Le chef de l’Etat n’a pas perdu de temps. Dans la foulée de la décision du Conseil constitutionnel sur la loi immigration jeudi après-midi, Emmanuel Macron a demandé à son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, une entrée en vigueur « dans les plus brefs délais » de ce texte, qui a été élagué de 40 % de son contenu par les Sages de la rue Montpensier. L’un des émondages les plus conséquents de la Cinquième République. Sur les 86 articles que contenait le projet de loi définitivement adopté par le Parlement le 19 décembre, 35 ont été censurés par l’arbitre constitutionnel, pour l’essentiel des apports de la droite sénatoriale. Toutefois, le texte qui pourra être promulgué – avec 51 articles restants -, demeure bien plus fourni que la version initialement présentée par le gouvernement, et qui ne contenait qu’une vingtaine de mesures.
Simplifier la régularisation des travailleurs clandestins dans les secteurs en tension
Mesure emblématique de ce texte : la régularisation des travailleurs sans papiers dans les secteurs en tension (article 27), un dispositif passé à la moulinette par les LR – ce qui a donné lieu au Sénat à un bras de fer inédit entre la droite et ses alliés centristes -, pourra entrer en vigueur. La mesure, en dépit des débats houleux qu’elle a soulevés au Parlement, ne faisait d’ailleurs l’objet d’aucune saisine particulière.
Nous sommes loin toutefois du droit opposable initialement imaginé par le gouvernement. La durée d’activité avant qu’un travailleur étranger ne puisse prétendre à cette régularisation est passée de huit à douze mois. Surtout, l’attribution d’un titre de séjour se fera à la seule appréciation du préfet, ce qui se rapproche du mécanisme déjà en place, et régi par la circulaire « Valls ». Avancée notable : le requérant n’est plus contraint d’obtenir le feu vert de son employeur pour faire sa demande.
De nouveaux critères à la délivrance des titres de séjour
L’étranger qui obtient un titre de séjour devra signer une charte des valeurs de la République et du principe de laïcité (article 31). Ce dispositif, imaginé par la droite, avait pourtant été retoqué par le Conseil constitutionnel lorsqu’il avait été intégré à la loi contre les séparatismes en 2019. À l’époque, les Sages l’avaient jugé trop imprécis. Cette fois, le Conseil constitutionnel a estimé que le texte apportait les garanties nécessaires sur la définition des grands principes républicains (respect de la liberté personnelle, de la liberté d’expression et de conscience, de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la dignité de la personne humaine, de la devise et des symboles de la République).
Autre condition à la délivrance des visas ajoutée par la droite sénatoriale : la prise en compte de la bonne coopération des pays d’origine quant à la réadmission de leurs ressortissants, expulsés du territoire français (article 47). Dorénavant, ce critère sera également retenu pour le versement des aides publiques au développement.
Faciliter l’exécution des OQTF
Le régime des obligations de quitter le territoire, les fameuses « OQTF », a été simplifié par le législateur (article 37). Via des amendements défendus par Bruno Retailleau, le président des sénateurs LR, les protections juridiques dont disposaient jusqu’à présent certaines catégories d’étrangers contre une expulsion ont été supprimées. L’objectif : assurer une meilleure exécution des OQTF prononcés, puisque moins de 7 % d’entre elles ont donné lieu à un départ en 2022.
Ce tour de vis, largement dénoncé par la gauche, a été validé par le Conseil constitutionnel. Les Sages ont estimé que les garanties apportées par la loi quant au respect des libertés fondamentales étaient suffisantes. « Le socle constitutionnel n’est pas atteint, l’article est validé », explique un membre du Conseil. En effet, l’administration devra toujours prendre en compte la durée de présence de l’étranger sur le territoire national, ses liens avec la France, et un ensemble de considérations humanitaires avant de prononcer une OQTF.
Par ailleurs, l’aide sociale à l’enfance (ASE) ne sera plus obligée de prendre en charge les majeurs de moins de 21 ans ou les mineurs émancipés lorsqu’ils sont visés par une OQTF (article 44). Là encore, cette dérogation était défendue par la droite afin d’alléger la charge qui pèse sur les services sociaux de certaines collectivités, notamment dans le département des Alpes-Maritimes qui a vu passer 6 200 mineurs étrangers non accompagnés entre janvier et octobre 2023. La création d’un fichier des mineurs étrangers suspectés d’être des délinquants (article 39) a elle aussi été validée par l’arbitre constitutionnel.
Deux dispositions sujettes à questionnement
Au total, sur les 35 articles retoqués par le Conseil constitutionnel, 32 l’ont été car considérés comme des « cavaliers législatifs », c’est-à-dire des dispositions sans lien avec le projet de loi initial, ce qui contrevient à l’article 45 de la Constitution qui établit le droit d’amendement des parlementaires et ses limites. Raison pour laquelle le bloc de mesures modifiant les conditions d’obtention de la nationalité française est tombé. Il en va de même pour les restrictions que les LR ont voulu apporter à la délivrance de certaines prestations sociales et au regroupement familial. Trois articles ont été censurés pour des questions de fond, c’est-à-dire qu’ils ont été jugés contraires aux principes défendus dans la Constitution.
Enfin, deux articles font l’objet de réserves particulières de la part des Sages, qui s’interrogent sur leur constitutionnalité. Il s’agit des articles 14 et 42, ce qui néanmoins n’empêche pas le gouvernement de les promulguer.
L’article 14 prévoit l’expérimentation d’une nouvelle procédure de traitement des dossiers de titre de séjour, dite « à 360° ». Les Sages estiment que le bon fonctionnement de ce nouveau dispositif oblige l’administration à informer loyalement le demandeur sur les justificatifs qu’il doit fournir. Or, la loi n’apporte pas cette précision, ce qui pourrait fausser d’entrée l’issue de l’examen.
L’article 42 allonge la durée du régime de l’assignation à résidence des étrangers. Or, le texte ne prend pas les garanties nécessaires quant au respect de certains droits, qui pourraient se voir menacés par un renouvellement, d’année en année et au-delà d’un an, de l’assignation à résidence. Aux yeux du Conseil constitutionnel, ces paramètres devraient être intégrés par l’autorité administrative, notamment pour retenir des lieux d’assignation qui tiennent compte, par exemple, du droit de l’étranger à mener une vie familiale.