FRA : ELECTIONS EUROPEENNES

Législatives : RN, Nouveau Front Populaire, majorité présidentielle, à qui profiterait une forte participation ?

Alors que le 1er tour des élections législatives approche à grand pas, un indicateur est particulièrement scruté par analystes et politiques : la participation. Estimée entre 62 et 65% selon les différents instituts, elle pourrait ainsi être supérieure de 20 points à celle du précédent scrutin. Ce sursaut démocratique peut-il faire basculer l’élection dans un camp ou dans l’autre ? Décryptage avec Erwan Lestrohan, directeur conseil chez Odoxa.
Alexis Graillot

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Pour la première fois depuis l’institutionnalisation du quinquennat, les élections législatives sont découplées de l’élection présidentielle. Alors même que la concomitance des deux scrutins avait été consacrée pour pallier les cas de cohabitations, la participation à l’élection des députés s’est peu à peu effondrée ces dernières législatures, passant de près de 68% au 1er tour des élections de 1997 à 47% en 2022.

Pour ce scrutin, la participation devrait cependant être au plus haut depuis 25 ans, puisque selon les études, près de 2/3 des Français interrogés se déclarent certains d’aller voter. A qui cela profiterait-il ? Le RN peut-il capitaliser sur son succès des élections européennes ? L’électorat de la majorité présidentielle peut-il se remobiliser ? La gauche peut-elle créer la surprise ? Eléments de réponse avec Erwan Lestrohan, directeur conseil chez Odoxa.

De manière générale, quelles sont les certitudes du scrutin à venir et quel pronostic faites-vous du regain éventuel de participation ?

Tout d’abord, une chose est certaine, c’est que le corps électoral va s’élargir. Pour ces élections législatives, ¾ des Français sont intéressés par le scrutin, soit 20 points de plus que les dernières élections européennes [de 2024] et législatives [de 2022]. On voit que ce moment démocratique imposé intéresse les Français aujourd’hui. Il les intéresse d’autant plus que l’ensemble des vecteurs d’information se sont mis au diapason de cet intérêt des électeurs, au bénéfice de la participation. Ces élections sont en effet au centre de l’attention médiatique, en atteste la prise de position des joueurs de l’équipe de France de football, qui touchent un public périphérique, qui n’était pas forcément intéressé par les élections. Pour autant, l’implication des personnalités comme Kylian Mbappé a davantage tendance à conforter des choix, plutôt qu’à faire changer d’avis des électeurs. Ces prises de parole participent néanmoins à un faisceau d’informations qui construit le choix politique des électeurs. Dans tous les cas, ces élections devraient constituer le moment démocratique que souhaitait Emmanuel Macron avec une plus forte mobilisation des citoyens.

Pour répondre plus précisément à votre question sur les courants politiques qui pourraient tirer un bénéfice d’une participation plus forte, on peut penser qu’a priori, une surmobilisation des électeurs serait défavorable à Renaissance, car son électorat épouse quasi parfaitement la France des votants systématiques. Parmi ces derniers, nous constatons une surreprésentation des plus diplômés, des cadres, des personnes âgées de plus 70 ans, des habitants de l’ouest de la France qui constituent un électorat essentiellement démocrate-chrétien. Même en cas d’abstention plus élevée, ces électeurs auraient de toute façon fait partie du corps électoral.

De l’autre côté, certains segments électoraux, à l’image de l’électorat des périphéries urbaines, plus jeune, ou moins diplômés, ont selon les cas, un tropisme plus prononcé en faveur du Nouveau Front Populaire (NFP) et du Rassemblement National (RN). Et c’est précisément cet électorat qui participe le moins aux élections.

 La seule raison qui pourrait ramener les électeurs d'Emmanuel Macron vers les urnes, c’est l’inquiétude pour la paix sociale, levier qu’Emmanuel Macron est en train d’agiter depuis le début de la campagne 

Erwan Lestrohan, directeur conseil chez Odoxa

Justement, plusieurs études confirment que le RN est le parti qui a le plus mobilisé son électorat de 2022 pour les élections européennes. A contrario, l’électorat d’Emmanuel Macron s’est franchement dispersé. Cela peut-il avoir un impact certain dans le scrutin législatif ?

Vous avez raison et à cet égard, rien ne dit que les électeurs de 2022 d’Emmanuel Macron qui ont boudé le scrutin européen, ne reproduisent pas cette attitude au regard de la défiance envers le président de la République. La seule raison qui pourrait ramener ces électeurs vers les urnes et vers le chef de l’Etat, c’est l’inquiétude pour la paix sociale, levier qu’Emmanuel Macron est en train d’agiter depuis le début de la campagne.

Toutefois, il emploie également cette méthode pour des raisons électoralistes : le RN est dans une dynamique électorale, qui quand bien même son électorat s’est mobilisé fortement pour les européennes, pourrait le faire à nouveau pour participer au « sacre » de Jordan Bardella. Aussi, il ne faut pas laisser penser que le RN ne dispose pas d’une réserve électorale, puisqu’aux élections européennes, la liste RN a recueilli 7.7 millions d’électeurs, alors que Marine Le Pen en a recueilli 13.3 millions au second tour de la présidentielle, soit un écart presque du simple au double.

Cette réserve de voix existe cependant également à gauche. Rappelons que François Hollande avait recueilli 18 millions d’électeurs au second tour de la présidentielle de 2012, loin des 9.6 millions des forces de gauche pour les élections européennes du 9 juin.

Je suis plus circonspect sur la capacité de Renaissance à mobiliser son électorat car beaucoup d’entre eux sont démobilisés, une partie des électeurs du chef de l’Etat restant en suspens. La question est de savoir si leur défection démocratique va se poursuivre. A priori, le rebond de participation devrait être plus léger du côté de la majorité présidentielle, même si l’effet mai 1968 peut jouer (NDLR : le général de Gaulle, après avoir dissous l’Assemblée nationale à la suite des événements de mai 1968, avait remporté une majorité écrasante, bénéficiant en grande partie des voix d’électeurs inquiets quant à la sécurité publique, à la suite des nombreuses dégradations).

A cet égard, existe-t-il un risque d’auto-renforcement du RN dans l’opinion au regard des résultats des élections européennes, comme le souligne le chercheur François Hublet ? Ou au contraire, le sentiment de crainte que peut inspirer l’arrivée du RN au pouvoir peut-il constituer un vote repoussoir et mobiliser des électeurs qui ne se seraient pas déplacés si le RN était plus bas ?

Les 2 scénarios sont envisageables dans la mesure où jusqu’il y a peu de temps, dès lors qu’il obtenait des succès électoraux, le RN était confronté au plafond de verre du front républicain de mobilisation, qui l’empêchait de capitaliser sur les scores qu’il pouvait obtenir au premier tour de scrutins majoritaires, à l’image de la présidentielle ou les législatives. Cependant, l’émoi suscité face au vote RN est devenu au fil du temps de moins en moins important, le parti à la flamme étant considéré aujourd’hui comme un parti comme les autres.

A gauche, le sursaut de mobilisation peut provenir davantage d’un vote d’affect, puisque plus de 8 électeurs de gauche sur 10 se déclarent favorables au Nouveau Front Populaire (NFP), ce qui n’est pas négligeable.

Pour Renaissance, la problématique est différente car la dynamique électorale ne joue pas en leur faveur, son électorat s’étant largement mobilisé pour le scrutin européen. Clairement, la dynamique est en faveur du RN et du NFP.

Vous parlez d’une forte participation, mais ce regain éventuel signifie également davantage de triangulaires, voire des quadrangulaires. Lors des élections de 2022, seulement 8 circonscriptions avaient connu des affrontements entre 3 candidats au second tour. Au regard de l’affaiblissement du front républicain, le RN peut-il tirer son épingle du jeu en cas de multiplication de ces configurations ?

Cette situation est un bénéfice collatéral pour le RN au 2nd tour, quand bien même les appels au front républicain se multiplieraient. Le renforcement de la participation va abaisser le seuil de qualification (NDLR : pour se qualifier au 2nd tour, un candidat doit recueillir 12.5% des inscrits dans la circonscription. Par exemple, si la participation est de 50%, un candidat doit recueillir 25% des suffrages pour se qualifier au 2nd tour. En revanche, si celle-ci est de 65% (comme le suggèrent les estimations), ce seuil est abaissé autour de 18%).

L’abaissement du seuil électoral constitue une structure favorable au RN, car elle va générer de la dispersion des voix entre courants politiques, alors même que le front républicain fonctionnait plutôt bien auparavant.

 Le fait de calquer le résultat des élections européennes sur les scores qui seront réalisés aux élections législatives est une erreur. Pour le RN, ce n’est pas Jordan Bardella qui va se présenter dans 577 circonscriptions, dont on sait qu’elles vont en partie bénéficier aux sortants. 

Erwan Lestrohan, directeur conseil chez Odoxa

Le scrutin législatif a également la particularité d’avoir une double casquette, celui d’être à la fois un scrutin de proximité, puisqu’on élit un représentant de son territoire, mais également un scrutin national, en raison de l’impact de l’élection d’un député sur la composition de l’Assemblée nationale. Cela ne constitue-t-il pas un angle mort du vote ?

Le fait de calquer le résultat des élections européennes sur les scores qui seront réalisés aux élections législatives est une erreur. Pour le RN, ce n’est pas Jordan Bardella qui va se présenter dans 577 circonscriptions, dont on sait qu’elles vont en partie bénéficier aux sortants. Les contextes locaux vont évidemment jouer dans l’élection ou la non-élection d’un député.

Je souligne toutefois un point. L’élection du premier tour va évidemment peser sur les résultats finaux, mais l’élection fondamentale est bel et bien celle du 2nd tour, celle-ci se situant au carrefour de nombreux enjeux, tels les reports de vote, ou encore désistements en cas de triangulaire. Tout l’enjeu pour les partis est de savoir si ces consignes doivent être abordées avant le 1er tour, et dans ce cas, un risque de collusion peut exister, voire pire, une forme de défaitisme, ou après, au risque d’agir sur très court terme et de donner le sentiment d’impréparation. Et pourtant, il s’agit d’un enjeu stratégique, dans la mesure où les reports de votes des candidats éliminés ne sont pas homogènes selon les territoires. Par exemple, en cas de duel entre le NFP et le RN, un électeur breton LR se reportera davantage vers le NFP, le front républicain fonctionnant encore à peu près. La situation est différente en région PACA car la porosité entre l’électeur LR et l’électeur RN plus forte. Nous faisons donc face à une infinité d’inconnues.

L’issue favorable pour la majorité présidentielle serait que ces élections se transforment en pour ou contre le RN comme les élections européennes ont été marquées par le sceau du pour ou contre Macron. Ce qu’il va falloir observer, c’est la manière dont la tectonique des plaques va bouger, mais aussi comment la participation constituera un apport électoral, et si en second plan, un sursaut de mobilisation favorise le RN, en raison du nombre, sans doute plus élevé de triangulaires ou de quadrangulaires.

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