Presque un an jour pour jour après les conclusions de la commission d’enquête sénatoriale sur le recours de l’Etat aux cabinets de conseils qui signalait un « phénomène tentaculaire », un nouvel audit relance le débat. En effet, nos confrères du journal Le Monde révèlent que le président du conseil d’administration du cabinet de conseil privé français Capgemini est chargé d’une « mission d’évaluation » de la politique française des visas. Une inspection réalisée « à titre personnel et bénévole » par Paul Hermelin. C’est ce que l’on appelle une mission « pro bono », c’est-à-dire réalisée gratuitement et dont les sénateurs avaient voté l’interdiction dans leur proposition de loi pour encadrer le recours aux cabinets de conseil. « On prône l’interdiction des missions pro bono réalisées par les cabinets de conseils, mais ici, même si c’est par une personne, cela relève des mêmes difficultés », explique à Public Sénat le sénateur Arnaud Bazin qui présidait la commission d’enquête.
Mission bénévole floue
Au-dessus de ces missions gratuites plane en effet le risque d’échanges de bons procédés et de conflits d’intérêts avec l’attribution d’éventuels contrats au cabinet de conseil qui a réalisé l’audit. Dans le cas de son président, l’entreprise du CAC 40 Capgemini précise au Monde que « Paul Hermelin qui n’est pas salarié de Capgemini, intervient à titre personnel et gracieux au sein d’un groupe de travail ». Une nuance ténue puisque la mission gratuite n’est sur le papier pas réalisée par le cabinet de conseil. « Est-ce que ça rompt vraiment le lien entre la prestation et l’organisme ? s’interroge le sénateur Les Républicains Arnaud Bazin. Il faudrait que l’on amende notre texte pour interdire le pro bono plus largement que l’intervention de la structure. »
La mission confiée au président de Capgemini soulève également un autre problème. Le ministère des Affaires étrangères, cité par Le Monde, dévoile que Paul Hermelin pourra s’appuyer sur « les services d’inspections des deux ministères, l’inspection générale des affaires étrangères et l’inspection générale de l’administration. » « J’accueille cette information avec un grand point d’interrogation. Je ne vois pas dans quelle procédure statutaire cela peut s’inscrire, s’étonne Arnaud Bazin. Pourquoi ce ne sont pas les inspections qui sont chargées de ces travaux-là ? »
Beaucoup de questions auxquelles le ministère de l’Intérieur apporte un élément de réponse dans l’article de nos confrères du Monde : le président de Capgemini « connaît le monde économique ». Une mission bénévole qu’Arnaud Bazin trouve opaque. « A travers notre proposition de loi, nous voulons que les choses soient transparentes et là ce n’est pas le cas. Il est urgent qu’elle soit examinée à l’Assemblée nationale », presse le sénateur Les Républicains.
« Notre proposition de loi est nécessaire », appuie le sénateur LR Arnaud Bazin
Si la proposition de loi avait été adoptée au Sénat avec 331 voix pour, 12 abstentions et 0 contre en octobre 2022, depuis le véhicule législatif est bloqué. « La majorité relative du président Macron ne souhaite pas que cette proposition de loi transpartisane arrive à l’Assemblée nationale », regrette Arnaud Bazin. Malgré sa promesse de laisser « cheminer » le texte au Parlement, le gouvernement relativise l’intérêt d’inscrire dans la loi un encadrement des recours aux cabinets de conseils par l’Etat.
L’exécutif avance de son côté avec une circulaire de février 2023 qui fixe de nouvelles règles concernant le recours à ces entreprises privées. Le ministre de la fonction publique estimait alors que le gouvernement reprenait « la quasi-totalité des exigences inscrites dans la proposition de loi ». Un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) de janvier 2023 faisait aussi état d’une baisse globale des recours à ces cabinets de conseils entre 2021 et 2022 par les ministères. « Ça n’a pas l’air d’être le cas dans tous les ministères. Notre proposition de loi est nécessaire, car elle prévoit un vrai document budgétaire pour retracer chaque intervention de cabinets de conseils pour des ministères. Tant que nous n’aurons pas ce document, il y aura un flou », estime Arnaud Bazin.
Si le texte est examiné à l’Assemblée nationale, « ce sera par le biais d’un autre groupe parlementaire que la majorité », explique le sénateur Les Républicains qui portait la proposition de loi pour encadrer les recours aux cabinets de conseils avec la présidente du groupe communiste Eliane Assassi. Sur la tenue d’un débat dans l’hémicycle du Palais Bourbon de leur texte avant les vacances parlementaires de l’été, Arnaud Bazin positive et dit avoir « bon espoir ».