Liberté des médias : des spécialistes sceptiques sur une proposition de règlement européen

Liberté des médias : des spécialistes sceptiques sur une proposition de règlement européen

Ce jeudi 23 mars 2023, les sénateurs de la Commission des affaires européennes et de la commission culture ont auditionné plusieurs représentants du secteur des médias à propos du projet de règlement européen sur la liberté des médias.
Henri Clavier

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Le règlement, d’application directe dans tous les États membres une fois adopté, prévoit plusieurs mesures pour lutter contre la concentration des médias, pour garantir l’indépendance éditoriale ou la création d’une autorité de régulation des médias. Depuis sa présentation, le texte peine à convaincre. La diversité de la situation des médias en Europe est considérée comme un obstacle à l’efficacité du texte.

« L’Europe veut appliquer le même système à trois ensembles démocratiques différents »

En soutenant ce texte, la Commission européenne entend assurer les bases de la liberté et de l’indépendance des médias à travers l’Union européenne. Néanmoins, les situations en Europe sont très différentes et les pays bénéficiant des meilleurs niveaux de protection des médias risquent une harmonisation par le bas. A travers ce texte, la commission européenne chercherait surtout à toucher la Pologne et la Hongrie. « L’Europe veut appliquer le même système à trois ensembles démocratiques différents : les démocraties illibérales où les oligarques contrôlent de fait les médias, les démocraties libérales classiques et puis les démocraties libérales instables », analyse Patrick Eveno, professeur émérite spécialiste de l’histoire des médias.

En introduisant des dispositions sur la concentration des médias, sur les financements publics et sur l’indépendance des médias, le règlement est « une réponse à ce qu’il se passe en Hongrie et en Pologne », affirme Catherine André, vice-présidente de l’Association des journalistes européens.  « Ce qui est intéressant c’est qu’en Hongrie les journalistes ne sont pas en prison la façon de museler la presse et l’information est protéiforme. Avec ce règlement, il y a une reconnaissance d’une grande fragilité de la presse. Mais est ce que ce règlement va améliorer la situation en Hongrie ? C’est dur à dire », continue Catherine André.

Les intervenants pointent surtout un texte vague. « Est qu’on parle de la liberté du média, de la rédaction ou des journalistes ? », s’interroge Patrick Eveno. De plus, le texte est toujours en cours d’examen au niveau européen, ce qui ajoute encore de l’incertitude quant à la version finale.

Le choix d’un règlement plutôt que d’une directive fait débat, « il pourrait y avoir une partie directive avec les principes généraux et une partie règlement », propose Jean-Pierre de Kerraoul, président de l’association européenne des éditeurs. Le règlement s’applique directement et de manière identique dans toute l’Union européenne alors que la directive laisse plus de souplesse aux Etats membres.

Le Sénat renouvelle ses inquiétudes relatives au respect du principe de subsidiarité

En plus du choix du règlement, le Sénat conteste la base juridique du texte. Après la présentation du European Media freedom act (EMFA) par la commission européenne en septembre 2022, le Sénat s’est saisi du sujet, en application des articles 88-4 et 88-6 de la Constitution. Ces articles permettent au Parlement de contrôler la mise en œuvre du principe de subsidiarité, qui organise la répartition des compétences entre l’Union européenne et les Etats membres.

Dès décembre, le Sénat a adopté une résolution européenne portant avis motivé contestant la capacité de la Commission européenne à utiliser l’article 114 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) comme base juridique. L’article 114 du TFUE octroie des compétences aux institutions européennes pour réguler le marché intérieur, or les sénateurs contestent l’existence même d’un marché européen des médias. Force est de constater que les médias restent principalement nationaux, ce qui alimente la position sénatoriale, aujourd’hui réaffirmée avec force.

Autorité de régulation des médias : « Ne pas mettre en place de mauvaises solutions à de mauvais problèmes

Si Jean-Pierre de Kerraoul, appelle à « ne pas mettre en place de mauvaises solutions à de mauvais problèmes », ce dernier affirme également que « sur plusieurs des mesures envisagées nous n’avons aucune objection ». La création d’une autorité de régulation européenne, destinée à apporter des garanties de l’indépendance des médias suscite le doute. Cette autorité est destinée à remplacer l’Erga (groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels) qui regroupe actuellement les autorités de régulation de l’audiovisuel comme l’Arcom. Dès lors, tout l’enjeu est de savoir dans quelle mesure la nouvelle autorité de régulation aura les moyens d’assurer la liberté et le pluralisme des médias. La légitimité de l’autorité de régulation dépend largement de sa composition et de son indépendance par rapport à la Commission européenne. « Il ne peut pas être acceptable qu’il y ait une décision sans procédure contradictoire », note Jean-Pierre de Kerraoul. « Pourquoi ne pas joindre à cette Erga augmentée les conseils de presse et de déontologie », propose Patrick Eveno.

Néanmoins, pour Christophe Deloire, directeur général de Reporters sans frontières, « l’essentiel est d’assurer l’indépendance de l’information. J’entends que cette proposition suscite beaucoup de scepticisme. Il serait dommage que le Sénat s’attache à une position défensive alors que nous sommes face à une opportunité exceptionnelle ».

 

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