminalité organisée (Pnaco), relativement consensuel, qui devrait voir le jour en juillet 2026. Sur le modèle des parquets financier (PNF) et antiterroriste (Pnat), le Pnaco serait saisi des crimes les plus graves et complexes.
Régime carcéral strict pour les plus gros trafiquants
Lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, le garde des Sceaux, Gérald Darmanin avait introduit une disposition prévoyant un régime carcéral particulièrement strict pour les plus gros trafiquants. « C’est une mesure qui a été rajoutée à l’Assemblée nationale […] ce sont des mesures d’incarcération à traitement spéciale […] prise pour un an renouvelable » a expliqué au micro de Public Sénat, la présidente LR de la commission des lois, et co-rapporteure Muriel Jourda. Ces mesures d’incarcération à traitement spéciale étaient à l’origine prises pour deux ans. « C’était une demande des socialistes de ramener le délai à un an renouvelable », précise Jérôme Durain, qui se félicite d’une issue « relativement proche de celle du Sénat ». Le co-rapporteur du texte regrette toutefois que la nouvelle procédure d’injonction pour richesse inexpliquée « soit restée en rade » en CMP. « Les députés ont trouvé que la procédure n’était pas assez bordée juridiquement », relate-t-il. La procédure d’injonction pour richesse inexpliquée avait pour but d’obliger les personnes suspectées de trafic de stupéfiants ou de complicité, à s’expliquer sur tout écart manifeste entre leurs revenus et leur train de vie.
Refonte du régime des repentis
Le texte consacre également la refonte du régime des repentis, sur le modèle de ce qui existe déjà dans la justice italienne. Le nouveau dispositif se veut plus attractif, les personnes responsables de crimes et délits en lien avec le grand banditisme, y compris des crimes de sang, mais qui acceptent de collaborer avec la justice pourraient voir leurs peines réduites aux deux tiers.
« Dossier-coffre »
Décriée par la gauche et les avocats, mais défendue par le gouvernement, le principe d’un « dossier-coffre » a été créé. Il s’agit d’un procès-verbal distinct, lors des enquêtes, pour ne pas divulguer certaines informations aux trafiquants et à leurs avocats. Suivant un avis du Conseil d’Etat, seuls les éléments susceptibles de menacer l’intégrité physique ou la vie d’une personne, par exemple l’identité d’un enquêteur, sont portés au dossier coffre. En revanche, ils ne pourront pas être utilisés pour motiver une condamnation, à moins qu’ils ne soient « d’intérêt exceptionnel pour la manifestation de la vérité ». Ce dispositif soulève de vives inquiétudes du côté des avocats. « Les débats ont porté sur la possibilité de faire un recours. Et une voie de recours est possible pour les avocats devant le juge d’instruction », précise Jérôme Durain.
Autre mesure : la possibilité, dans le cadre d’une enquête, d’activer à distance un appareil électronique, à l’insu de son propriétaire, afin de procéder par exemple à des écoutes. Une telle technique ne pourrait concerner les appareils mobiles d’un député, sénateur, magistrat, avocat, journaliste ou médecin.
Le sujet sensible de l’obligation faite aux plateformes de messageries cryptées, comme WhatsApp ou Signal, de communiquer les correspondances des narcotrafiquants, a lui été supprimé. Lors de sa conférence de presse, Bruno Retailleau a assuré que le sujet restait sur la table ». « On a les moyens sans créer de vulnérabilité, de portes dérobées et en associant ces plateformes qui sont sur un principe de neutralité technologique de faire des propositions », a-t-il assuré indiquant s’être entretenu sur ce point avec les deux présidents des commissions des lois des deux chambres.
Expulsion du logement social
Une autre mesure particulièrement mise en avant par le ministre de l’Intérieur consiste à interdire de paraître sur les points de deal et permet à l’Etat de se substituer au bailleur social public ou privé pour enclencher une procédure d’expulsion d’un trafiquant de son logement. La fermeture administrative de commerces soupçonnés de blanchiment sera aussi possible, mais à la main des préfets et non aussi des maires, comme l’avait introduit le Rassemblement national à l’Assemblée.
Les conclusions de la commission mixte paritaire seront examinées par le Sénat en séance publique le 28 avril 2025