Mandat d’arrêt requis contre Benyamin Netanyahou : le Quai d’Orsay « se discrédite » avec son soutien à la CPI, selon Roger Karoutchi
Par Hugo Ruaud
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Plus de sept mois après les attaques terroristes du 7 octobre, le début des bombardements israéliens sur Gaza et les dizaines de milliers de morts qu’ils ont engendré, le procureur général de la Cour pénale internationale (CPI) a réclamé lundi des mandats d’arrêt pour le Premier ministre Benyamin Netanyahou et des dirigeants du Hamas. Une réquisition qui conclut plusieurs mois d’enquête sur des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité présumés commis dans la bande de Gaza et en Israël. Le procureur général de la CPI accuse notamment le Premier ministre israélien, ainsi qu’au ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, « d’affamer délibérément des civils », d’« homicide intentionnel » et d’« extermination et/ou meurtre ». « Nous affirmons que les crimes contre l’humanité visés dans les requêtes s’inscrivaient dans le prolongement d’une attaque généralisée et systématique dirigée contre la population civile palestinienne dans la poursuite de la politique d’une organisation. D’après nos constatations, certains de ces crimes continuent d’être commis ». Les accusations portées contre les dirigeants du Hamas, dont Yahya Sinouar, le chef du mouvement dans la bande de Gaza et cerveau présumé de l’attaque du 7 octobre, incluent « l’extermination », « le viol et d’autres formes de violence sexuelle » et « la prise d’otages en tant que crime de guerre ».
La France se distingue des Etats-Unis
Cette annonce a très vite enflammé les débats et clivé les positions des différents partis politiques et puissances mondiales. Si la demande de mandats d’arrêt contre les dirigeants du Hamas passe sous les radars, celle qui concerne Benyamin Netanyahou suscite l’ire de plusieurs pays occidentaux. Les Etats-Unis ont par exemple fustigé, par la voix de Joe Biden, une démarche « scandaleuse ». « Je vais être clair : quoi qu’insinue le procureur, il n’y a pas d’équivalence entre Israël et le Hamas, il n’y en a aucune », a asséné le président américain. « Nous nous tiendrons toujours aux côtés d’Israël contre les menaces à sa sécurité ». A rebours des Etats-Unis, mais également du Royaume-Uni ou encore de l’Allemagne, la France « soutient la Cour pénale internationale, son indépendance, et la lutte contre l’impunité dans toutes les situations », a réagi la diplomatie française dans la nuit de lundi à mardi. Une prise de position qui déplaît fortement à la droite sénatoriale. « Je ne cache pas mon étonnement, pour ne pas dire mon exaspération devant la réaction du Quai d’Orsay », indique, amer, le LR Roger Karoutchi, membre de la commission des affaires étrangères et président du groupe d’amitié France-Israël au Sénat. « A force de s’aligner sur des positions hallucinantes liées au Hamas ou liées à la critique permanente d’Israël, le Quai d’Orsay se discrédite », poursuit le sénateur. Même son de cloche chez son collègue Bruno Retailleau, qui reproche au procureur général de la CPI de « tracer une équivalence entre les crimes abominables du Hamas et la réaction de défense d’Israël ». Et le chef de file des sénateurs LR de dénoncer la pente « glissante » empruntée selon lui par la Cour Pénale internationale. Loïc Hervé, sénateur centriste et membre du groupe France-Palestine, trouve lui aussi « insupportable » le fait de « mettre Benyamin Netanyahou et Yahya Sinouar sur le même plan ». L’élu de Haute-Savoie s’interroge aussi sur « l’utilité d’aller rappeler le soutien de la France à la CPI » pour le Quai d’Orsay. « C’est très malvenu », insiste le sénateur. « On aurait mieux fait de rien dire et de ne pas s’empresser de communiquer ». Plus tard dans la journée de mardi, devant les députés, le chef de la diplomatie française Stéphane Séjourné a précisé le communiqué paru dans la nuit : « Ces demandes simultanées de mandats d’arrêt ne doivent pas créer d’équivalence entre le Hamas et Israël », a indiqué le ministre des Affaires étrangères.
La gauche satisfaite
A gauche, au contraire, on se félicite des réquisitions du procureur. « Depuis le début, les écologistes demandent l’entrée de la CPI dans Gaza et en Cisjordanie pour faire toute la lumière sur les crimes et poursuivre tous les coupables ! Nul ne doit échapper à la justice », a par exemple indiqué le sénateur EELV Akli Mellouli, lui aussi membre de la Commission des affaires étrangères. A l’inverse des Républicains ou du centriste Loïc Hervé, Guillaume Gontard salue une France « à sa place » suite au communiqué du Quai d’Orsay. En soutenant la décision de la CPI, la France doit maintenant en tirer les conséquences diplomatiques et stopper immédiatement les ventes d’armes ou matériel à usage militaire », a ajouté le président des écologistes au Sénat sur le réseau social X. Comme ses collègues écologistes, le socialiste Patrick Kanner voit « une bonne chose » dans l’enquête menée par la CPI. Bien qu’il s’étonne « que l’on mette au même niveau de responsabilité d’un côté un gouvernement nommé de manière démocratique et une action terroriste d’un mouvement terroriste », Patrick Kanner insiste sur l’importance de décharger la Cour pénale internationale de toute forme de pression. « Il faut respecter l’indépendance et l’autonomie de la CPI. Elle fera son travail d’investigation », explique le président des socialistes au Sénat.
« Impartialité » nécessaire
La demande du procureur général, désormais entre les mains d’un panel de trois juges, sera étudiée dans les semaines à venir. Les juges devront décider si les preuves répondent aux normes requises pour délivrer des mandats d’arrêt. « J’espère que les juges de la CPI auront un jugement plus élaboré, plus modéré, plus nuancé », indique Roger Karoutchi, pour qui, « pour le moment, c’est la prime au terrorisme ». « Ça veut dire que face à des terroristes, les Etats peuvent être considérés comme égaux aux terroristes si jamais ils réagissent », s’insurge le sénateur de droite. Si les juges venaient à décider d’émettre les mandats d’arrêt réclamés par le procureur général, les personnes visées pourraient être arrêtées dans n’importe lequel des 124 Etats membres de la CPI. Reste que ces derniers ne se montrent pas toujours très enclins à s’exécuter, en particulier dans les affaires contre un chef d’Etat en exercice. Le soudanais Omar el-Béchir s’est par exemple rendu dans plusieurs Etats membres de la CPI, dont l’Afrique du Sud et la Jordanie, sans être remis à la Cour. « Bien des mandats d’arrêt de la CPI ne sont pas exécutés. Je n’imagine pas qui que ce soit livrer des membres du Hamas à la Cour pénale internationale si tant est qu’il y ait un mandat d’arrêt. C’est très formel », déplore Roger Karoutchi. L’agenda de ces dirigeants s’en trouvent tout de même perturbé : le président russe Vladimir Poutine, contre lequel a également été émis un mandat d’arrêt de la CPI, a récemment évité une réunion des BRICS à Johannesburg, où il aurait dû être arrêté.