La stratégie de Marine Le Pen dans cette campagne d’entre-deux-tours est claire. D’une part appuyer là où ça fait mal sur le fond, et capitaliser sur ses points forts et ses thématiques de prédilection. D’autre part, adopter un ton et investir des formats « sérieux » pour adoucir son image et se « présidentialiser », en rendant son projet crédible. Dans cette optique, quel meilleur sujet que la réforme des institutions, abandonnée après l’affaire Benalla et l’opposition du Sénat par Emmanuel Macron, qui réactive les fractures politiques laissées par le mouvement des Gilets Jaunes ? Et quel meilleur angle d’attaque que de présenter en conférence de presse un « projet de loi prêt à l’emploi » de « révolution référendaire » ? La candidate RN se propose même ainsi de remettre le débat au sein des institutions et de « pacifier l’expression politique », plutôt que de la laisser exploser « de manière anarchique, dans la rue », comme ce fut le cas lors du mouvement des Gilets Jaunes.
Le difficile bilan d’Emmanuel Macron sur la question de la réforme des institutions
Réussir ainsi à soutenir un mouvement profondément protestataire, tout en se plaçant dans le parti de l’ordre cher aux électeurs et à l’histoire politique du Rassemblement et du Front national, relève d’une gymnastique politique des plus audacieuse. Mais force est de constater que l’angle d’attaque est bien choisi pour attaquer l’entre-deux-tours. Emmanuel Macron a échoué à faire advenir la réforme constitutionnelle qu’il avait promise, mais aurait pu en implémenter certains éléments par la loi, comme la proportionnelle, ou la banque de la démocratie, comme n’a pas manqué de le faire remarquer Marine Le Pen : « Emmanuel Macron a bloqué les décrets d’application de la loi sur la Banque de la démocratie, pourtant votée par le Parlement et réclamée par ses alliés. »
Face à ce que la candidate du Rassemblement national qualifie de « vide sidéral » et de « grand échec du quinquennat », Marine Le Pen propose une « révolution référendaire » avec une révision de la Constitution qu’elle propose de « soumettre au peuple français, qui doit décider lui-même d’instaurer cette nouvelle ère démocratique. » Elle fait ainsi le choix de passer par le référendum et l’article 89, mais pour ce faire, le projet de loi référendaire doit être adopté en termes identiques par les deux chambres. Or même si Marine Le Pen venait à gagner le second tour, puis à arracher une majorité à l’Assemblée nationale, le Sénat pourrait bloquer son projet de réforme constitutionnelle comme il l’avait déjà fait en 1984 sur l’Ecole libre.
RIC à partir de 500 000 signatures
Sur le fond, Marine Le Pen propose d’affirmer la supériorité de la « décision référendaire » sur « les actes des pouvoirs publics » et que « si le peuple rejette un texte, il ne puisse être adopté pendant 15 ans, sauf nouveau référendum », pour « éviter le scandale » du rejet de la Constitution européenne de 2005 et de l’adoption du Traité de Lisbonne par le Parlement en 2008. La candidate du RN propose que les traités « portant limitation de souveraineté » soient obligatoirement soumis au référendum et que le mandat du Président ou la Présidente de la République devienne un septennat non-renouvelable. Mais surtout, la mesure phare de cette « révolution référendaire » consiste à abaisser à 500 000 électeurs la barre de déclenchement d’un référendum d’initiative citoyenne (RIC), qui permettrait d’abroger une loi ou d’en proposer une nouvelle.
>> Pour en savoir plus : Présidentielle : RIC, RIP… 50 nuances de référendums dans les programmes des candidats
Marine Le Pen évoque quelques garde-fous qu’il appartiendrait au Parlement de définir plus précisément, comme un certain nombre de signatures données par un électeur sur une période donnée, la possibilité d’imposer une certaine répartition géographique ou que le référendum ne puisse porter « une atteinte particulièrement grave aux intérêts nationaux. » Par cette réforme, la candidate du Rassemblement national veut « tordre le cou à un prêt-à-penser qui prospère dans les élites et les médias, selon lequel le peuple français ne serait pas apte à décider par lui-même » et assume ainsi de réduire le rôle du Parlement qui n’est que « représentant » et que « le peuple est le seul souverain. » Marine Le Pen veut même faire du référendum « un outil comme un autre », qui ne mette pas nécessairement en jeu la responsabilité du Président de la République, élément clé de la conception gaullienne du référendum.
Macron « a peur du peuple » sur la question des retraites
En cas de référendum déclenché sur la peine de mort ou la sortie de l’Union Européenne, Marine Le Pen s’est dite personnellement opposée à l’une ou à l’autre, mais assure qu’aucun débat « ne la choque » et « qu’il n’y a pas de débats interdits dans une démocratie mature », puisque « le peuple n’est pas un ennemi. » En ce début de campagne d’entre-deux-tours, la candidate du Rassemblement national joue à fond la carte de la stratégie populiste qui substitue au clivage gauche-droite un clivage entre « le camp national » et un Emmanuel Macron qui a « peur du peuple. »
Des prises de position qui peuvent rappeler une autre stratégie populiste, très marquée dans la campagne de 2017 de Jean-Luc Mélenchon, qui avait repris d’Amérique du Sud et des travaux de Chantal Mouffe et Ernest Laclau, qu’une force populiste de gauche pouvait répondre à la vague de « dégagisme » qui secouait divers espaces politiques. Les 22 % de l’Union populaire vont polariser les prises de position de cette campagne de second tour et cela se voit déjà sur le sujet des retraites. D’après Marine Le Pen, alors qu’Emmanuel Macron a plus ou moins ouvert la porte à un référendum sur la question des retraites, « il ne le fera jamais s’il est élu. » Marine Le Pen n’a pas manqué de lier cette question du RIC à une autre question chère à l’électorat insoumis. En bonne éleveuse féline, Marine Le Pen retombe toujours sur ses pattes.