Deux textes de loi valent mieux qu’un. Un peu plus d’un an après l’adoption tumultueuse de la loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration, un texte qui avait été largement remanié par la droite sénatoriale au point de diviser le camp présidentiel, les sénateurs LR récidivent avec deux nouvelles propositions de loi sur l’immigration. « Des textes concrets pour pouvoir agir efficacement », promet leur chef de file, le sénateur de l’Ardèche Mathieu Darnaud, dans un entretien au journal Le Parisien.
Cette annonce intervient une semaine après la publication par le ministre de l’Intérieur d’une circulaire venant durcir les modalités de l’admission exceptionnelle au séjour. Depuis sa nomination à Beauvau en septembre, Bruno Retailleau, ex-président du groupe LR au Sénat, multiplie les déclarations visant à restreindre l’immigration sur le sol français, qu’elle soit illégale ou légale, au risque parfois de se heurter au chef du gouvernement. À peine nommé Premier ministre, François Bayrou, qui n’a certainement pas oublié les remous politiques soulevés par la loi de 2024, a fait savoir qu’il ne souhaitait pas « de grande loi » sur l’immigration.
« Par la loi, les Républicains du Sénat vont donner à Bruno Retailleau les moyens de son action », défend Mathieu Darnaud. « Il est logique que son ancien groupe parlementaire lui donne un petit coup de main, d’autant qu’il a lui-même travaillé sur les mesures que nous mettons dans ces deux propositions de loi », sourit auprès de Public Sénat le sénateur LR du Nord, Marc-Philippe Daubresse.
Revoir les conditions d’accès aux aides sociales
La première proposition de loi vise à allonger jusqu’à 210 jours la durée de détention en centre de rétention administrative (CRA) d’un étranger sans papier condamné pour des infractions violentes. Elle est actuellement limitée à 90 jours, sauf en cas d’activité terroriste. L’objectif de cette mesure est de contrebalancer la lenteur des démarches administratives d’expulsion, liées notamment aux difficultés d’obtention des laissez-passer consulaires nécessaires au renvoi d’un individu sans passeport dans son pays, ce qui aboutit dans certains cas à une remise en liberté.
Le second texte concerne la conditionnalité des aides sociales. Il fixe une durée minimale de résidence de deux années avant qu’un étranger en situation régulière puisse être éligible à certaines prestations sociales non contributives, comme l’aide personnalisée au logement (APL), les allocations familiales ou l’allocation personnalisée d’autonomie. Cette disposition avait déjà été introduite par la droite dans la loi immigration de 2024, avant que le Conseil constitutionnel ne la retoque, la considérant comme un cavalier législatif, c’est-à-dire une mesure sans rapport direct avec l’objet du texte.
« Ces deux propositions de loi ne font pas à elles seules une politique migratoire. Nous aurions besoin, pour aller plus loin, d’une réforme constitutionnelle, mais tous les pas qui vont dans le bon sens sont bons à prendre », explique le sénateur LR des Hauts-de-Seine Roger Karoutchi, qui assure que ces textes étaient dans les tiroirs de la droite depuis longtemps, et ont été déposés sans lien avec la place Beauvau.
« Bruno Retailleau joue l’opinion pour faire sauter les blocages »
En présentant deux textes au lieu d’un, la droite sénatoriale espère à la fois contourner le risque de censure, mais aussi construire plus facilement des majorités sur chacune des deux propositions de loi. « Il est toujours plus simple d’avoir des débats nourris sur des textes courts que longs », note Muriel Jourda, la présidente LR de la commission des lois. « Le premier texte est assez consensuel au sein du bloc central, et son adoption ne devrait pas poser de gros problèmes. En revanche, la seconde proposition de loi, sur les aides sociales, ne manquera pas de soulever à gauche et jusque dans les rangs macronistes un vent de protestation », analyse Marc-Philippe Daubresse.
Les détracteurs de la mesure alertent notamment contre un risque de rupture d’égalité devant la loi. En avril dernier, le Conseil constitutionnel avait déjà rejeté une demande de référendum d’initiative partagé (RIP) des LR qui portait sur un dispositif similaire. « Les Sages avaient indiqué que le législateur pouvait prendre des dispositions spécifiques aux étrangers, en revanche la durée minimale de cinq ans de résidence initialement proposée avait été estimée trop importante, c’est la raison pour laquelle nous l’abaissons à deux ans dans ce nouveau texte », fait valoir Muriel Jourda.
L’adoption de ces deux propositions de loi devrait se faire sans difficulté dans un Sénat aux mains d’une majorité de droite et du centre « Avant la fin mars », espère Mathieu Darnaud. En revanche, pour que le processus législatif aboutisse, il faudrait que les députés LR l’inscrivent dans leur niche parlementaire à l’Assemblée nationale ou que le gouvernement accepte de les reprendre à son compte sur l’une des semaines qui lui sont réservées. « François Bayrou a dit qu’il ne voulait pas que le gouvernement dépose de nouveau projet de loi, mais rien ne s’oppose à une initiative parlementaire. Je ne vois pas le chef du gouvernement se mettre en porte à faux de ses ministres de droite. En tout cas, il est clair que Bruno Retailleau joue l’opinion pour faire sauter les blocages sur ces questions », observe le sénateur Daubresse.
L’objectif poursuivi, et assumé par la droite sénatoriale, est de montrer que son champion est à l’offensive sur les dossiers qu’il a toujours défendus, et surtout qu’il arrive à obtenir des résultats. « Nous avons la chance de tenir un homme politique qui, une fois arrivée au pouvoir, ne dit pas autre chose que ce qu’il a toujours dit avant d’y accéder », salue Muriel Jourda.
D’autant, qu’une forme de compétition a semblé s’installer ces dernières semaines avec Gérald Darmanin, qui a longtemps incarné l’aile droite de l’exécutif. Les deux hommes construisent leur cheminement politique autour du thème du retour à l’ordre. L’ancien maire de Tourcoing, nommé garde des Sceaux en décembre, a repris la main sur la lutte contre le narcotrafic, un dossier longtemps porté par Bruno Retailleau lorsqu’il était encore au Sénat. Il vient d’annoncer la création d’un établissement de haute sécurité réservé aux plus gros narcotrafiquants. « Le problème des prisons, c’est que l’on peut toujours en parler, mais pour créer de nouvelles places, il faut des locaux. Et l’ancien ministre du Logement que je suis peut vous dire qu’avec la bureaucratie d’Etat, cela prend au moins cinq ou six ans. Le discours de Gérald Darmanin va rapidement se heurter à la réalité des faits », prédit Marc-Philippe Daubresse.
Le nouveau patron de la droite
Mais au-delà des sphères gouvernementales, c’est aussi le leadership sur une droite en pleine refondation qui est en train de se jouer. Laurent Wauquiez, qui espère s’imposer comme le candidat naturel de sa famille politique en 2027, a été chargé de plancher sur la renaissance du parti. Il doit présenter mercredi matin, à l’occasion d’un bureau politique, ses préconisations. À cette occasion, une date pour l’élection d’un nouveau président, en remplacement d’Éric Ciotti qui a rallié Marine Le Pen pendant les législatives, pourrait être arrêtée. « Probablement en avril ou en mai », confie un membre de la direction.
Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez ont prévu de dîner ensemble mardi soir. L’occasion de clarifier leurs intentions avant la réunion de mercredi ? « Il est évident qu’ils vont évoquer la présidence du parti. Il ne fait aucun doute que Laurent Wauquiez souhaite se présenter depuis un certain temps. Quant à Bruno, je lui en ai déjà parlé à plusieurs reprises. Il n’avait pas pris sa décision. En tout cas, il voudra rester ministre de l’Intérieur. À lui de voir s’il estime que les deux fonctions sont essentielles », nous confie Roger Karoutchi. Il ajoute : « La droite n’a pas besoin d’une nouvelle guerre des chefs, mais d’unité. Il faut que les patrons s’accordent ».
Bruno Retailleau avait déjà tenté sa chance en 2022 pour prendre la tête du parti. À l’époque, il faisait figure d’outsider face à Éric Ciotti. Désormais, cet ancien filloniste a le vent en poupe. Dans le dernier pointage du baromètre politique d’Odoxa, il arrive à la cinquième place des personnalités politiques le plus populaires, derrière Edouard Philippe, Jordan Bardella, Marine Le Pen et Gabriel Attal. « Et si c’était lui ? », titre cette semaine le très droitier magazine Valeurs Actuelles, qui projette ainsi le Vendéen face à l’horizon 2027.
« Très clairement, les militants de droite, LR et pas que LR, plébiscitent son action. Sur le terrain, beaucoup nous disent qu’ils espèrent le voir à tout du moins prendre la tête du parti », rapporte Muriel Jourda. « C’est une évidence, il a marqué les esprits », s’enthousiasme Roger Karoutchi. « Être élu, c’est être au bon endroit au bon moment », poursuit la présidente de la commission sénatoriale des lois. « Et aujourd’hui, celui qui est au bon endroit au bon moment, c’est Bruno Retailleau. »