National Assembly: Late-night session for immigration bill

Loi immigration : quelles mesures pourraient être censurées par le Conseil constitutionnel ?

Au lendemain de l’adoption du projet de loi immigration au Parlement, Emmanuel Macron a saisi, lui-même, le Conseil constitutionnel. Le texte enrichi de dizaines d’articles et durci par la droite sénatoriale pourrait subir le couperet de la plus haute juridiction. Une vingtaine voire une trentaine de mesures pourraient être censurées.
Simon Barbarit

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Mardi soir, quelques minutes avant le vote par le Sénat du projet de loi immigration, le ministre de l’Intérieur, peut être motivé par le soutien des députés RN sur ce texte, faisait un aveu. « Bien sûr, il y a encore des questions autour de ce texte. […] Des mesures sont manifestement contraires à la Constitution. Le Conseil constitutionnel fera son office, mais la politique, ce n’est pas être juriste avant les juristes ».

Sur France Inter, ce matin, la Première ministre, Élisabeth Borne « confirme » la censure probable. A la sortie du Conseil des ministres, le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran a annoncé que le chef de l’Etat avait saisi le Conseil constitutionnel dès aujourd’hui « afin que les Sages puissent statuer sur la conformité de tout ou partie de cette loi à notre Constitution ». Le Parti socialiste et LFI a également annoncé une saisine du Conseil constitutionnel.

Une trentaine de mesures inconstitutionnelles ?

Conditionnement des prestations sociales non contributives, instauration de quotas migratoires, limitation du droit du sol, retour du délit de séjour irrégulier… De nombreuses mesures du texte ont provoqué l’ire de la gauche et un malaise au sein de la majorité. Sur RTL, le président de la commission des Lois Sacha Houlié, qui a voté contre le texte, a chiffré une « trentaine » les mesures inconstitutionnelles.

Contacté par publicsenat.fr, le maître de conférences en droit public Benjamin Morel, estime qu’il peut y avoir « un sujet de rupture d’égalité » en ce qui concerne le conditionnement des prestations sociales. Pour les étrangers non européens en situation régulière, les prestations comme les allocations familiales, pour le droit opposable au logement ou l’allocation personnalisée d’autonomie, un délai de carence de cinq ans est prévu pour ceux qui ne travaillent pas, et de trente mois pour les autres. Pour l’accès à l’Aide personnalisée au logement (APL), principal point d’achoppement entre la droite et la majorité présidentielle en commission mixte paritaire, une condition de résidence est fixée à cinq ans pour ceux qui ne travaillent pas, et de seulement trois mois pour les autres.

« Le gouvernement encourt une censure potentielle pour ne pas dire probable »

Le Conseil constitutionnel va devoir poser les limites de ce qui s’apparente à une forme de préférence nationale. « Le gouvernement encourt une censure potentielle pour ne pas dire probable […] Les aides sociales peuvent être conditionnées à des critères de nationalité mais pas si c’est le seul critère qui rentre en compte. Ce sont des aides sociales qui visent à permettre à une famille d’avoir une vie décente aux étrangers en situation régulière sur le territoire, et en ça, créer une inégalité avec des nationaux français, posent problème », estime Benjamin Morel.

L’instauration de quotas migratoire annuels pourrait également être contraire à la Constitution. « Demander un statut légal en France dépend de critères fixés par le législateur. Mais ces critères vous ne pouvez pas les appliquer de manière arbitraire, à géométrie variable. Si ces critères sont appliqués à une centaine d’entrants mais pas au 101e pour des raisons qui n’ont pas trait à sa situation […] C’est fondamentalement problématique », rappelle le constitutionnaliste.

La question de la rupture d’égalité se pose aussi pour la « caution étudiant », une somme à déposer par les étrangers demandant un titre de séjour « étudiant », poussée par la droite là encore.

Protection de la vie familiale

Le resserrement du regroupement familial pourrait également disparaître de la copie finale du texte. Sous la plume des sénateurs, la durée de séjour du demandeur souhaitant faire venir des membres de sa famille est portée à 24 mois (contre 18). Il devra également disposer de ressources « stables, régulières et suffisantes » et disposer d’une assurance maladie. L’âge du conjoint du demandeur devra également être de 21 ans, contre 18 ans actuellement. Une mesure qui pourrait être contraire aux principes fondamentaux qui tendent à protéger la vie familiale des individus qu’ils soient Français ou non. Élisabeth Borne a pointé, ce matin, l’ajout d’une condition de niveau de français élémentaire pour le conjoint : « si vous épousez demain matin un Canadien ou un Japonais, il ne peut pas rejoindre la France s’il ne parle pas bien français, on va interroger le Conseil constitutionnel ».

Cavaliers législatifs

Le rétablissement du délit de séjour irrégulier ou encore les restrictions aux droits du sol, introduits par le Sénat, pourraient, enfin, constituer des cavaliers législatifs. C’est-à-dire une mesure sans rapport avec la philosophie du texte. Supprimé en 2012 sous François Hollande afin de respecter le cadre européen qui recommande aux Etats membres de privilégier systématiquement les mesures d’éloignement aux peines d’emprisonnement. Ce nouveau délit est désormais punissable d’une peine d’amende et non plus une peine d’emprisonnement afin de se prémunir d’un risque de non-conventionalité. « Ce n’est pas dans le texte originel, ça ne répond pas forcément aux objectifs initiaux du projet de loi. Même s’il peut y avoir un lien du point de vue de la thématique […] On peut avoir des dispositions qui conduisent le Conseil constitutionnel à trancher dans le vif », observe Benjamin Morel.

le Conseil dispose d’un maximum d’un mois pour statuer. La date, sûrement en janvier, n’est pas encore précisée.

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