C’est le retour de la rumeur. Celle d’une coalition entre les LR et la majorité présidentielle, après les européennes du 9 juin, avec en guise de premier ministre, le président LR du Sénat, Gérard Larcher. Avec quelques variantes sur le même thème concernant le casting, avec François Baroin ou Michel Barnier, à Matignon. L’idée commençait à circuler dans les dîners en ville, jusqu’à ce qu’un article de L’Express lui donne plus de corps. L’hebdomadaire révèle le 26 mai l’existence d’une rencontre, à l’occasion d’un repas, le 7 mars, entre Emmanuel Macron et Gérard Larcher, sur invitation du premier.
Après les européennes, « il faudra bien qu’on apporte une réponse », selon Gérard Larcher
Mercredi dernier, des propos du deuxième personnage de l’Etat entretienne l’ambiguïté. Après les européennes, « il faudra bien qu’on apporte une réponse », estime Gérard Larcher, dans un entretien accordé à l’AFP en tout début de semaine. « Si réellement l’extrême droite est à 40%, (…) on ne peut pas faire comme si les Français ne nous avaient pas envoyé un message », prévient-il. « On peut se réveiller avec une gueule de bois démocratique », et « moi j’en tiendrai compte », insiste le sénateur des Yvelines…
Il confirme la tenue du dîner du 7 mars, tout en minimisant sa portée. « Tout le monde bruisse de rendez-vous secrets, depuis le 7 mars, il n’y en a pas eu. Je ne suis demandeur de rien », assure l’ancien ministre du Travail, tout en posant la question : « Peut-on continuer le cabotage actuel ? C’est la question. Quel est l’intérêt du pays ? », demande Gérard Larcher, qui renvoie la balle au chef de l’Etat : « Le 7 mars on a évoqué la situation, le résultat éventuel des européennes, point à la ligne. Le gaulliste que je suis sait que cela appartient au président de la République et à lui seul ».
A peine évoquée, l’éventualité d’une coalition, qui permettrait de répondre au problème de la majorité relative à l’Assemblée, a vu une levée de boucliers face à elle. En réalité, elle divise les LR et complique évidemment le jeu de la tête de liste aux européennes, François-Xavier Bellamy, qui ferraille contre l’extrême droite et les macronistes. « Jamais de la vie, ça n’arrivera », a-t-il réagi sur France Info. « Les gens qui sont aujourd’hui engagés à droite, ils auraient eu 1.000 fois l’occasion de passer dans un autre camp », avance le candidat. Le président du groupe LR du Sénat, Bruno Retailleau, un proche de François-Xavier Bellamy, n’y croit pas plus. « C’est de la politique fiction, totalement », a réagi mercredi le sénateur de Vendée, au micro de Public Sénat. Il appelle plutôt à « se battre » pour les européennes, « toute notre attention doit être consacrée à accompagner notre candidat ». Regardez :
Un sénateur, qui a échangé avec « Gérard », n’y croit pas plus. « Il m’a dit en personne « je ne suis candidat à rien » », confie cet élu, qui souligne aussi la logique institutionnelle. « Même s’il y a une volonté, on ne peut pas voir le Président et dire « on veut coaliser » », souligne notre sénateur. Un autre ne semble pas prêt à endosser le maillot de supporteur du Président. « S’il y avait quelque chose, ce ne sera pas une coalition mais une cohabitation, car jusqu’à preuve du contraire, on est toujours dans l’opposition », prévient ce sénateur LR.
Reste que l’idée ne rebute pas tous les LR. Eric Ciotti lui-même, le président du parti, n’a pas cherché à y mettre un coup d’arrêt clair et net. « Nous verrons bien si cette question est posée. A ce moment, elle n’a jamais été posée », a-t-il éludé sur BFMTV. Lors de son élection à la tête des LR, un parlementaire avisé évoquait sa capacité à « surprendre », quant à son rapport à Emmanuel Macron…
« Gérard Larcher à Matignon, ça aurait de la gueule, mais à une condition : que ce soit sur un projet de gouvernement, négocié avec les LR », soutient Roger Karoutchi
Au Sénat, on sent que le sénateur LR des Hauts-de-Seine, Roger Karoutchi, n’est pas le plus hostile à l’idée. Mais pas à n’importe quel prix. « Gérard Larcher à Matignon, ça aurait de la gueule, oui, mais à une condition : que ce soit sur un projet de gouvernement, qui soit négocié, discuté entre les LR et les autres. Et qui ne soit pas simplement faire rentrer un peu plus de ministres LR pour appliquer la même politique », prévient l’ancien ministre de Nicolas Sarkozy, qui continue :
Et Gérard Larcher n’entend pas commencer aujourd’hui une carrière de super collaborateur du Président. « On n’imagine pas le président du Sénat accepter de devenir un premier ministre simplement de façade. Ça n’existe pas. Gérard, avec son expérience, sa carrière, ou bien il a les mains libres, ou bien il n’y va pas », pense Roger Karoutchi.
Le sénateur des Hauts-de-Seine remarque au passage que l’idée d’une coalition n’est pas une première. « On l’a eue sur les retraites, sur l’immigration et maintenant en raison du score attendu aux européennes. Mais dans tous les cas, c’est toujours les mêmes qui parlent. C’est-à-dire certains LR qui le souhaitent, ou les journalistes. C’est normal de lancer le débat, sauf que le seul qui devrait en parler, c’est le président de la République. Or jusqu’ici, il n’a parlé que d’élargissement de la majorité, jamais de coalition », pointe cette figure du Sénat. Pour se marier, il faut être deux, et les LR attendent encore quelques preuves d’amour d’Emmanuel Macron. Roger Karoutchi insiste : « Une coalition, ça veut dire que ce n’est pas le programme de Macron qui s’applique, c’est un autre projet ».
« Si on est autour de la table, dans une grande coalition, c’est une façon de sauver les LR », selon Alain Joyandet
Une part des LR est déjà prête à y aller. On en trouve chez les députés. Au Sénat, le sénateur LR Alain Joyandet avait appelé à « une coalition », en janvier dernier, dans Le Point. Il n’a pas changé d’avis. « Evidemment qu’il faut rassembler toute la droite républicaine et le centre, si on veut préparer la prochaine élection présidentielle, avec une chance de figurer au second tour. Ça ne remet pas en cause l’existence des LR, car dans une coalition, on y va avec une association des différentes familles politiques », avance le sénateur LR de Haute-Saône, selon qui « celui qui peut réussir le rassemblement gouvernemental et législatif, c’est le président du Sénat, Gérard Larcher ».
Alain Joyandet met en garde : « Si on ne fait rien, les LR vont disparaître à petit feu. Alors que si on est autour de la table, dans une grande coalition, c’est une façon de sauver les LR ». L’ancien secrétaire d’Etat de Nicolas Sarkozy explique l’avoir « dit à Gérard Larcher, en tête à tête, et à Eric Ciotti, en tête à tête ».
Depuis 2022, l’un des principaux instigateurs de ce rapprochement entre LR et la majorité n’est autre que Nicolas Sarkozy. Dans un entretien au Figaro, cette semaine, il a remis le couvert. « Je continue de penser que ma famille politique ferait mieux d’utiliser son influence réelle pour que le Président soit plus en harmonie avec la matrice politique actuelle de nos concitoyens. […] Les Républicains sont un parti de gouvernement. Ils ne se tromperaient pas en faisant le choix de la France », avance l’ancien chef de l’Etat, qui ne dit pas qu’il va voter François-Xavier Bellamy aux européennes.
« Un accord avec LR n’est pas possible », pense un ministre
Et du côté de la majorité présidentielle ? On reste prudent, pour ne pas dire opposé à la venue des LR. Y compris jusqu’au sein du gouvernement. « Je ne vois pas de coalition avec LR. Mais je crois possible l’élargissement du socle, à travers la droite, comme la gauche, en fonction des résultats », avançait un ministre, il y a quelques jours. Un autre, encore attaché à la jambe gauche, est plus franc encore. « Je pense qu’un accord avec LR n’est pas possible. Regardez à l’Assemblée, un tiers des députés LR veut venir avec nous, un tiers veut aller avec le RN et un tiers ne sait plus où il habite… », raille ce ministre, qui pointe lui aussi une sérieuse limite arithmétique à une coalition avec la droite : « Si on fait un accord avec LR, vous perdez 30 députés de la majorité présidentielle et il n’y a plus de majorité… »
Chez les députés Renaissance, une partie de « l’aile gauche » risque en effet de fuir, avec une menace de scission. « Les LR sont les plus faibles. Si on porte Larcher à Matignon, après 7-8 % aux européennes… S’il s’agit de grappiller des voix LR et que le macronisme soit le socle de la reconstruction de la droite républicaine, pour moi, c’est non », lâche une figure du groupe Renaissance de l’Assemblée.
« Peut-être que des centristes, des LR voudront rejoindre le grand groupe central pour diriger le pays », avance François Patriat
De son côté, le patron des sénateurs macronistes, François Patriat, n’y croit pas vraiment… sans l’exclure. « Demain, peut-être qu’il y aura une prise de conscience nationale. Peut-être que des centristes, des LR voudront rejoindre le grand groupe central pour diriger le pays dans les trois années qui viennent. Mais on ne peut pas prévoir une alliance possible avec les LR, dans l’état où ils sont aujourd’hui », pense le président du groupe RDPI de la Haute assemblée. François Patriat souligne aussi que « les LR sont profondément désunis », « et je rappelle que le Président a tendu la main aux LR en juin 2022, mais ils n’en ont pas voulu ».
Et Larcher à Matignon ? « Je le lis, je l’entends, mais j’ai du mal à y croire », lance François Patriat, qui pense qu’Emmanuel Macron n’est pas prêt à laisser les clefs du camion, tout en disant merci. « Que le président du Sénat ne veuille pas être un exécutant, je comprends. Mais que le Président lui laisse les mains libres, ça m’étonnerait », avance le sénateur Renaissance de la Côte-d’Or.
Beaucoup de choses dépendront évidemment du résultat de chacun aux européennes. « Le 10 juin au matin, les LR devront faire le point, en fonction des scores. Après, chacun fera des propositions, des initiatives », avance Roger Karoutchi. S’il ne croit pas au fond à « une main tendue » d’Emmanuel Macron, car « le Président souhaite garder la main » sur le pouvoir, le sénateur LR ajoute : « Ceux qui disent que les européennes n’auront aucun impact, qu’on tournera tout de suite la page, sont des rêveurs. Il y aura des conséquences ». Reste à savoir lesquelles.