Alors que le gouvernement demande un effort budgétaire de 5 milliards d’euros aux collectivités – « 11 milliards » selon les élus – le socialiste Karim Bouamrane affirme que « Michel Barnier est totalement inconscient ». Le PS a organisé ce matin, devant le congrès des maires, un rassemblement pour défendre les services publics.
Loi immigration : en quoi consiste le retrait des titres de séjour pour non-respect des principes de la République ?
Par Simon Barbarit
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Depuis l’attentat d’Arras commis par un jeune russe en situation irrégulière et qui a coûté la vie au professeur Dominique Bernard, Gérald Darmanin multiplie les gestes à destination de la majorité sénatoriale de droite, bien décidée à faciliter les mesures d’éloignement des étrangers présentant une menace quand bien même ils seraient en situation régulière.
« Je fais miennes les modifications du Sénat » au projet de loi immigration, a assuré le ministre aux questions d’actualité au gouvernement. Pour les « mesures de fermeté contre tous ceux qui veulent toucher les valeurs françaises, attenter aux libertés publiques, blesser la nation. Je donnerais un avis favorable », a-t-il promis.
Un amendement LR au projet de loi séparatisme
Cependant, le projet de loi immigration, dans sa version présentée aux sénateurs au mois de mars dernier et dont l’examen en séance publique commence le 6 novembre, s’inspire déjà des propositions de la droite sénatoriale en la matière. L’article 13 notamment, conditionne la délivrance d’un titre de séjour au respect des « principes de la République ». Le non-respect de ces principes permet également de fonder le retrait ou le refus de nouvellement d’un titre.
La mesure reprend ainsi l’esprit d’un amendement du sénateur LR Roger Karoutchi au projet de loi séparatisme adopté en 2021. Il visait « à renforcer la lutte contre le séparatisme en faisant obstacle à la délivrance et au renouvellement des titres de séjour des individus dont il est établi qu’ils ont manifestement exprimé un rejet des valeurs des principes de la République », comme l’expliquait, la rapporteure Agnès Canayer (apparentée LR).
A l’époque, la gauche du Sénat avait soulevé les difficultés juridiques de cette rédaction. Le Conseil constitutionnel avait par la suite censuré la disposition jugée contraire à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi. Les Sages avaient estimé que le critère se référant aux « principes de la République », n’était pas suffisamment précis, « le législateur se bornant à exiger que la personne étrangère ait manifesté un rejet de ces principes ».
Une définition « vague et tautologique »
Le gouvernement a revu sa copie et énumère désormais les principes dans le nouvel article L. 412-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) : « La liberté personnelle, la liberté d’expression et de conscience, l’égalité entre les femmes et les hommes, la dignité de la personne humaine, la devise et les symboles de la République au sens de l’article 2 de la Constitution et à ne pas se prévaloir de ses croyances ou convictions pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre les services publics et les particuliers ».
Charge au préfet de caractériser ce rejet des principes de la République défini comme des « agissements délibérés […] troublant l’ordre public en ce qu’ils portent une atteinte grave à un ou plusieurs principes ».
« Le gouvernement a énuméré les principes, mais la principale critique du Conseil constitutionnel portait sur la caractérisation du comportement. Sa définition dans le projet de loi reste vague et tautologique. Ce sont des agissements qui troublent l’ordre public car ils portent atteinte aux principes de la République. Cette caractérisation reste floue et donne un pouvoir d’appréciation considérable aux préfets », observe Patrick Henriot, ancien magistrat, secrétaire général du Gisti (groupe d’information et de soutien des immigrés).
Mercredi, à la sortie du Conseil des ministres, le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran a cité des cas, qui selon lui, s’apparentent à un rejet des principes de la République : « Le port ostensible en milieu scolaire de signes et de tenues religieuses, qui représentent 50 % des signalements recensés par le ministère de l’éducation nationale » ou « le refus d’être reçu ou entendu aux guichets des services publics par un agent de sexe opposé pour des motifs religieux ».
Des exemples à prendre avec des pincettes, car comme le précise le rapport de la commission des lois du Sénat, en l’état actuel du projet de loi, l’atteinte aux principes de la République est caractérisée par « deux critères cumulatifs » : « sa gravité » et l’existence « d’agissements délibérés de l’étranger troublant l’ordre public ».
C’est pourquoi, Gérald Darmanin a lui avancé une nouvelle proposition cette semaine afin de retirer le titre de séjour à toute personne qui « adhère à une idéologie djihadiste radicale ». Par exemple « si quelqu’un a dans son téléphone une photo de décapitation de l’Etat islamique », a cité le ministère.
« Le débat se déplace désormais vers la notion d’état de droit »
« La question de l’accessibilité et de l’intelligibilité de la loi, un principe à valeur constitutionnelle, va de nouveau se poser. Gérald Darmanin fait de la communication. Il repousse sans cesse les limites laissant croire qu’on peut arriver à une sécurité absolue. Il n’est pas illégitime de dire que des personnes en situation régulière qui posent un problème n’ont rien à faire sur notre territoire. Mais il faut regarder cela avec lucidité. Le débat se déplace désormais vers la notion d’état de droit. Il va même jusqu’à s’assoir sur les conventions internationales. Dans un sens, on peut reconnaître aux Républicains du Sénat une certaine logique car, eux, ils proposent de réviser la Constitution », constate, la vice-présidente socialiste de la commission des lois, Marie Pierre de la Gontrie.
La proposition de loi constitutionnelle « relative à la souveraineté de la France, à la nationalité, à l’immigration et à l’asile », du groupe LR, sera examinée le 12 décembre au Sénat.
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