Alors que le gouvernement demande un effort budgétaire de 5 milliards d’euros aux collectivités – « 11 milliards » selon les élus – le socialiste Karim Bouamrane affirme que « Michel Barnier est totalement inconscient ». Le PS a organisé ce matin, devant le congrès des maires, un rassemblement pour défendre les services publics.
En nommant Michel Barnier Premier ministre, « Emmanuel Macron met la stabilité institutionnelle du pays à la merci du RN »
Par Romain David
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60 jours après le second tour des législatives anticipées, 59 jours après que Gabriel Attal a posé sa démission et 51 jours après que le président de la République l’a acceptée, la France dispose d’un nouveau Premier ministre. Emmanuel Macron a demandé ce jeudi 5 septembre au LR Michel Barnier, ancien ministre d’Édouard Balladur, de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy, de « constituer un gouvernement de rassemblement au service du pays ».
Cette nomination intervient après des semaines de consultations, dans un contexte de fragmentation politique inédit sous la Cinquième République, conséquence de la dissolution enclenchée par le chef de l’Etat en juin. « Conformément à son devoir constitutionnel, le président s’est assuré que le Premier ministre et le gouvernement à venir réuniraient les conditions pour être les plus stables possibles et se donner les chances de rassembler le plus largement », précise l’Elysée.
À 73 ans, Michel Barnier devient le plus vieux Premier ministre de la Cinquième République. Ironie du sort, il est le représentant d’une famille politique qui a toujours refusé de s’allier au camp présidentiel et qui est arrivée quatrième aux législatives, derrière le Rassemblement national, le bloc présidentiel et l’alliance du Nouveau Front populaire.
La colère de la gauche
« Je pense qu’il faut changer de lunettes quant à l’interprétation de ce scrutin. Lorsque l’on n’a pas de majorité claire, il faut se référer à ce qui a pu se faire par le passé ou chez nos voisins européens. Il n’est pas anodin d’aller chercher une figure de consensus dans des partis pivots. Pour le reste, c’est la composition du gouvernement qui permettra de voir de quelle manière les grands équilibres politiques sont respectés », observe le politologue Olivier Rouquan, enseignant-chercheur associé au Centre d’études et de recherches de sciences administratives et politiques (Cersa) de Paris.
Inversement, pour Virginie Martin, politologue et professeure-chercheuse à Kedge Business School, le président de la République « commet une erreur en minorant la victoire du Nouveau Front populaire par le barrage républicain et le manque de majorité ». « Il aurait fallu prendre une personnalité qui soit issue de ce creuset », estime la politologue, alors que Bernard Cazeneuve, ancien ministre de François Hollande, a longtemps été cité comme l’un des favoris pour Matignon. Une hypothèse qui aurait mis dans l’embarras la gauche, à tout du moins le PS, face à un ancien socialiste très critique vis-à-vis du rapprochement avec la France insoumise.
« À l’évidence, l’arrivée de Michel Barnier à Matignon va permettre au bloc de gauche de préserver son unité », relève Rémi Lefebvre, professeur de sciences politiques à l’université de Lille. « À présent, je vois mal le NFP ne pas être dans l’opposition », sourit Olivier Rouquan.
« Avec Michel Barnier, Emmanuel Macron fait un énorme cadeau à Jean-Luc Mélenchon. Cette nomination lui permet de crier au déni de démocratie, elle sert son storytelling et elle ouvre un énorme espace politique à la gauche pour 2027 », développe Virginie Martin. Peu après l’annonce de la nomination de Michel Barnier, le fondateur de LFI a pris la parole pour accuser le président de « voler » l’élection aux Français. « Nous entrons dans une crise de régime », a déclaré au même moment Olivier Faure, le Premier secrétaire du PS. Dans un communiqué de presse diffusé sur le réseau social X, le parti à la rose annonce déjà vouloir censurer le futur gouvernement de Michel Barnier.
La mansuétude du RN Face à une personnalité « traditionaliste, assez dure sur l’immigration et les questions de sécurité »
A priori, Michel Barnier devrait pouvoir se maintenir, du moins à court terme, grâce au soutien du bloc central et de la droite, mais aussi dans la mesure où le Rassemblement national ne déposera pas de motion de censure sur son seul nom. « Il semble au moins répondre au premier critère que nous avons réclamé, celui d’un homme respectueux des différentes formations politiques et capable de s’adresser au Rassemblement national qui est le premier groupe de l’Assemblée nationale », a réagi Marine Le Pen au micro de LCI.
« Michel Barnier, c’est un peu la personnalité que l’on va chercher lorsque l’on ne sait plus quoi faire. Médiatiquement, il a une image d’homme sage et de neutralité, on l’associe aux négociations du Brexit et à l’organisation des Jeux olympiques d’Albertville. Mais c’est quelqu’un qui a des positions très traditionalistes, qui est assez dur sur l’immigration et les questions de sécurité, finalement une sorte de filloniste qui ne dit pas son nom, ce qui contraint Marine Le Pen à une certaine objectivité », analyse Virginie Martin. « Michel Barnier a un côté macroniste de par son bilan européen, mais le Michel Barnier de la primaire de 2021 était très marqué à droite », abonde Rémi Lefebvre.
Une négociation avec le RN ?
« Ce qui est frappant, c’est qu’Emmanuel Macron met la stabilité institutionnelle qu’il a invoquée pour refuser la candidature de Lucie Castets à la merci du RN. Nous sommes face à un double déni de démocratie, vis-à-vis de la gauche, mais aussi vis-à-vis du Front républicain. Il est évident que le chef de l’Etat a négocié avec le parti de Marine Le Pen une forme de mansuétude. Désormais, il va falloir les ménager », poursuit Rémi Lefebvre. « Nous allons vivre sous la férule du RN durant les prochains mois mais, à un moment donné ou un autre, ils finiront par censurer Barnier pour se repositionner dans la perspective de 2027. »
Le bloc présidentiel placé devant le fait accompli
« On voit qu’Emmanuel Macron a eu la volonté de préserver son bilan. Avec Michel Barnier, il n’a pas trop d’inquiétudes à se faire sur l’Europe, le budget et la réforme des retraites » que la gauche vouait aux gémonies, pointe Olivier Rouquan. Pour ce politologue, il n’est pas question de parler de « cohabitation », même si « l’on peut créditer Michel Barnier d’une certaine autorité qui exclut le terme de collaborateur ». Pour autant, de quelle manière cette nomination va-t-elle être reçue chez Renaissance et ses alliés MoDem et Horizons, de plus en plus critiques vis-à-vis du chef de l’Etat depuis la dissolution ?
« Certains dossiers, autour des enjeux sociaux ou de l’immigration, pourraient aboutir à des recompositions au sein du bloc présidentiel », prédit encore Olivier Rouquan. « Si Michel Barnier applique une politique de coupes dans les services publics, refuse la justice fiscale ou entend imposer les mesures régaliennes des LR (peines planchers, fin de l’excuse de minorité, retour des mesures censurées de la loi immigration), il n’aura pas mon soutien », avertit sur Twitter le député Sacha Houlié, ex-président de la commission des Lois, qui a pris ses distances avec l’ancienne majorité.
« La nomination de Michel Barnier reste pour les macronistes la moins mauvaise des nouvelles par rapport à l’hypothèse Cazeneuve », estime Virginie Martin.
La droite à l’heure des choix
Du côté de la droite, la nomination de Michel Barnier fait également bouger les lignes. Les Républicains ont refusé jusqu’alors de s’allier avec le camp présidentiel, s’en remettant au pacte législatif qu’ils ont présenté au début de l’été. Mais la nomination de l’un des leurs, susceptible de reprendre une partie des réformes qu’ils défendent, rebat les cartes.
« Sur le fond, notamment la question des politiques publiques, Emmanuel Macron et LR n’ont cessé de se rapprocher depuis 2019. La composition du gouvernement sera décisive, surtout si Michel Barnier nomme des personnalités LR. La droite garde en tête la perspective de 2027, mais il est certain que la question d’un soutien ou d’une participation va se poser chez certaines personnalités », résume Olivier Rouquan. Pour Virginie Martin, « il serait politiquement compliqué pour LR de continuer à se présenter comme un parti de gouvernement… et de passer à côté d’une telle occasion ».
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