Les interrogations autour des « 15h-20h d’activité » qu’Emmanuel Macron veut imposer aux allocataires du RSA

Les interrogations autour des « 15h-20h d’activité » qu’Emmanuel Macron veut imposer aux allocataires du RSA

Après la proposition d’Emmanuel Macron de conditionner le versement du RSA à 15h-20h d’activité par semaine, les interrogations se multiplient. La formation et l’insertion sont-ils la solution, alors qu’il y a 15 fois plus d'inscrits à Pôle Emploi que d’emplois vacants ? Quelle serait exactement cette « activité » proposée par Emmanuel Macron ?
Louis Mollier-Sabet

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Emmanuel Macron a enfin détaillé son programme en fin de semaine dernière. Au niveau des politiques de l’emploi et de la protection sociale, le Président de la République a notamment défendu une réforme de Pôle Emploi, transformé en « France travail », ainsi que le conditionnement du versement du RSA à « l’obligation de consacrer 15 à 20 heures par semaine à une activité permettant d’aller vers l’insertion professionnelle. » Une mesure libérale pour le candidat du « en même temps », qui se place ainsi dans la lignée de la transformation du RMI en RSA par Nicolas Sarkozy en 2007. Lors des primaires de la droite en 2016, l’ex-Président de la République avait lui aussi proposé de conditionner le versement de l’allocation à 7 ou 8h de bénévolat par semaine. « Avec le RSA, on a changé de logique. Le RMI, c’était l’Etat qui prenait ses responsabilités s’il n’était pas capable de créer des bonnes conditions pour trouver un emploi. Le RSA suppose qu’il n’y a pas assez d’incitation financière à l’emploi et en crée une », explique Nadia Okbani, maîtresse de conférences en science politique à l’Université Toulouse 2.

5 600 000 personnes inscrites à Pôle Emploi pour 350 000 emplois vacants

Cette spécialiste de l’accès aux droits et du RSA reste sceptique sur l’efficacité de cette logique d’incitation à l’emploi : « Le RSA a d’abord été expérimenté, les résultats intermédiaires étaient positifs et cela a permis de le généraliser, mais l’évaluation sur le long terme n’a pas permis de montrer que les bénéficiaires répondaient mieux à des incitations financières pérennes qu’à des incitations financières transitoires. Le rapport sur cette expérimentation précise aussi qu’il n’y a pas eu d’effets significatifs sur la réduction de la pauvreté du RSA par rapport au RMI. » Mais la proposition d’Emmanuel Macron est un peu différente, puisqu’elle ne repose pas sur des incitations financières à la reprise d’emploi, mais sur une « logique d’accompagnement global » explique Éric Delannoy, président de Tenzing Conseil et soutien du Président de la République : « Le but n’est pas de créer des emplois à 1/3 du SMIC ou de dire ‘comme les gens sont assistés, il faut leur faire faire quelque chose’, ce serait absurde. Le but, c’est de rentrer dans une logique de retour à l’emploi, avec des formations professionnalisantes ou des évaluations psychosociales. »

Éric Delannoy a notamment travaillé avec le ministère du Travail sur la « validation des acquis de compétences » (VAE) et veut voir dans cette proposition l’occasion de « redonner du lustre » à la VAE : « On peut trouver de l’activité avec des promesses de VAE, dans une logique où un travail est fait pour acquérir une expérience validée, qui permet de retrouver un emploi. Plutôt que de donner de l’argent aux personnes précaires, il faut les préparer à leur avenir. » Emmanuel Macron n’a pas encore précisé exactement quelle serait la nature de cette « activité », mais les exemples donnés par Éric Delannoy laissent perplexe Nadia Okbani : « Si ce sont des évaluations psychosociales, ce sont déjà ce que font les départements, qui seraient très preneurs qu’on leur finance ça. Si ce sont des formations, cela pose la question structurelle des emplois disponibles. »

On touche là au cœur du problème d’après la politiste, qui cite les chiffres de la DARES pour le 4ème trimestre 2021 : pour 5 650 000 demandeurs d’emplois inscrits à Pôle Emploi, 350 000 emplois resteraient vacants. « C’est comme si une cinquantaine de personnes attendaient un bus de l’emploi et que c’est une voiture pour 3-4 personnes qui arrivait », explique-t-elle. Dans ce contexte, Nadia Okbani trouve difficile « de faire croire que les allocataires du RSA seraient oisifs et que leur situation viendrait de leur responsabilité individuelle, et pas de celle de l’Etat. » Surtout, l’argument de la formation perd de son sens quand plus de 5 600 000 personnes inscrites à Pôle Emploi doivent se partager 350 000 emplois vacants, soit un peu moins d’un emploi vacant pour 15 inscrits à Pôle Emploi. Enfin, si ce sont des emplois non rémunérés, « cela pourrait poser des problèmes de concurrence déloyale par rapport à des emplois de droit commun », ajoute la politiste.

« Quand on parle des jeunes ou des personnes fragiles, certains en ont fait leur clientèle, il faut leur donner du pognon, mais à quel moment on les aide ? »

Si cette « activité » est véritablement obligatoire pour toucher le RSA, Nadia Okbani y voit un autre problème : « Appliquer uniformément cette mesure, ce n’est pas bien connaître les allocataires du RSA. Certains sont en activité partielle, d’autres recherchent déjà des formations, ou n’en ont même pas besoin. Il y a aussi des personnes qui ont des activités non rémunérées, souvent des femmes, qui ne peuvent pas reprendre d’emploi parce qu’elles s’occupent de leurs enfants, ou de leurs parents malades ou de leurs proches handicapés. » Difficile, effectivement, de demander à de telles personnes « 15h à 20h d’activité par semaine. » Éric Delannoy concède que beaucoup reste à préciser, notamment « parce qu’il y a des gens qui n’ont pas les moyens de travailler », mais reste optimiste sur les possibilités d’adapter la mesure : « On peut entendre cette critique sur les gens qui seraient en impossibilité de réaliser cette activité, il faut réussir à l’évaluer et proposer un accompagnement social d’un autre niveau. Il ne faut pas avoir ce regard extrêmement brutal que nous prêtent les oppositions. » Le président de Tenzing Conseil rappelle que le Président de la République au aussi mis en avant « la belle notion de solidarité à la source », qui voudrait qu’une personne puisse toucher les aides auxquelles elle a le droit sans même les demander. C’est une promesse liée à un véritable serpent de mer de l’administration française : l’harmonisation des aides et le guichet unique. « En termes opérationnels, c’est relativement lourd et compliqué à mettre en place, mais il faut commencer un premier travail d’uniformisation. »

15h d’activité par semaine pour 1,9 million de bénéficiaires du RSA, c’est 835 000 équivalents temps plein qu’il faut trouver.

Au-delà des détails techniques, Éric Delannoy défend un véritable changement de « logique de société » : « Quand on parle des jeunes ou des personnes fragiles, certains en ont fait leur clientèle, il faut leur donner du pognon, mais à quel moment on les aide ? La logique budgétaire est facile, mais refonder la VAE, ne pas se satisfaire que le diplôme suffise à faire carrière, c’est compliqué, mais c’est une vraie évolution de la société. » Le problème, c’est que le diable se trouve parfois dans les détails. Nadia Okbani a réalisé un « petit calcul » : s’il faut fournir 15h – a minima – « d’activité » hebdomadaire à 1,9 million de bénéficiaires du RSA, cela veut dire qu’il faut trouver 835 000 équivalents temps plein. Que cette activité soit de la formation, de l’emploi permettant des « validations d’acquis de compétence », ou bien même des « travaux d’intérêt général », comme l’a mentionné Jean Castex au 20h de TF1 hier, ce ne sera pas une mince affaire. Après que Christophe Castaner a qualifié l’allocation « sans aider à l’insertion », de « réponse des lâches », Nadia Okbani alerte sur « la violence sociale de ces propos, qui participent d’une stigmatisation de gens, qui sont par ailleurs rarement bien au RSA, tant physiquement, que socialement et psychiquement. Leur précarité a des conséquences énormes, notamment en termes d’espérance de vie. » Finalement, d’après elle, « si le dispositif était juste une proposition d’activité rémunérée, le gouvernement serait surpris de voir le nombre de personnes d’accord pour aller travailler. »

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