Alors que les députés PS soutiennent l’abrogation de la réforme des retraites portée par La France insoumise, qui efface également le mécanisme mis en place par l’ancienne ministre de la Santé Marisol Touraine sous François Hollande, le sénateur Bernard Jomier (Place publique), appelle les parlementaires de gauche à ne pas aller trop loin face aux enjeux démographiques.
Législatives : « L’objectif d’Emmanuel Macron, c’est de briser le Front populaire en le laissant pourrir », selon le constitutionnaliste Benjamin Morel
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Au lendemain du second tour des élections législatives anticipées, le Nouveau Front Populaire se réclame d’une majorité prête à gouverner, tandis que le camp présidentiel et la droite essaient d’avancer leurs pions en coulisses. Dans sa lettre aux Français, publiée le 10 juillet, Emmanuel Macron affirme que « personne n’a remporté l’élection », ravivant les tensions à gauche. Relativement étranger à la culture de la coalition, ancrée dans la coutume institutionnelle de nos voisins européens, le régime politique français est confronté à une situation exceptionnelle dans l’histoire de la Ve République, où se dessine la perspective d’une cohabitation sans majorité absolue, ce qui soulève de nombreuses interrogations sur le plan constitutionnel. L’universitaire Benjamin Morel apporte son éclairage d’un point de vue juridique et politique sur les rapports de force au sein d’un nouvel hémicycle en forme de casse-tête.
La perspective d’une cohabitation avec une majorité « excessivement relative »
Sur la question de la nomination prochaine du Premier ministre, Benjamin Morel indique : « Juridiquement, Emmanuel Macron nomme absolument qui il veut ». Et de poursuivre : « Ensuite, charge à l’Assemblée de réunir 289 députés pour renverser le Premier ministre et le gouvernement qui en dépendra ». Si l’usage veut que le chef de l’Etat nomme un chef du gouvernement issu de la majorité parlementaire, cela implique que « le Premier ministre ait une majorité absolue. Or, là ce n’est pas le cas ».
Le constitutionnaliste souligne que le Nouveau Front populaire constitue une « majorité excessivement relative », ce qui est relativement inédit dans l’histoire du régime. A l’issue des élections législatives de 1988 et 1993, ont émergé des majorités certes relatives, mais relativement larges. Or, il manque aujourd’hui au Nouveau Front populaire « plus de 100 sièges » pour atteindre la majorité absolue, comme le précise Benjamin Morel.
Dans un « système parlementaire classique », comme en Allemagne ou en Italie, la coutume veut que chaque parti cherche à construire une majorité, et se mette d’accord « sur un programme », avant de « nommer un Premier ministre » ; les forces politiques françaises suivent le chemin inverse. Ensemble « cherche à s’acoquiner avec LR pour dire (au NFP) : « Vous vous en avez peut-être 190, nous, on en a 210 ». Cela ne règle absolument pas le problème », soutient Benjamin Morel. Selon lui, Emmanuel Macron pourrait en toute logique, non pas « nommer un Premier ministre de gauche », mais désigner un « coordinateur », chargé de « trouver les 289 députés » nécessaires à l’émergence d’un gouvernement stable.
« Jean-Luc Mélenchon assure son leadership à gauche » : LFI prépare le terrain pour 2027
Dans la foulée de la révélation des résultats du second tour des élections législatives, dimanche 7 juillet au soir, Jean-Luc Mélenchon avait pris la parole, célébrant la victoire du Nouveau Front populaire et appelant à respecter le programme de l’alliance sans compromission dans ses rangs. Benjamin Morel voit dans cette prise de position une stratégie politique fine de la part du chef de file de la France Insoumise : « Jean-Luc Mélenchon dit aux socialistes et aux écolos : « si demain vous allez vous allier avec le centre, vous êtes les traîtres. Et je dirai à l’électorat de gauche que vous êtes les traîtres ». De cette façon, Jean-Luc Mélenchon, conscient qu’il ne dispose pas d’une majorité absolue à l’Assemblée, tente de retrouver son rôle de leader à gauche.
En réalité, « l’objectif de Jean-Luc Mélenchon, qui sait très bien que l’on ne peut pas appliquer le programme avec 190 députés, c’est 2027 ». Face à cette offensive politique discrète en prévision de la prochaine élection présidentielle, les écologistes et les socialistes se retrouvent dans l’embarras, puisque « tant que ce mythe du « on a gagné, on peut gouverner en notre nom » n’est pas brisé, ils sont prisonniers de l’accusation d’être les traîtres, d’être en porte-à-faux vis-à-vis d’un électorat de gauche qui est très unitaire », analyse Benjamin Morel. « L’objectif d’Emmanuel Macron, à mon avis très maladroitement mené, est de briser ce nouveau Front populaire », poursuit-il.
L’enjeu pour le chef de l’Etat serait de gagner du temps, pariant sur les « divisions de la gauche » et l’idée qu’à terme, les socialistes et les écologistes « soient contraints de se détacher de la France Insoumise et puissent rentrer dans une configuration gouvernementale ». Celle-ci serait toutefois très limitée numériquement, n’allant « que des communistes aux LR ». « Quand bien même ça marche, ce sera baroque », juge le politiste.
« Les Insoumis jouent le rôle de la pureté de la victoire du Nouveau Front populaire, mais fondamentalement ils ne peuvent pas s’allier avec le centre », à cause de divergences idéologiques et ensuite « parce qu’il n’y a pas assez de députés à Renaissance, à Horizons et au Modem pour accepter une alliance avec la France Insoumise », laquelle est un véritable « élément de blocage ». Si un gouvernement LFI ne peut pas tenir, faute de majorité, Jean-Luc Mélenchon, selon Benjamin Morel, voit plus loin et « veut pousser les socialistes et les écologistes à être dans la compromission de son point de vue, et donc ce faisant, à perdre des plumes pour les prochaines élections ».
Eglantine Mougin
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